Après l'Histoire de Philippe Muray

Après l'Histoire de Philippe Muray

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Serge ULESKI, le 27 octobre 2010 (Paris, Inscrit le 26 novembre 2007, 55 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 864ème position).
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Philippe Muray ou la réhabilitation de l'intolérance

Après plus de 600 pages de lecture de ce qui, pour faire court, s'avère être une critique apocalyptique de tout ce qui n'est pas Philippe Muray...


Ou comment cultiver l'art de jeter le bébé avec l'eau du bain et la baignoire avant de dynamiter la salle de bains et la demeure qui l'abrite, dans un... « Après-moi le désert ! » non-assumé faute de pouvoir être consciemment revendiqué comme tel...


Loin de toute tentative d'analyse d'aucune cause...


Misanthrope sympathique dans le meilleur des cas, ou bien aversion profonde pour le genre humain, dans le pire, et plus encore quand ce dernier n'a pas pour maître à penser un certain Philippe Muray (il faut toujours accueillir avec prudence les auteurs qui citent Céline à profusion, non pas pour son style mais bien pour ce qu'ils croient être sa "pensée)...


Ce qui fait de Philippe Muray ce qu’il est, ce ne sont pas tant ses choix "politiques" que le refus (ou bien l'incapacité) de comprendre la nécessité historique de ce monde dit "moderne" : tout ce qui nous y a conduits et continuera de nous y conduire ; même si l'on peut avoir de bonnes raisons de refuser, en totalité ou en partie, d'adhérer à cette "modernité"…

Mais… vous remarquerez que l'on peut toujours en concevoir une autre !


Un Muray incapable donc de proposer un avenir quel qu’il soit. En panne Muray ! De là sa frustration, son acharnement sur le présent et la violence de ses positions.


Et ceux qui, aujourd’hui, se réclament de cet auteur sont très certainement tout aussi en panne d’avenir que lui ; individus dont le tempérament – et ça existe : la preuve ! -, leur a fait très tôt prendre conscience qu’ils étaient nés tout simplement trop tard dans un monde décidément beaucoup trop jeune pour eux : d'où leur prédilection pour la thématique "Fin de l'Histoire"...

Et sans doute était-il là... question, tel un effet boomerang imprévu et insoupçonnable en eux, de leur propre fin à tous.


Quant au "dernier homme" (der letzte Mensch) de Muray, homme post-historique venu tout droit de chez Nietzsche et de son Zarazaza (autre dada de Muray), vraiment, si l'Histoire nous est d'un enseignement quelconque (même très quelconque), ce n'est sûrement pas demain la veille que notre espèce cessera de déjouer les prophéties même les mieux inspirées.


Non ! Ce qui fait de Muray ce qu’il est en tant qu’auteur (et non en tant qu'intellectuel car, il n'y a pas de « pensée Muray » mais bien plutôt des idées, des opinions « à la Muray »), c'est le caractère exclusivement a-politique ou anti-politique de ses choix, et ce à chaque fois qu’il est question de l’organisation de notre existence en société (pour ce qui est de la politique, se reporter à la définition d'Arendt); caractère qui nous renvoie à l'Ancien Régime, sinon au moyen-âge (oui ! sans rire) ; ou bien, plus proche de nous, à la "Révolution Nationale" d'un certain Pétain (à chacun ses casseroles !).


***


Cible idéale d'un Julien Benda et de son ouvrage "La trahison des clercs", pour peu que la chronologie l'eût permis...

Véritable Lacenaire de toute idée de progrès et de justice (tout comme lui, très certainement à la recherche du châtiment suprême mais... introuvable depuis 1981 ; à son grand désespoir, sans doute !) la plus grosse erreur de Muray aura été de s’être laissé abuser et vampiriser tel Frankenstein, par sa propre création… Homos Festivus (1), jusqu’à penser qu’il s’agissait là d’un vrai projet de société et qu’il y avait, par conséquent, péril en la demeure ; projet durable qui recueillerait l’assentiment et le soutien sinon de la quasi-totalité, du moins, d’une importante majorité des électeurs (électeurs ou pas)...

Notre auteur, et parce que cela l’arrangeait, feignant d’ignorer que l’Homme sera toujours plus que ce qu’il croit savoir sur lui-même qui n’est - le plus souvent -, que ce que l’on a daigné lui enseigner ou bien, ce qu’on lui a laissé espérer... pour lui-même.

Quant à Delanoë, Maire de Paris, sa cour, son électorat bobos et leur influence supposée, fallait-il vraiment y consacrer autant d’années et autant de pages quand on sait que tout ce beau petit monde représente tout au plus que quelques centaines de milliers d’individus confinés, parqués dans une capitale qui ne nous appartient plus depuis longtemps déjà – Chirac n’ayant eu besoin de personne pour inaugurer cette dépossession.


1 - Homos Festivus : "Habitant satisfait de la nouvelle réalité ; mutant heureux qui n'a plus avec l'ancien réel que des rapports de plus en plus épisodiques" - PM

Erreur qui trahit une méconnaissance profonde du monde du salariat et des conditions de vie des classes populaires et des petites-classes moyennes de la banlieue parisienne et de la province rurale et urbaine qui se coltinent "cet ancien réel" ; et tous les jours en plus !


