Intime connexion de Catherine Clémenson

Intime connexion de Catherine Clémenson

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Lucien, le 3 février 2002 (Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (24 564ème position).
Visites : 4 217  (depuis Novembre 2007)

Intime annexion

Le sujet du livre. Comment dire ? Si j’en crois la quatrième de couverture, c'est. le pied ? l’extase ? le nirvana ? le panard ? le grand frisson ? la volupté ? la petite mort ? le septième ciel ? la jouissance ? le plaisir, tout simplement ? « l’éclair blanc qui vous soulève dans une explosion tellurique et laisse une trace de feu dans chacune de vos cellules », comme dit la narratrice ? Allez, lâchons le mot : le sujet du livre, si j'en crois la quatrième, c’est « l’orgasme ». Et je déteste le mot. La chose, c'est autre chose. Oui, bien sûr, dès les premières pages, nous fonçons tête baissée dans les fantasmes d'une femme de cinquante ans, veuve de ses amours et de beaucoup d’illusions, qui cherche désespérément « l'éclair blanc ».
Oui, bien sûr, elle recrute sur Minitel ses partenaires de rencontre, dans une loterie parfois dangereuse où elle espère à chaque fois gagner le gros lot, le gros bibelot, celui qui fera d'elle une « vraie femme », ainsi qu’il est décrit dans les mythologies. Certes, la narratrice décrit assez longuement ses ébats variés, réels ou fantasmatiques. Mais le roman ne se borne pas à cela. Loin de là. Il s’engage sur la voie du féminisme ? Oui, bien sûr. Comment pourrait-il en être autrement quand « pour les cons bornés et rougeauds, les assassins à tête d'homme derrière leur volant en ronce de noyer, on est rien que des vieilles salopes… » ; quand. « coincée, ou salope ! Voilà ce qu'on est, pour la majorité des démocrates dans les pays riches… » Mais le roman, le premier roman de Catherine Clémenson ne se borne pas à cela. Loin de là. Car le titre a beau jouer sur les mots, en basculant le deuxième N afin d’isoler la syllabe inCONcevable pour les précieuses ridicules ; en évoquant l'artificielle « connexion » par Minitel qui relie la narratrice à ses fragiles fiancés... c’est nous, lecteurs, qui sommes en phase, d'emblée, et de plus en plus fort au fur et à mesure que l’araignée dévide son fil ; c’est nous qui sommes en « intime connexion » avec. une voix. Un envoûtant monologue (j’ai pensé à la Yasmina Reza d'« Une désolation ») sur la solitude désespérée d’un être humain qui brûle ses dernières cartouches.
Oui, ce livre est une quête. Et peut-être d’abord, derrière la chose, une quête harassante des mots : «C'est cette mystérieuse union, j’en suis sûre, qui avait rallumé les connexions, et fait refluer des profondeurs à la surface de la peau et sur toute l'épaisseur de la masse musculaire, ce frisson enfoui. Mais ce n’était pas encore ça, j'avais à explorer d’autres voies plus secrètes. Chercher les bons interlocuteurs. Les mots, de nouveau, s’étaient englués. » Une quête pour sortir du gouffre des jours : « J’étais comme un gros caillou au milieu d’une rivière, je sentais l’eau glisser de chaque côté et se refermer derrière moi et je m'enfonçais dans le limon, de plus en plus profondément. Je commençais à me dire que cet entre-deux, pour moi, n’aurait pas de fin… En broderie on appelle ça faire des
jours. » Et puis, de temps en temps, l'accalmie du souvenir : « Et tu as plongé ton regard dans mes yeux que je sentais aussi liquides et transparents que la mer dans les trous des rochers à mes pieds. et tu m’as chuchoté dans l'oreille « Mon bébé, mon bébé… » »
Jusqu’au moment où, enfin, les mots peuvent supplanter la chose, révélant à elle-même « cette femme qui tentait de naître » : « J’écartais les cuisses dans le soleil, et des mots, des milliers de mots m'assaillaient, des essaims de phrases, des tourbillons de souvenirs perdus, qui s’illuminaient, devenaient limpides, me poussaient à écrire, écrire, n'importe où, des bribes illisibles, des lambeaux de moments fulgurants. » Ecrire, oui, enfin. écrire ce livre qu'il nous reste à lire, pour le faire exister un peu plus. nous l'assimiler en une intime annexion…

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Être une femme libérée, tu sais, c'est pas si facile...

8 étoiles

Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans) - 16 février 2003

Etre une femme, une vraie, chercher "l'amour", primitivement, dépasser ses limites. Choisir entre être une femme respectable et une femme libre. "... être une femme plutôt qu'une sainte, être amoureuse plutôt que mère, pas très nette plutôt qu'impeccable." Anne se lance dans l'inconnu, avec les risques que cela comporte, à la recherche de celui qui parviendra à lui faire connaître ce qu'elle n'a jamais connu. Oui, "l'éclair blanc". Une obsession. Mûre déjà mais encore plus sensuelle. Elle ose braver ses propres convenances et prononcer les mots interdits, surprise d'y trouver du plaisir. Mais ce n'est pas évident avec cette image de la mère toujours présente à l'esprit, voix de la conscience, juge silencieuse de tous ses excès. Ce n'est jamais "le bon", il faut toujours recommencer, puiser dans la liste des esseulés, des mariés, des gentlemen retraités, des marginaux et des frustrés... Rien ne se passe. Ce n'est pas comme à la télé. "Dans les feuilletons américains, à peine une femme était-elle au lit avec un homme qu'elle s'éclatait. L'orgasme à la seconde était la représentation de la normalité. Et quel orgasme! Tout ça procédait de la même philosophie libidinale triomphante, celle des start-up - stock-options - fonds de pension... Le mâle d'outre-Atlantique faisait hurler les femmes américaines comme il faisait grimper le Dow Jones et le Nasdaq. Moi je n'avais eu que des amants européens dont l'économie ne se portait pas aussi bien." Souvenirs nostalgiques de l'enfance, des ruptures et des désillusions qui rendent encore plus cuisante sa solitude. Et pourtant, elle trouve une échappatoire, le moyen de vivre et d'être, les mots. "J'étais au comble de la solitude et pourtant je n'étais pas seule." Ouvert, mêlant étrangement une certaine poésie et mots crus, ce roman prouve qu'à 50 ans, femme est toujours femme, qu'elle peut se redécouvrir, renaître, braver les tabous et ne pas se contenter d'avoir vécu mais vivre encore, enfin.

A Darius

8 étoiles

Critique de Lucien (, Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans) - 4 février 2002

Darius, dans le même esprit, puis-je te recommander ce remarquable premier roman? Catherine Clémenson, une grande dame, y révèle un talent qui devrait éclater dans les toutes prochaines années.

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