Ramon de Dominique Fernandez

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Guermantes, le 26 août 2010 (Bruxelles, Inscrit le 18 mars 2005, 77 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 6 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (43 110ème position).
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Une enquête émouvante

Août 1944. Quelques semaines avant la libération de Paris a lieu, à Saint-Germain-des-Prés l’enterrement d’un « collabo ».Sont présents des officiels allemands, l’état major du PPF de Jacques Doriot, Drieu La Rochelle, Marcel Aymé et bien d’autres figures de la droite collaboratrice mais aussi Pierre Bost, François Mauriac, Jean Paulhan qui viennent saluer celui qui, avant de prendre ce virage funeste, fut leur ami. Car Ramon Fernandez, le défunt, fut un des plus brillants intellectuels français de l’entre-deux-guerres .Eminent critique littéraire, chroniqueur à la NRF, romancier en vogue ( il obtint le prix Fémina en 1932), il fut d’abord un homme de gauche, membre de la SFIO puis proche du Parti communiste avant de se tourner brusquement vers l’extrême droite. Comment cet homme d’une intelligence raffinée, ayant côtoyé Proust, Gide, Mauriac entre autres a-t-il pu sombrer dans la collaboration, s’afficher en uniforme aux côtés des occupants et faire figure de caution intellectuelle à Jacques Doriot ?
C’est cette énigme que Dominique Fernandez, fils de Ramon, tente d’éclaircir tout au long de ce livre magnifique où il s’attache à retracer l’itinéraire de ce père qu’il a si peu connu (ses parents s’étant séparés alors qu’il avait à peine sept ans) et à cerner dans la personnalité profonde de celui-ci les mobiles qui l’ont amené à choisir une trajectoire aussi infamante.
Né en France d’un père diplomate mexicain tôt disparu, Ramon Fernandez fut élevé par une mère possessive, envahissante. Il vécut une jeunesse de dandy fréquentant les salons aristocratiques parisiens, contribua à l’introduction du tango en France et fut un grand amateur de Bugattis et de motocyclettes. Parallèlement, il fréquenta les écrivains les plus en vue de l’époque, collabora assidument à la NRF et publia de nombreux essais (sur Molière, Gide, Proust notamment) qui dénotent, comme l’écrit Dominique Fernandez, « ses efforts pour se construire différent de ce que sa mère l’a fait ». Participe de ces mêmes efforts son mariage avec Liliane, femme d’une grande intelligence mais d’une nature introvertie et, à la limite puritaine, union qui s’avéra vite catastrophique. Est-ce dès lors un hasard si peu après cette rupture Ramon, lassé des incertitudes de la gauche, se tourna vers Doriot ? « En détruisant mon mariage, je me suis renié. Pourquoi ne pas ajouter au reniement philosophique le reniement politique ? Tant que nous y sommes, soyons renégat à fond. Parjurons-nous dans tous les domaines ». Telles sont en tout cas les sombres réflexions que lui prête son fils.
S’appuyant sur des témoignages, des correspondances, des journaux intimes, le travail quasiment exhaustif de Dominique Fernandez se révèle empreint d’une scrupuleuse honnêteté intellectuelle. S’il cherche des explications voire des excuses à la conduite de son père, il a toujours le scrupule d’exposer les éléments à charge autant que ceux à décharge. Son gros livre nous offre par ailleurs une fresque remarquable des milieux intellectuels français entre 1920 et 1944, ce qui ne compte pas pour peu dans l’intérêt que suscite la lecture de son ouvrage.
Celui-ci apparaît essentiellement comme une preuve d’amour filial de la part d’un fils qui n’a que trop peu connu son père et qui tente dès lors de combler le vide immense que cette absence a creusé en lui. Pour preuve cette réflexion qu’il émit lors de sa réception à l’Académie française et dans laquelle il laisse entendre que s’il avait posé sa candidature à cette vénérable assemblée, c’était aussi pour qu’il lui soit ainsi permis d’y faire résonner le nom de Ramon Fernandez.

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Poignant, passionnant et inégal

7 étoiles

Critique de Falgo (Lentilly, Inscrit le 30 mai 2008, 85 ans) - 11 juillet 2013

A 76 ans, Dominique Fernandez s'est résolu à publier un texte qui a dû l'occuper pendant toute sa vie. Comprendre son père et, surtout, les écarts entre sa vie personnelle, son activité de critique littéraire et son engagement politique est l'objet essentiel de ce gros livre. Cela en explique probablement autant les forces que les faiblesses.
Les premières résident dans la description de l'époque littéraire (Ramon Fernandez a fréquenté tous les écrivains majeurs), de l'histoire politique (essentiellement le Parti Populaire Français et Jacques Doriot, lieu de l'incroyable engagement politique de Ramon) et de l'oeuvre critique de Ramon Fernandez (nombreux livres dont un 'Proust' et un 'Molière', innombrables articles).
Les secondes sont dans l'accumulation de détails insignifiants pour un lecteur, sans doute importants pour l'auteur dans son parcours thérapeutique et son cheminement intérieur, mais lassants et alourdissant terriblement le texte.
Affleure constamment le désarroi d'un fils tentant désespérément de comprendre et de faire comprendre l'incompréhensible destin de son père. Nourri d'une prodigieuse documentation et porté par un style fluide, cela fait tout le prix et les faiblesses de cet ouvrage.

