Un grand tableau à l'encre toxique.

Sous des aspects "de premier jet", la Poésie de St-John-Perse est peut-être l'une des plus exigeantes de tout le XXème siècle français. Je pense que cette affirmation trouvera une excellente illustration dans les quatre recueils qui rivalisent en mots saugrenus, inhabituels, collectionnales, désuets ou savamment surannés. La prose de St-John-Perse est une armoire à parfums contenant des centaines de fragrances oubliées : on peut aisément imaginer comme il est bon d'en ouvrir la vitre !
J'ai du mal avec sa poésie en prose, qui est assez déstabilisante car non codifiée - comme le dit Rimbaud, dans Soleil et Chair, la liberté de l'homme ne peut entraîner que son malaise -, écrite d'une manière très dédaigneuse des rythmes et des typographies : ne vous offensez pas si un vers dégouline sur plusieurs lignes en se coupant à n'importe quel endroit, ni si des phrases longilignes vous font perdre le début des propositions. C'est que St-John-Perse a la volonté de marquer ses poèmes d'une impression délétère et délébile, comme un grand tableau à l'encre toxique.
Certains poèmes sont en effet difficilement compréhensibles à qui n'a pas passé une agrégation de biologie - j'entends par là tout être pour qui la signification d'euphorbe, d'achaine, d'anophèbe est tristement inconnue. Et j'avoue que d'ouvrir un dictionnaire en pleine lecture est assez irritant.
Bien sûr, les qualités habituelles de St-John-Perse sont au rendez-vous : une poésie photographique de paysages exotiques, une volonté de dépaysement hautement personnelle, une émotion tendue, presque douloureuse dans ses poèmes qui deviennent, alors, exigeants et complexes. Trop pour moi, sans doute : je pense que St-John-Perse aurait été plus percutant en étant plus simple; et le contraste entre ce vocabulaire entomologiste vertigineux et la tortuosité de ces phrases géantes est difficilement assimilable. C'est un peu comme lire des endécasyllabes, ce vertige à la lecture, et cette profondeur à l'analyse m'ont laissé un peu pantelant.
Et pourtant je suis persuadé de n'avoir pas gratté au delà des premières couches !
Une poésie somptueuse et faste, servie par un lexique phénoménal, mais à ne pas mettre entre toutes les mains. Cependant, quelle beauté dans ce cri de révolte, face à la mer, au couchant, à ces thèmes si connus de la Poésie, mais revisités avec la cécité des regards neufs !

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  Éloges [Texte imprimé] Saint-John Perse

  de Saint-John Perse,
  Gallimard / Collection Poésie (Paris. 1966).
  ISBN : 9782070302468 ; 7,50 € ; 20/01/1967 ; 221 p. ; Broché

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