Les neuf visages du coeur de Anita Nair

Les neuf visages du coeur de Anita Nair
( Mistress)

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique

Critiqué par Elya, le 14 juillet 2010 (Savoie, Inscrite le 22 février 2009, 34 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 298ème position).
Visites : 4 729 

Originalité sans exotisme

Une rencontre. Celle de Chris, jeune écrivain occidental fraichement débarqué dans une Inde peu connue, avec un couple, Rhanda et Shyam, et Koman (l'oncle), ce vieil homme dont Chris vient découvrir sa vie de danseur.
De là démarre une multitude d'histoires, par l'intermédiaire des liens qui se font et défont entre ces différentes personnes, faisant ressurgir les émois du passé.
Dès cette rencontre, l'envoûtement commence, facilité par la mise en forme originale et poétique du roman. Chaque chapitre est résumé par une émotion (amour, émerveillement, peur...), et précédé par une description minutieuse du mouvement de la pensée menant à cette émotion et du modelage du visage qui en découle. Ces neuf chapitres, ce sont les neufs visages du coeur, car "c'est avec le visage que l'on transforme les pensées en langage sans paroles".
Ensuite, ce sont les différents protagonistes qui prendront la parole à tour de rôle. C'est à nouveau un procédé séduisant que nous propose Anita Nair, car cela nous permet une connaissance beaucoup plus omnisciente et objective. Nous ne sommes pas un monde manichéen, tous ont des vices. Par exemple, Radha tendrait à nous faire croire qu'elle est une femme "parfaite" aux yeux de la société, dévouée à son mari, qui semble stupide. Et lorsque Shyam s'exprime, on réalise que Rhada a une attitude en réalité très méprisante.

Enfin, la dernière subtilité de ce roman est dans doute la plus réussie, c'est ce autour de quoi il se dresse : le kathakali, cet art dansant traditionnel indien, dont il est d'ailleurs très réducteur de le définir ainsi. Nous sommes prévenus : "Je sais que l'univers dans lequel je m'apprête à vous entrainer vous est quasi inconnu. Je comprends votre crainte que tout cela ne vous dépasser. Mais je veux que vous sachiez que ce serait pour moi un échec si je n'arrivais pas à vous communiquer ne serait-ce qu'un peu de l'amour que j'éprouve pour mon art."
Si l'on voulait résumer en un mot la vie de l'oncle, ce serait kathakali. Il saura bien mieux que moi vous expliquer pourquoi. "J'ai eu une existence ordinaire que l'art a contribué à sublimer. Dans l'histoire que je vais raconter, tu découvriras peut-être, comme moi à travers ma narration, comment mon art a régné sur ma pensée et ma vie, comment il m'a permis de transcender mes peurs secrètes. Finalement, le plus important, c'est que l'art confère un sens à la vie."
C'est ainsi que démarrent ses confessions, habiles, sincères et passionnantes, devant Chris et Rhanda, captivés, et dont l'histoire de l'oncle attisera la passion adultère.
Mais pour comprendre comment cet art a pu prendre tant de place dans la vie de l'oncle, il devra raconter le passé de son père, Sethu, et rendre tout ce passé aguicheur, en créant "une atmosphère où le réel était aux prises avec le rêve".

De tous ces récits qui s'entremêlent, le sentiment d'amour revient en leitmotiv, qu'il soit innocent, caché, indestructible, aveugle...
Les réflexions sur l'art sont aussi récurrentes et intéressantes, qu'elles condamnent la modernité ou l'excusent, ".. je n'ai absolument rien contre l'art populaire. Il demande peu d'effort du public et il est accessible à tous. Mais les formes classiques de l'art sont plus exigeantes. On n'en devient pas un connaisseur du jour au lendemain. Il faut apprendre à s'imprégner de ses nuances. Il faut du temps pour être à même de saisir les intentions de l'artiste. Evidemment, cela signifie que le public est limité et les gratifications encore plus. Alors, quand je vois quelqu'un comme Sundaran massacrer le kathakali pour s'assurer le succès, en le dépouillant de tout ce qu'il a de noble, de subtil et de complexe, je trouve ça répugnant. Il flatte le public en lui offrant un divertissement facile sous couvert d'art classique".
Enfin, Anita Nair laisse une porte ouverte aux discussions autour du tourisme en Inde : "Ils arrivent, remplis d'espoir, s'imaginant avoir trouvé un paradis tropical où ils vont vivre l'expérience de leur vie. Puis la routine s'installe et l'exotique devient sordide. Ce qu'ils trouvaient désuet devient inefficace et la spiritualité est rebaptisée paresse. Et quand ils retrouvent leur nid douillet et leurs habitudes, ces aspects négatifs s'estompent et ils se mettent à parler de leur séjour en Inde avec un tel enthousiasme qu'ils font de nouvelles recrues qui viennent chercher un sens à leur vie."

Quelques longueurs accompagnent tout de même ce récit habile, bien documenté, original, idéal pour une lecture d'été.

