Alexis ou le traité du vain combat - Le Coup de grâce de Marguerite Yourcenar
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Quelle psychologie, quelle profondeur !... Quel style !
Marguerite Yourcenar a publié ce livre pour la première fois en 1929. Elle n’avait que vingt six ans. En le lisant, vous serez étonné de la profondeur de ses réflexions, de la maturité qu'elle montre dans l’analyse psychologique et dans la perception de la vie en général.
L'histoire en est très simple. Un jeune homme écrit une longue confession à sa jeune femme, tentant d'expliquer tout ce qu’il n'est jamais arrivé à lui dire. Nous comprenons bien vite que son mariage a été un échec et qu’il prend toute la responsabilité de cet échec. Pourquoi ?… Qu’est ce que cet homme, pourtant très raffiné, a bien pu commettre de si grave ? Il ressent manifestement sa faute comme très lourde, car il n'arrive pas à la dire et ses multiples analyses de la première partie du livre, pour pertinentes qu’elles soient, paraissent bien une préparation à l’aveu inévitable.
Il est issu d'une très grande famille autrichienne, quasiment ruinée, et a perdu plusieurs sœurs ainsi que sa mère. Eduqué en grande partie par elles, sa sensibilité au monde féminin est très développée. Il y a en ce jeune homme une terrible culpabilité, mais aussi une nostalgie, un désir d'éloignement de la vie qui saisit. Il nous raconte sa jeunesse qui pourrait presque se résumer à une peur quasi constante. Seules sa mère et ses soeurs arrivaient à calmer cette peur, par ce calme qui les habitaient et qu'il décrit ainsi : «. il en était de leur présence comme de ces lampes basses, très douces, qui éclairent à peine, mais dont le rayonnement égal empêche qu’il ne fasse trop noir et qu’on ne soit vraiment seul. »
Il est affolé à l'idée que sa vie a beau être unique, elle est quand même déterminée par un passé contre lequel il serait vain de lutter : « Sa vie n'est qu’à lui-même, qui ne sera pas deux fois, et qu'il n’est pas toujours sûr de comprendre tout à fait. » Et puis, il y a ces fameux instincts, les bons et les mauvais, mais il est sans illusions : « .je sais bien que les instincts dont nous sommes fiers et ceux que nous n’avouons pas ont au fond la même origine. Nous ne pourrions supprimer l'un d’eux sans modifier tous les autres. »
Quant à ne s'être pas confié aux autres, l'explication en est simple à ses yeux : « Les confidences, mon amie, sont toujours pernicieuses, quand elles n'ont pas pour but de simplifier la vie d'un autre »
Une analyse psychologique tout en finesse, une lucidité bien grande pour une femme de vingt-six ans !. Et que dire de son écriture !… C'est déjà la grande Marguerite Yourcenar et, pour aussi démodé que cela puisse paraître, que l'usage de ces subjonctifs sonne bien à nos oreilles : « Et, pour la même raison, j'eusse préféré que vous fussiez moins belle. » Qui écrit encore comme cela aujourd'hui ?. Est-ce indispensable ? Non. mais que c'est beau !
Les éditions
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Alexis ou le Traité du vain combat [Texte imprimé] Marguerite Yourcenar
de Yourcenar, Marguerite
Gallimard / Collection Folio
ISBN : 9782070370412 ; 7,50 € ; 19/07/1978 ; 242 p. ; Poche
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Critique de Aktukritik (Nantes, Inscrit le 23 août 2011, 39 ans) - 22 décembre 2011
Difficile d’imaginer que Marguerite Yourcenar n’avait que 24 ans quand elle a soumis le manuscrit d’Alexis ! Et pour cause : le texte est écrit dans un style qui rappelle les casuistes du XVIIème siècle, siècle de l’ascèse, du jansénisme et du classicisme le plus rigoureux.
Analyse
Comment une aussi jeune femme a pu s’inspirer de textes moraux vieux de 200 ans ? C’est délibéré. Yourcenar explique, dans l’apparat critique d’Alexis, qu’elle ne voulait pas d’un style trop moderne, d’un langage facile ni de détails trop crus. Le propos du livre est déjà en soi une provocation : en ce début de XXème siècle, l’homosexualité est un tabou. Elle a donc fait le choix de parler d’un sujet choquant à demi-mots, par évocations suggestives, et avec toutes les précautions dignes des jésuites dans leurs traités de morale : parler d’un vice avec détachement, sans tomber dans le graveleux ni le roman à l’eau de rose.
Les phrases sont courtes, mais chaque mot est pesé, rien n’est laissé au hasard. Tout s’articule, la cohérence de l’ensemble, surtout pour une œuvre de jeunesse est spectaculaire. Cette économie du récit où chaque événement et même chaque mot a sa place rappelle les meilleurs livres de Romain Gary.
Elle a également choisi la forme de la lettre, ce qui implique pas mal de contraintes (pas de pauses par le chapitrage, l’énonciation et le nombre de personnages sont drastiquement limités). Contrairement au pavé des Liaisons dangereuses (désolée pour les fans !), Yourcenar fait le choix de la concision. Le fait qu’il n’y ait qu’une seule et unique lettre renforce l’effet dramatique : on tient entre les mains un document inhabituel, unique, presque précieux.
