L'original de Laura (C'est plutôt drôle de mourir) de Vladimir Nabokov
( The original of Laura)
Catégorie(s) : Littérature => Anglophone
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Autodafé ou exégèse?
« L’original de Laura (c’est plutôt drôle de mourir) » est le dernier ouvrage auquel ait travaillé Vladimir Nabokov avant de mourir en juillet 1977. Il avait expressément demandé à sa femme, Véra, de brûler tout ce qu’il n’aurait pas eu le temps d’achever. Elle n’en fit rien et leur fils a pris la décision, trente ans plus tard, d’outrepasser la volonté de son père et de publier ce document.
De quoi s’agit-il ? 138 fiches cartonnées que l’auteur utilisait pour ses travaux préparatoires ébauchent l’histoire d’un triangle amoureux entre un homme âgé et très corpulent, Philip Wild, Flora sa femme « impatiente beauté de vingt quatre ans » et Eric l’amant qui écrit son histoire avec Flora rebaptisée Laura. Flora est donc « l’original » de Laura. Puis les fiches perdent leur ordre initial et l’auteur part dans des considérations plus ou moins reliées à l’histoire initiale avec notamment la volonté de Philip de se venger en une sorte d’autodestruction corporelle.
On ne peut parler d’un roman inachevé tant le travail publié est sommaire même s’il y a ici ou là quelques phrases superbes – ainsi « que peut-il y avoir de plus triste qu’un artiste découragé qui meurt non pas de ses banales maladies personnelles mais du cancer de l’oubli ». Ces fiches sont publiées sur un beau papier légèrement bistré avec en haut de page le fac-similé de l’original manuscrit et en dessous la traduction. L’éditeur anglo-saxon les présente sous forme de classeur permettant au lecteur de détacher les fiches, les battre et se livrer, pourquoi pas ? à une sorte de jeu des cadavres exquis cher aux surréalistes. Gallimard n’a pas osé aller jusque là et il a eu raison.
Fallait-il brûler ces fiches? On peut comprendre que sa femme puis son fils, aient hésité. On raconte que Véra avait déjà sauvé des flammes un manuscrit de « Lolita ». Pourtant Nabokov avait écrit, dans une préface à sa traduction du roman en vers de Pouchkine « Eugène Onéguine » : « Un artiste devrait détruire sans pitié ses manuscrits après la publication pour qu’ils ne conduisent pas des médiocrités universitaires à penser qu’il est possible de comprendre les mystères d’un génie en étudiant des versions supprimées. Dans l’art les objectifs et les plans ne sont rien, il n’y a que les résultats qui comptent ». On sait aussi combien cet écrivain était extrêmement perfectionniste, très attaché à l’intégrité de son œuvre. Mais enfin on peut comprendre les hésitations familiales.
Fallait-il les publier ? Dépassons le coup médiatique et l’éventuelle opération financière. Il reste un intérêt romanesque pour le moins limité à ce stade de l’ébauche et je ne vois pas, mais je ne suis pas un spécialiste, ce qu’une exégèse de ce texte peut apporter à la compréhension de l’œuvre de Wladimir Nabokov. Mais surtout j’ai eu l’impression de pénétrer par effraction dans l’atelier d’un artiste pour voir ce qu’il ne veut pas encore montrer, ou dans les coulisses d’un théâtre où un illusionniste –c’est ainsi que Nabokov qualifiait le romancier- répète avec difficulté les tours de magie qu’il va présenter au public. Il y a quelque voyeurisme littéraire à jeter un œil par-dessus l’épaule d’un vieux monsieur diminué qui sait bien que ce n’est pas drôle de mourir.
Plutôt que Laura, allez retrouver Lolita ou Ada.
La dernière fiche est composée de sept mots : « Effacer, supprimer, gommer, biffer, éliminer, rayer, oblitérer ». Est-ce l’aboutissement de l’autodestruction de Philip Wild ou la demande de Vladimir Nabokov ?
Les éditions
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L'original de Laura [Texte imprimé], c'est plutôt drôle de mourir Vladimir Nabokov édité par Dmitri Nabokov traduit de l'anglais (États-Unis) par Maurice Couturier
de Nabokov, Vladimir Nabokov, Dmitri (Editeur scientifique) Couturier, Maurice (Traducteur)
Gallimard / Du monde entier (Paris)
ISBN : 9782070125791 ; 18,20 € ; 23/04/2010 ; 163 p. ; Broché
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Lecture 5 étoiles
Critique de Serguei (, Inscrit le 29 juin 2005, 50 ans) - 1 décembre 2010
D'abord, le lecteur a le privilège de pénétrer le processus artistique d'un grand écrivain et cela reste un plaisir rare. La méthode de création par fiches est propre à Nabokov et le choix de publier le texte original sous forme de fac-similés de ces fiches nous permet de visualiser, de donner réalité à ce qui jusqu'à présent n'était mentionné que dans les ouvrages critiques. Ce plaisir n’est d’ailleurs pas réservé aux seuls spécialistes et autres exégètes de Nabokov, il est celui de tous les « bons lecteurs » (au sens nabokovien du terme).
La deuxième raison est qu'en dépit de l'état embryonnaire du texte, la magie fonctionne, l’imagination flambe en lisant la prose du maître et nous sommes plongés encore une fois au cœur même de l’aventure poétique.
Ce protoroman est injugeable. Les 5 étoiles que je lui vote, juge de ma lecture et non pas de l'hypothétique valeur-en-soi d'un texte en éternel devenir.
Un mot sur la traduction de Maurice Couturier : elle est précise, sérieuse mais aussi vivante qu'une planche d'anatomie. Je ne sais pourquoi, malgré toute sa bonne volonté universitaire, j'ai toujours le sentiment qu'il manque le souffle de la vie aux phrases de ce monsieur.
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