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Kathakali, au cœur du Kerala

8 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans) - 11 janvier 2016

Anita Nair vit au Kerala. Un Etat singulier à l’extrême sud-est de l’Inde, l’Etat du Kathakali. Kathakali, un art qui tient du théâtre, de la danse, du mime, qui nécessite énormément d’informations préalables pour pouvoir être apprécié à sa juste valeur.
Anita Nair utilise les neuf sentiments (« navarasams ») qu’un acteur de Kathakali doit être capable de faire ressentir par ses mimiques faciales, ses postures, d’une manière extrêmement codifiée et rigide - qui peut donner, justement pour les incultes en la matière que nous sommes, un aspect ridicule et pathétique – pour amener les différents chapitres de son histoire, une histoire d’amour impossible ( ?) entre une Keralaise, Radha, et un Anglais, Chris, venu « étudier » l’art du Kathakali auprès d’un maître acteur, Koman, l’oncle de Radha. Oui, c’est cela l’histoire. Mais plus encore c’est l’histoire du choc civilisationnel entre l’Occident et l’Inde, incarnés tous deux par Radha et Chris.
Et quels sont ces « navarasams » me direz-vous ? Oh, rien que d’essentiel en matière de sentiments humains :
- Sringaram (l’amour)
- Hasyam (le ridicule)
- Karunam (la pitié)
- Raudram (la colère)
- Viram (la bravoure)
- Bhayanakam (la crainte)
- Bibhatsam (le dégoût)
- Adbhutam (l’émerveillement)
- Shantam (la paix)
Et chacune de ces expressions ouvre un chapitre de ces « neuf visages du cœur ».
C’est parfaitement monté, écrit, et nous assistons, sur l’intervalle de quelques semaines à la naissance et la montée de la passion entre Radha et Chris puis l’échec de cette passion, un échec qui fait écho à ce qu’a pu connaître jeune, l’oncle, Koman, et qui nous est raconté en contrepoint.
Une manière élégante de nous faire rentrer dans l’univers mystérieux du Kathakali et de nous faire toucher du doigt la difficulté de l’amour entre deux êtres de civilisations si différentes.
Sans compter qu’Anita Nair parvient également à nous glisser ses considérations sur les différences, sociétales cette fois-ci, entre ceux qui ont surfé sur la montée en puissance de l’économie indienne, devenant de riches parvenus, et les Indiens qu’on qualifiera de « la vieille école ». Ca, c’est la partie entre Radha et Shyam, le mari de Radha. Ce thème a également été abordé par Anita Nair dans « Quand viennent les cyclones ».

Ambiance du Kerala

8 étoiles

Critique de MeliMelo (, Inscrite le 18 novembre 2010, 36 ans) - 23 octobre 2012

J’ai lu ce livre au retour d’un voyage en Inde dans le Kerala, région dans laquelle se passe l’intrigue du roman. J’ai été ravie de retrouver un peu de l’ambiance que j’ai rencontré sur place, même si le touriste occidental en prend gentiment pour son grade dès les premières pages.
Chacun des personnages raconte tour à tour son point de vue sur les évènements. Pas de redondance pour autant, les histoires se complètent et le contour des protagonistes s’étoffe de cette description à plusieurs voix.
Plusieurs histoires sont imbriquées les unes dans les autres : celle du trio Chris, Shyam et Radha, celles des parents de Koman, et enfin la vie de Koman qui tourne autour du kathakali. C’est avec plaisir qu’on quitte un des récits pour se replonger dans celui qu’on avait laissé quelques pages auparavant. Les explications sur le kathakali qui s’intercalent à chaque début de chapitre (chacun dédié à un sentiment) auraient pu être fastidieuses, mais elles restent brèves et sont les bienvenues après le bref aperçu que j’ai eu de cette danse en Inde. Les parallèles entre les épisodes de la vie de Koman et les légendes du kathakali qu’il a pu interpréter au cours de sa carrière de danseur mettent en relief le dévouement de l’artiste à son art.

amour et kathakali

10 étoiles

Critique de Jfp (La Selle en Hermoy (Loiret), Inscrit le 21 juin 2009, 75 ans) - 16 janvier 2011

Un voyage au Kerala (un des états du sud de l'Inde), au pays du kathakali, sorte de théâtre dansé traditionnel représentant les scènes de la mythologie hindoue. Kris, un écrivain joueur de violoncelle, est venu à la rencontre de Koman (l'Oncle), un célèbre interprète de ce spectacle total, qui touche autant au corporel qu'au spirituel. Koman va petit à petit lui raconter sa vie et celle de ses proches, en la mêlant inextricablement aux scènes qu'il a interprétés tout au long de sa carrière. Un mystère plane autour de ces deux personnages, qui éprouvent une étrange attirance l'un pour l'autre malgré l'éloignement de leurs cultures. Chris va tomber amoureux de la nièce de Koman, Radha, qui s'ennuie très fort dans les bras de son mari, riche homme d'affaires trop avide de richesses matérielles et peu attiré par le spirituel et la culture. Anita Nair joue sur les contrastes entre les multiples facettes de ces personnages, partagés entre modernité et tradition, entre désir et réalité. Ce roman psychologique, à la construction particulièrement soignée, se lit en fait comme un roman policier, tant on est avide de connaitre la face cachée des personnages, de leur passé, qui se dévoile petit à petit pour le plus grand bonheur du lecteur. Une réussite...

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