Muray aurait-il été, à son insu, plus parisien-rentier dans ses analyses que tous les parisianismes réunis - et notamment celui de ses adversaires ? Ou bien, aurait-il passé trop de temps devant son poste de télé, et ce faisant, sombrant dans le piège d’un vrai-faux nouveau réel beaucoup moins vrai et réel dans les faits parce que... souhaité et partagé par une infime minorité, au terme d’un "tel est pris qui croyait prendre" aussi comique que pathétique.



***


Qui peut aujourd’hui douter du fait que si Muray avait été « au pouvoir », ses ennemis idéologiques n'auraient jamais pu bénéficier de la liberté d'expression et de publication qui fut la sienne ?!

Homme d’obsessions – la principale étant la sexualité, et plus particulièrement celle des autres… à la sexualité tout autre), on notera chez Muray l’absente de compréhension et de compassion à l’endroit de quiconque ne partage pas ses choix d’existence…

Car, le principal moteur de cet esprit hautement critique (critique plus que nécessaire, on en conviendra car, quiconque aujourd’hui n’est pas en colère est soit un salaud, soit un imbécile soit un escroc) aura été son intolérance congénitale jusqu’à l’aveuglement, telle une infirmité...


Intolérance qui a très tôt, et très certainement, décidé de tout. Et seule la mort a été capable de l’en délivrer (2).

Aussi…

Si l'on doit comprendre pourquoi Muray a fait cette oeuvre-là et pas une autre, reste à étudier, l’origine de cette intolérance (haine ?!) à laquelle il a consacré toute son énergie créatrice, tout son talent et toute son intelligence aussi incontestables que rares.


Intolérance jamais assouvie de son vivant parce que… jamais rassasiée.



2 -Vraiment, on est en droit de s’interroger sur le fait de savoir si des gens comme Muray ont eu vingt ans, ne serait-ce qu’une fois… et ce qu’ils en ont fait ! (Rapport à son traitement de la jeunesse).


Absence de don pour la vie ? Muray se vante d’avoir lu très tôt Céline ; cette inclinaison aurait dû alerter notre auteur et ses proches car, avec Proust, Céline est certainement un auteur que l’on ne devrait jamais lire avant 50 ans, sinon bien plus tard encore, lorsque, par exemple, le moment est venu d’aller chercher chez ces auteurs (et chez d'autres) sa propre terminaison dans une lecture-tombeau, dernière sépulture de vie pour des lecteurs convalescents et agonisants de l’existence.



***


Ironie suprême... bien que relative... car les exemples ne manquent pas : cet auteur s'est voulu l'avocat de l'altérité et de la différence contre l'uniformité du monde alors que tout dans son œuvre laisse à penser que Muray avait beaucoup, mais vraiment beaucoup de mal avec tout ce qui n'était pas lui-même... Philippe Muray.

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Les éditions

  • Après l'histoire [Texte imprimé] Philippe Muray
    de Muray, Philippe
    Gallimard / Collection Tel
    ISBN : 9782070783830 ; 18,50 € ; 17/05/2007 ; 686 p. ; Broché
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Haro sur Homo festivus !

6 étoiles

Critique de Colen8 (, Inscrite le 9 décembre 2014, 83 ans) - 16 mai 2018

L’esprit polémique libertaire et chagrin de Philippe Muray s’exprime à chaque ligne de ces éditoriaux mensuels publiés à l’origine dans la Revue des deux mondes il y a 20 ans de cela. Avec ce titre en écho à « La fin de l’Histoire » de l’américain Francis Fukuyama, il se lamente du basculement d’une époque du réel dans une virtualité post-historique exclusivement tournée vers la fête en tout lieu, à tout instant, pour tout le monde. Plus rien n’existe écrit-il ou plutôt le monde s’enlise dans une crétinisation générale ayant éliminé la pensée critique, ayant opté pour le règne d’une matriarchie croissante accompagnée d’une infantilisation servile, dans un déferlement de lois liberticides imposées par une dictature de la transparence, une uniformisation gommant les différences y compris entre les genres jusqu’à faire disparaître la libido.
Ses imprécations quasi obsessionnelles se suivent mois après mois durant deux ans contre les spectacles, parades de rue, pride et compagnie, contre le mondial de foot démontrant l’intégration réussie des enfants d’immigrés par la magie de la victoire finale des tricolores, contre les défilés indigents du cent-cinquantenaire de la Révolution, contre les déguisements grotesques d’Halloween ou les programmes imbéciles destinés à marquer le passage à l’an 2000. Elles continuent, ses imprécations donc, en s’en prenant à la presse écrite dans laquelle il trouve souvent ses têtes de turc, au gouvernement spécialement lors du débat sur les 35 heures, puis celui sur le Pacs, à ses ministres de la culture qui se piquent de promouvoir un art contemporain sans l’ombre d’art, s’extasient d’un Printemps des poètes tout aussi nul et ainsi de suite. Le tourisme de masse caractéristique de ce qu’il est convenu d’appeler la civilisation des loisirs n’est pas en reste : il consiste à parcourir le monde dans l’unique but d’y retrouver le même universel inodore et sans saveur. Quant aux bombardements de l’Otan contre la Serbie de Milosevic il les perçoit en tant que rappel à l’ordre d’un dictateur insoumis au nouvel ordre mondial festivocrate, droits de l’homme obligent.
Cette vision du monde sous l’angle exclusif de festivités mises à toutes les sauces est non seulement réductrice mais elle s’oppose aux analyses sociologiques de l’Insee à la même période. Serait-on encore dans le festif face à la financiarisation à outrance des échanges qui a conduit à la crise mondiale des subprimes, au creusement des inégalités en faveur des hauts patrimoines et revenus, à l’avènement d’un terrorisme barbare et inhumain poussant des millions de migrants à l’exil, aux atteintes à la qualité de l’environnement, au recul de la santé publique ? Reconnaissons à Philippe Muray d’avoir bien anticipé l’équivalence droite-gauche de la dernière élection présidentielle dans le vide abyssal de la pensée des partis politiques ne survivant que grâce à la menace frontiste. Il montre aussi une virtuosité dans l’écriture malgré une complaisance pour le verbiage tandis que son imagination dans la création de néologismes autour des mots apparentés au festif lui confère une forme d’humour à prendre au second degré.

