Histoires pragoises de Rainer Maria Rilke

Histoires pragoises de Rainer Maria Rilke
(Zwei prager Geschichten)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Débézed, le 22 septembre 2010 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans)
La note : 8 étoiles
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Montée des nationalismes à Prague

Dans ce petit opuscule, dégotté dans une bouquinerie de Bécherel, destiné à être donné aux clients qui achètent d’autres produits de la même collection, l’éditeur a réuni deux histoires, deux récits qui pourraient être aussi des nouvelles. Ces deux histoires ont, en point commun, d’avoir pour toile de fond la grave question qui agite la jeunesse pragoise au tournant des XIX° et XX° siècles et qui débouchera sur les conflits apocalyptiques que nous connaissons maintenant, la question des nationalités tchèques et allemandes qui cohabitent assez difficilement à cette époque à Prague. Les jeunes font couramment le coup de poing dans certains lieux stratégiques que les guides de voyage ne manquent de vous signaler lors des visites de cette magnifique ville.

Dans la première, histoire, Le Roi Bohusch, un nain laid et disgracieux, qui côtoie une bande d’artistes et d’intellectuels sans jamais pouvoir émettre son avis, est fortement contrarié par cet ostracisme qui le condamne à se réfugier dans un riche imaginaire qu’il a construit à partir de ses souvenirs d’enfance avec une fillette du Palais Hradcani qui a étrangement disparu, dans un couvent diront certains. Quand il apprend un secret qu’il ne devrait pas connaître, le nain est confronté à une terrible tentation : comment taire la seule chose qui pourrait lui permettre d’exister vis-à-vis des autres.

La seconde histoire raconte la vie d’un frère et d’une sœur qui, après l’assassinat de leur père forestier d’un prince, se sont réfugiés à Prague avec leur mère et leur vieille servante. La fille ramène avec elle les fantômes qu’elle a imaginés en visitant le château local et le fils découvre l’hostilité des Tchèques envers les Allemands qu’il essaie de comprendre. Le destin fera que le sort de ces deux êtres soit absolument contraire comme si le sacrifice de l’un pouvait acheter le bonheur de l’autre.

Ces deux courts récits de jeunesse sont intéressants car ils montrent comment Rilke, fils de l’aristocratie allemande de Prague, prenait parti dans le conflit qui oppose les deux communautés. Sa position pourrait certainement un peu choquer aujourd’hui, il ne comprenait pas ce qui gênait les Tchèques, « … il croyait vraiment remarquer l’empreinte d’une oppression, d’un esclavage. Mais lorsqu’il regardait de plus près, il s’apercevait, à sa grande déception, que ce qui pesait sur ces épaules, c’était le joug de la pauvreté et de la misère, et non celui de la servitude. » Et il va même un peu plus loin en laissant entendre que les Slaves appartiennent à une ethnie ramollie en racontant comment le chef des insurgés recrute ses ouailles : « Et sa loi trouvait des disciples dans ce peuple slave plein de mollesse, qui se perd soi-même et se renie en perdant ses trésors de sentiment. » Il ne faut toutefois pas perdre de vue que ces récits sont des écrits de jeunesse et que Rilke a pu avoir un autre avis plus tard. Mais, tout de même, on connait le chemin que de telles idées ont emprunté tout au long du XX° siècle.

Rilke a pris soin de se placer du côté des Tchèques pour ne pas choquer et adopter la position des nationalistes mais, en fait, c’est pour mieux faire passer le message des Allemands. « Les Allemands sont partout et il faut haïr les Allemands. Je vous le demande, pourquoi cela ? La haine attriste. » Il voudrait ainsi stigmatiser la puérilité du combat des nationalistes qui n’a aucun sens car les deux communautés peuvent très bien vivre en bonne harmonie, mais à la seule condition que les Tchèques acceptent de courber l’échine devant les Allemands comme la mère du frère et de la sœur devant la noble Allemande qui lui fournit de l’ouvrage.

Il reste, tout de même, que ces courts récits annoncent déjà le grand écrivain que fut Rilke, sa maitrise de la construction, du vocabulaire, son style, son art de digresser, de divaguer, de promener le lecteur dans la ville, pour en fin réunir tous les éléments qu’il a semés dans une histoire forte qui porte en elle bien des prémices des tristes jours à venir. Et comment lire cela : « … j’estime qu’il est nécessaire que l’on hisse un homme de temps en temps au-dessus des autres, pas trop haut… », sans faire un raccourci, peut-être scabreux, je le concède, avec ce que l’histoire nous a montré.

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