Un homme perdu

8 étoiles

Critique de Jlc (, Inscrit le 6 décembre 2004, 81 ans) - 27 juillet 2011

« Ramon » est un livre passionnant, foisonnant de notations personnelles, réflexion sur la littérature et l’engagement des intellectuels, récit de l’énigme d’une déchéance, portrait sans être biographie mais plutôt analyse au sens psychanalytique, vivante reconstitution du milieu intellectuel parisien de l’entre deux guerres, mais aussi quête sans fin d’un père perdu. Guermantes en a fait une belle critique et Lectio n’a pas tort non plus malgré un étoilement un peu chiche. Essayons donc une approche un peu différente.

Ce livre est d’abord la recherche d’un père par son « non-fils », Ramon Fernandez ne portant à ses enfants qu’un intérêt distrait, sans vraie tendresse. Le fils connaît toutes les qualités intellectuelles du père et sa recherche remet en valeur son œuvre littéraire, tombée quelque peu dans l’oubli. Ramon Fernandez fut un critique littéraire tout à fait exceptionnel et ses livres sur Molière ou Proust font encore aujourd'hui autorité par leur approche originale: « ce n’est pas la vie qui éclaire l’œuvre, mais l’œuvre qui établit ce qu’a été la vie. » Ses choix critiques n’ont jamais été inspirés par ses opinions politiques et ils ont même été parfois courageux. Ainsi écrire en 1943 un livre à l’éloge de Marcel Proust, « juif, homosexuel et décadent » n’était certainement pas pour chercher à plaire aux férus du nazisme qu’il fréquentait par ailleurs dans les défilés du PPF, le parti de Doriot.

Comment ce brillant intellectuel, ami de bien des écrivains majeurs de cette époque a-t-il pu sombrer dans « le pernod et le fascisme » ?
Le fils connaît aussi les défauts du père, son égoïsme, sa violence, notamment envers sa femme, sa lâcheté paternelle, sa faiblesse de caractère. « Là où il aurait fallu des règles sévères pour fortifier son caractère, il ne trouva que la complaisance et l’aveuglement d’une Mama ». Le lien que fait le fils entre le reniement politique de son père et le divorce de ses parents est peut-être moins important que le complexe d’infériorité de l’intellectuel devant l’homme d’action. Ramon a toujours regretté de n’avoir pas « fait » la guerre de 14. Son engagement au PPF est peut-être une tentative de réconciliation de l'action et de la réflexion. Elle fut vaine, « l’ascension du politicien coïncida avec la démission de l’intellectuel ». L’auteur pose bien le problème de la responsabilité des intellectuels et de leur engagement, s’appuyant notamment sur une réflexion lucide de Ramon en 1938 : « L’homme moderne croit offrir ses idées à la société ; il n’a que les idées que la société lui offre ».

« L’orgueil ne donne sa mesure que dans l’échec » écrit-il dès 1933. Dominique Fernandez rend compte remarquablement bien des contradictions, des ambiguïtés qui conduisent à ce naufrage. En revanche, il est moins convaincant quant à l’homosexualité présumée de son père et son insistance ressemble à un besoin d’appartenance alors que l’essentiel n’est pas là.

Ce livre est aussi celui d’un romancier et il y a dans « Ramon » des pages romanesques magnifiques, sur les origines mexicaines, la famille de Toulon, l’enfance écartelée entre une mère « janséniste » et un père d’autant plus aimé qu’il est absent. Il faut lire la scène d’ouverture sur l’enterrement de Ramon Fernandez, la description brillante des milieux littéraires avant et après la césure qu’a été le 6 février 34, la soirée Goethe à la Comédie Française en 1942 où Ramon, accompagné de sa nouvelle épouse, feint de ne pas reconnaître ses enfants qui sont avec leur mère.

« Cet homme m’échappe. Ce qu’il fait, je le vois. Mais qui était-il de l’autre côté de ses actes ? » écrit Dominique Fernandez à la fin de son très beau livre. Je ne suis pas sûr qu’au bout de sa recherche il ait retrouvé cet homme perdu qui fut aussi son père.

sérieuse biographie

1 étoiles

Critique de Lectio (, Inscrit le 16 juin 2011, 75 ans) - 18 juin 2011

L'ouvrage imposant (+ de 700 pages) ne comporte d'instruction à charge ni à décharge. Il n'est pas un procès. Auteur de la biographie de son père, Dominique Fernandez cherche, analyse, tente d'expliquer avec minutie et objectivité pourquoi un intellectuel et critique littéraire majeur à son époque, passe des salons mondains au socialisme, puis au communisme et enfin s'enfonce dans le nazisme et la collaboration. Mais c'est avant tout l'histoire du désastre d'un homme noyé dans l'alcoolisme jusqu'à la déchéance physique, intellectuelle et morale. Chaque champ de possible longuement exploré par l'auteur n'explique vraiment cette perdition. La place occupée par Ramon dans la vie littéraire de ces années nous éclaire sur l'histoire intense et riche du monde de la littérature et de l'édition de cette période. Ce livre pose aussi (débat toujours d'actualité) la question de l'engagement et de l'aveuglement des intellectuels pour les idéologies. Toutefois ce livre est avant tout une thérapie, donc un ouvrage trop personnel pour lequel il est bien difficile de se sentir concerné. Les longues énumérations (le journal intime de la mère de l'auteur entre autres), la répétition des analyses disséquées, rendent ennuyeuse la lecture de récit épais qui aurait largement gagné à plus d'ouverture et de légèreté.

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