Une analyse implacable

9 étoiles

Critique de CC.RIDER (, Inscrit le 31 octobre 2005, 66 ans) - 5 août 2013

De janvier 1998 à janvier 2000, Philippe Muray fit paraître des chroniques sous forme d'une sorte de bloc-notes mensuel dans la « Revue des deux mondes ». Ces textes furent d'abord regroupés en deux tomes sous le titre « Après l'Histoire I et II » puis en un seul volume agrémenté de notes pour replacer les évènements évoqués dans leur contexte et d'un happy end de l'auteur en forme de conclusion définitive sur le sujet (?) Le propos de Muray consiste à présenter un tableau aussi fidèle que possible d'une époque décadente et infantilisée qui ne pense plus qu'à une chose, faire la fête, s'amuser, se divertir. C'est du moins ce qu'Homo Festivus s'imagine et ce que les médiocres et les néfastes qui sont à l'origine de cette dérive veulent qu'ils pensent alors qu'eux ne songent qu'à tout détruire avec une constance acharnée, un totalitarisme borné et un juridisme rabique. Le festivisme est un abrutissement généralisé, voulu, organisé et souhaité par la masse qui ne se rend même pas compte dans quelle impasse on l'entraine. Les jugements de Muray ont la sévérité d'une condamnation sans appel. Ainsi écrit-il : « L'époque hyperfestive permet de se passer de raisonner » ou « Le festivisme est une épuration et une réanimalisation, bien plus encore qu'un programme continu et minutieux de divertissement. » En réalité, on ne divertit pas vraiment, on pervertit, on subvertit et on invertit avant liquidation générale et définitive de ce qui reste d'humain !
Pour illustrer son propos, Muray se sert des évènements marquants de ces deux années-charnière, la Gay Pride, la Coupe du monde de football 98, les raves-parties, la Techno-Parade, le théâtre de rue, les dîners de quartier, l'art contemporain qu'il vomit pour la nocivité de créations qui n'en sont pas, le cyclone de 99 ou les ridicules roues de l'an 2000 sur les Champs-Elysées. A chaque événement, à chaque page, il dénonce « un monde qui se passe du réel et ne s'en porte que mieux » et nous met en garde contre l'éradication du masculin l'emportant sur le féminin qui n'amènera qu'à la neutralisation des êtres humains et contre tout ce qu'on nous présente comme « moderne » et « dérangeant » qui n'est en réalité « qu'une guerre morbide livrée à ce qu'il reste de liberté ».
D'aucuns le taxeront de « nouveau réactionnaire », d' « anar conservateur » ou de « pamphlétaire désopilant », définitions que Muray récuse, lui qui se veut d'abord et avant tout romancier et également simple témoin de son époque. Un témoin plein de dégoût devant la vision du champ de ruines qui s'étale devant lui, ce monde insignifiant, sans consistance, sans Histoire, d'après l'Histoire. Ce temps de la fin que seules une description aussi horrifique que celle-ci et de grands éclats de rire devant son ridicule pourraient peut-être arrêter. D'un pessimisme absolu, cette analyse implacable de notre époque est néanmoins très drôle et très amusante en raison de l'ironie grinçante et de l'esprit mordant que le lecteur y trouve. Comme dans ses autres ouvrages, Muray use et abuse de néologismes soigneusement ciselés (« rebellocrate », « juvénocrate » ou « art contemporien »), de calembours (« Âge tendre et tête de noeuds ») et de jeux de mots (« mutins de Panurge », « l'empoté du bocal », « la nullité du bocal » ou « l'exalté du bocal »). Un petit chef d'oeuvre d'intelligence et d'humour noir à déconseiller quand même aux Bisounours et autres Tartuffe de la pensée unique qui pourraient le prendre pour une giclée de vitriol et ne jamais s'en remettre.

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