Oran, fin XIXème siècle.

Pierre Loti a écrit quantité de nouvelles ou d’articles au fil de ses voyages et pérégrinations. Parus dans des journaux, des revues, elles témoignent de l’intérêt du voyageur et de l’humaniste Pierre Loti, notamment pour les civilisations africaines, orientales, asiatiques.
Celle-ci a paru pour la première fois en feuilleton en octobre 1882 dans « Le Temps ».

« C’était en Algérie, - à Oran -, en 1869, époque à laquelle j’étais presque un enfant …
Les Arabes qui passaient étaient entortillés dans leurs manteaux et tremblaient.
Il y en avait un surtout qui paraissait transi ; il traînait une espèce de bazar portatif qu’il étalait devant nous et s’obstinait à nous vendre à des prix extravagants des colliers de pâte odorante et des babouches.
Une petite fille aux pieds nus, en haillons, se cramponnait à son burnous ; une délicieuse petite créature, qui était tout en grands yeux et en longs cils de poupée. Elle avait un peu l’exagération du type indigène, ainsi que cela arrive chez les enfants. Les petits Arabes et les petits Turcs sont tous jolis avec leur calotte rouge et leurs larges prunelles noires de cabris ; ensuite, en grandissant, ils deviennent très beaux ou très laids. »

Oran. Algérie. 1869. Suleïma est une petite fille. Suleïma va devenir aussi le nom d’une tortue que l’officier de marine Pierre Loti ramènera dans sa Bretagne. Dix ans vont passer et Pierre Loti de nous raconter le blues du marin, heureux de rentrer chez lui auprès de sa vieille mère, des siens, de sa chambre d’enfant, et très vite, en mal de mouvements, d’aventures, de voyages … Mais un ordre de mission va tomber qui ramènera l’officier de marine à Oran, sur ses anciennes traces. Et Suleïma a vieilli aussi. Elle n’est plus la petite fille aux pieds nus.

« Devant nous, appuyée à un mur blanc, il y a une jeune fille arabe, en haillons, qui nous regarde avec des yeux noirs déjà effrontés, mais bien beaux … Un resouvenir, un je ne sais quoi de déjà connu, me repasse en tête, et je l’appelle : « Suleïma ! »
Elle relève un peu ses sourcils, l’air étonné, et mord sa petite lèvre rouge, et puis se cache sous son voile en souriant.
Je lui dis ; « Tu es Suleïma, la fille de Kaddour, la petite à qui je donnais tous les jours des morceaux de sucre ici, il y a dix ans ? Regarde-moi, tu ne te souviens pas ? »
- « Oui, dit-elle, je suis bien Suleïma-ben-Kaddour. »
Mais elle a oublié ces morceaux de sucre, et, s’étonne un peu que je la connaisse par son nom. Et puis elle continue de rire, - et ce rire très particulier dit clairement le vilain métier qu’elle a déjà commencé à faire. »

La place de la prostituée est particulièrement prégnante dans l’œuvre de Loti, dans la vie des marins aussi, peut-être ? Au fil de ce Suleïma, il va nous conter le triste sort de cette petite fille montée en mauvaise graine. Et le parallèle est fait avec l’autre Suleïma, la tortue restée en Bretagne auprès de la vieille mère. Une histoire typiquement « Lotienne » !

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  Suleïma et autres nouvelles animalières [Texte imprimé] Pierre Loti,... textes réunis par Alain Quella-Villéger

  de Loti, Pierre Quella-Villéger, Alain (Editeur scientifique)
  Pardès / Éden (Collection).
  ISBN : 9782867140778 ; EUR 20,00 ; 18/03/2002 ; 154 p. ; Broché

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