L'enfer de Dante

Rodin. La porte de l'enfer. Ces corps qui se tordent, qui tombent à la renverse. C'est à croire qu'elle a été sculptée en référence au bagne. Cayenne, la Guyane, la forêt mangeuse d'hommes. Un frisson d'horreur.
L'affaire Seznec. Probablement une des plus grandes erreurs judiciaires de tous les temps. Cela se passe en Bretagne, en 1923. Un homme disparaît, qui ne réapparaîtra jamais : Pierre Quémeneur. Guillaume Seznec, qui était associé avec lui, devient le suspect idéal. Sans cadavre, sans preuves, sans aveu, avec une enquête escamotant tous les faits favorables à l'accusé, l'affaire Seznec commence. Seznec est condamné en 1924 aux travaux forcés à perpétuité : la Guyane. Et là ...
Le bagne. L'image qu'on s'en fait, le forçat, boulet au pied. Mais l'homme, derrière le forçat, le voit-on ?
Denis Seznec est le petit-fils de Guillaume Seznec. Après Marie-Jeanne, l'épouse tant aimée de Seznec, Marie-Anne, sa mère, Jeanne, sa fille, Denis Seznec continue de lutter pour que le procès de son grand-père soit rouvert.
Le grand mérite du livre de Denis Seznec est de déconstruire le mythe pour faire voir, toucher, sentir la réalité du bagne. Les hommes déshumanisés, le matricule, le manque d'hygiène, la promiscuité, la nourriture insuffisante et infecte. Les viols des plus jeunes par les caïds. Les rixes, les assassinats. Les surveillants véreux, véritables gardes-chiourme. Et puis parfois, une main tendue, un médecin qui sort Seznec du cachot, un surveillant qui fait preuve de bonté, un forçat qui soutient. Mais le plus souvent, la brutalité, la cruauté. Les hommes sont affamés, humiliés, réduits au rang d'animaux. Ce sont des forçats. Ce sont des hommmes. C'était des hommes.
La mortalité est effrayante. La moyenne de survie après l'arrivée est de quatre ans. Chaque année, un bateau amène environ mille deux cents forçats de France, mais l'effectif des forçats de Guyane n'augmente pas. Dans une lettre à sa femme, Seznec écrit : " (...) il y a, (...) sur les sept cents du convoi plus de deux cent cinquante décédés (...) et encore la moitié de ceux qui ne sont pas morts ne sont plus que des loques humaines." Les conditions de vie, de travail , la terrible forêt guyanaise - ses bêtes venimeuses, ses serpents - le climat, les requins, qui attendaient les évadés, les rixes, la maladie, faisaient des ravages.
Le bagne a été supprimé. Le dernier convoi a quitté la France en 1938. La libération du dernier bagnard a eu lieu en 1953. Mais de nombreux "libérés" étaient obligés de finir leur vie en Guyane.
Denis Seznec veut préserver la mémoire du bagne. Pour qu'on n'oublie pas que le pays des droits de l'homme a sur la conscience la création d'un des lieux les plus monstrueux où des milliers d'hommes ont perdu leur dignité d'êtres humains. A l'aide de lettres, de cahiers de son grand-père, il a reconstitué la vie du bagne. Mais était-ce encore la vie ?
Après les témoignages sur les camps nazis de Jorge Semprun ou de Primo Levi, ceux sur le goulag de Soljenitsyne, voilà encore un nouvel exemple de la fertile imagination des hommes pour tourmenter, torturer ceux qu'ils veulent mettre à l'écart et punir. Sauvegarder la société, rééduquer, par rapport à la norme ou à un idéal ? Pourquoi s'éloigne-t-on alors toujours totalement du simplement humain ?

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  Seznec, le bagne [Texte imprimé] Denis Seznec

  de Le Her-Seznec, Denis
  R. Laffont
  ISBN : 9782221076538 ; 1,96 € ; 08/03/2001 ; 400 p. ; Broché

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