La concision contourne le risque d’essoufflement : assurément, 123 pages, c’est peu ; mais puisque l’essentiel est évoqué… Plus, ce serait trop !
Et puis c’est une lettre de rupture qu’un mari adresse à sa femme : le lecteur est d’emblée dans une position de voyeur. Les choix stylistiques de Yourcenar tout au long du récit permettent de renverser la situation, puisque le style suranné annule « l’effet brulot ». Du moins, c’est ce que prétend l’auteur dans son apparat critique…
Avis de la commentatrice
Pour ma part, j’étais un peu déstabilisée par l’hiatus entre le fond éminemment moderne et la forme, vieillotte par moments à l’excès. Mais c’est un choix audacieux qui a forgé le style de Yourcenar, et qui a porté son auteur jusqu’à l’Académie française !
Un livre qui n'est pas vain
Critique de Tchifto (Paris, Inscrit le 27 décembre 2005, 60 ans) - 27 décembre 2005
D'une grande humanité en même temps.
Un peu le pendant de "la lettre d'une inconnue" de Zweig, en sens inverse cela dit, puisque la femme du roman de Zweig est victime de l'indifférence de celui qu'elle a aimée - alors qu'Alexis est plutôt victime de sa propre différence...
des moeurs désertés
Critique de B1p (, Inscrit le 4 janvier 2004, 51 ans) - 25 février 2005
Moi aussi je suis tombé sous le charme.
Moi aussi je suis effaré par la profondeur et et la finesse de l'analyse du comportement humain.
Moi aussi j'ai peine à croire qu'on puisse atteindre un tel degré de maturité à 25 ans.
Moi aussi je suis envoûté par l'emploi de l'imparfait du subjonctif.
Que dire de plus ?
un bémol peut-être...
Toute formidable qu'elle soit, l'écriture me semble venir d'un lointain passé tombé dans l'oubli. C'est beau, c'est fort... comme un vieux film en costume où les sentiments seraient exacerbés.
Mais pour ceux qui, comme moi, recherchent l'émotion brute voire brutale, tout cela a un parfum définitivement suranné.
Indispensable néanmoins dans toute bibliothèque, et la poussière, et le temps viendront déposer sur ce volume toute la beauté des vieilles demeures à jamais désertées...
Quelle beauté
Critique de Maria-rosa (Liège, Inscrite le 18 mai 2004, 69 ans) - 21 février 2005
vain ???
Critique de Monito (, Inscrit le 22 juin 2004, 52 ans) - 20 février 2005
On reconnaît tout le talent de cet écrivain qui est sans conteste un des plus grands du 20ème siècle. On doit aussi souligner la perspicacité d’une femme qui parvient à faire vivre par l’écrit les sentiments éprouvés par de nombreux hommes face à la vie qu’ils se choisissent ou qu’ils se laissent imposer, par confort, par crainte, par manque de courage ou simplement par lassitude de questions auxquelles ils ne veulent ou ne peuvent répondre.
D’aucuns pensent que dire ce qu’on a sur le cœur par le biais d’une lettre n’est guère courageux. Alexis fait ce choix. Il écrit à sa femme pendant près de trois semaines pour lui dire tout, pour se dire tout, dans toute la nuance que peut prendre l’écrit, dans les détours qu’il permet, dans la sincérité qu’il suscite. C’est donc véritablement un acte de bravoure et de libération qu’entreprend Alexis. Ce texte est intemporel, les sentiments qui y sont décrits sont de tous les temps. Si nos sociétés peuvent être moins « choquée » par ce qui motive Alexis, rien ne permet de croire que le choix d’une vie, d’un mode de vie soit plus simple aujourd’hui qu’hier, c’est toute la portée de ces quelques 120 pages…
La langue de Marguerite Yourcenar est une des plus riches qui soient, parce que restant simple, elle cherche et trouve le mot juste, dans les formes les plus fortes.
Si le combat peut être vain, il mérite sans doute un jour d’être mené, parfois de manière égoïste, c’est ce que fait Alexis, il en a trouvé la force et le courage. Ce combat n’est donc pas si vain.
Toujours aussi beau !
Critique de Jules (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans) - 2 février 2005
Oui, toujours aussi beau, plein de finesse et de style. Un grand livre ! Madame Yourcenar ne méritait pas ce très long silence...
Ne croyez pas que j'ai payé Sophi pour qu'elle fasse des critiques éclair sur des livres que j'adore. Mais en tout cas j'en suis très heureux. J'aime les voir réapparaître soudain à la lumière comme quand je les reprends pour les feuilleter ou les relire.
Quelle écriture !
Critique de Sophi (Paris, Inscrite le 2 février 2005, 56 ans) - 2 février 2005
L'écriture de Marguerite Youcenar, dans ce roman comme dans "le coup de grâce" est un exemple de la maitrise la plus totale de la langue française.
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