Le mythe de Sisyphe de Albert Camus
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie
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"Il faut imaginer Sisyphe heureux."
« Il n’y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. » Ainsi commence ce célèbre essai d’Albert Camus, souvent présenté – et à juste titre - comme la base théorique de sa réflexion sur l’absurde, illustrée par ailleurs par un récit, « L’étranger », ainsi que deux pièces de théâtre : « Le malentendu » et « Caligula ».
Lorsque paraît cet essai, en 1942 (quelques mois après « L’étranger »), on peut dire que Camus sait de quoi il parle. L'absurde, il le côtoie depuis toujours : la première guerre mondiale lui a ôté son père (lorsqu’il tombe au combat en 1914, Camus n’a qu'un an) ; il a été élevé pauvrement par sa mère, dans un quartier populaire d’Alger ; devenu agrégé de philosophie grâce aux bourses du gouvernement, il a dû renoncer à l'enseignement, frappé précocement par la tuberculose ; enfin, jeune journaliste, il a dénoncé sans complaisance les injustices commises envers les Arabes, notamment dans sa fameuse enquête « Misère en Kabylie » ; devenu indésirable, il est expulsé d’Alger en 1940 et s'installe à Paris au moment où éclate une deuxième guerre mondiale qui repoussera les limites de l'horreur (rappelons-nous son article au lendemain du largage de la première bombe nucléaire sur Hiroshima :
« La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. ») La question que se pose Camus dans « Le mythe » est très claire ; ce n’est pas l’interrogation d’un philosophe, mais le questionnement d’un moraliste : le suicide est-il une solution ? autrement dit, la vie vaut-elle d’être vécue ? Au fait, solution à quoi ? à l’absurde, bien évidemment. Ce sentiment décrit avec précision dans les premières pages du livre : « Vivre, naturellement, n'est jamais facile. On continue à faire les gestes que l'existence commande, pour beaucoup de raisons dont la première est l'habitude. » « Dans un univers soudainement privé d’illusions et de lumières, l’homme se sent un ETRANGER ». « Il arrive que les décors s’écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le "pourquoi " s'élève et tout commence dans cette lassitude teintée d'étonnement. » Qu’est-ce donc que ce sentiment, éprouvé par chacun à un moment où l'autre, et qu’accroît peut-être l’écoulement du temps ? Il n'est pas en l’homme. Il n’est pas au coeur du monde. Il est le lien entre l'homme et le monde ; l'équation qui unit l'étrangeté absolue du monde et « ce désir éperdu de clarté dont l’appel résonne au plus profond de l'homme ». Résoudre cette équation ? C’est à quoi Camus s'efforcera avec méthode, en plusieurs phases. D’abord, éviter l’esquive commune : l’espoir (l’espérance religieuse en un autre monde qui ajouterait un terme illusoire au problème de départ). L'univers est sans maître, la montagne pleine de nuit, « rien n'est au ciel intelligible » dirait Sartre. Rien à attendre de ce côté-là. Ensuite, refuser le suicide qui, lui, donne raison à l'absurdité suprême (la mort, définie dans « Noces » comme « une aventure horrible et sale »), en effaçant l’un des termes du problème (l'homme, la conscience de l'homme face au monde). Enfin, proposer des solutions. De remèdes qui, bien sûr, n’auront jamais rien de définitif (on ne pourra jamais gommer la mort) mais qui auront au moins le mérite de prendre l'absurde à bras le corps.
Ces remèdes tiennent en quatre mots : conscience, révolte, liberté, passion. « Sentir sa vie, sa révolte, sa liberté, et le plus possible, c’est vivre et le plus possible. Là où la lucidité règne, l’échelle des valeurs devient inutile. » Des exemples ? Oui, bien sûr, Camus en donne : Dom Juan, le comédien, le conquérant, Sisyphe bien sûr, condamné comme chacun de nous à rouler sa pierre, « aveugle qui désire voir et qui sait que la nuit n’a pas de fin ». Que l’on me permette d'inciter nos contemporains à lire ou à relire ces pages et à méditer sur les deux dernières phrases qui clôturent « le mythe » comme un dernier accord musical « résout » une symphonie : « La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux ».
Les éditions
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Le Mythe de Sisyphe [Texte imprimé], essai sur l'absurde Albert Camus
de Camus, Albert
Gallimard / Essais
ISBN : 9782070322886 ; 8,60 € ; 21/02/1985 ; 169 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (11)
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Sur le plan universel???
Critique de Phenix4-44 (, Inscrit le 11 octobre 2016, 44 ans) - 11 octobre 2016
Ainsi l'artiste se réalise dans l'acte qui crée l'œuvre. Et Si l'artiste était gardien de prison de profession, comment pourrait-il se réaliser dans son acte? Avant tout, il doit accepter l'absurde de son sort en se soumettant aux cadres rigides des procédures prédéfinies. Par contre il pourra, dans une certaine mesure, être créatif dans son interaction avec les détenus, dans le choix des solution aux situations critiques, dans ses approches réadaptatives. Il devra se réinventer constamment comme gardien de prison pour ne pas répéter les mêmes "œuvre" en boucle. Cela étant dit, ça me parait une maigre consolation pour "s'adapter" à un contexte ou un rôle qui nous dénature. De plus ça exige un travail philosophique ardu pour vivre pleinement de cette façon. Quand j’entends "travail philosophique ardu" ça me laisse croire que ça peut être contre nature (voire au même titre que de se soumettre à un contexte ou un rôle).
Se soumettre à un autre individu me pose problème.
Si tous le monde adhérait à la vision de Camus de sorte qu'elle serait universellement acquise, y aurait-il des prisons? Les structures social seraient-elles si complexes? Dans sa philosophie il y a une individualité dans ce qui anime nos actes doublée d'une révolte sur les forces qui s'exercent sur nous. L'homme se soumettrait-il à un autre ou chercherait-il à soumettre les autres? Les hiérarchie sociale serait a priori absurde aux yeux de tous. Il ne resterait donc qu'à se soumettre à l'absurde du sens de la vie et à notre nature soit les forces qui nous animent de manière innée incluant notre instinct de survie.
j'adore son apport du non sens de la vie, du concept d'absurde. Juste cette dimension justifie largement sa lecture, voire la réflexion qu'elle apporte. Ça me réconforte de savoir que je ne suis pas fou. Merci Albert!
A lire lentement et à méditer
Critique de Romur (Viroflay, Inscrit le 9 février 2008, 51 ans) - 9 décembre 2011
Malheureusement pour moi, mes cours de philo datent d’il y a longtemps et mon esprit au quotidien est habitué à la réflexion scientifique et la lecture de romans. La lecture m’a demandé une grosse concentration et il aurait fallu que je travaille le texte avec papier et crayon pour bien suivre le fil du raisonnement. Camus s’efforce implacablement d’analyser comment l’homme peut vivre en supportant et en assumant l’absurde qui « naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde », sans tenter d’esquiver le problème en inventant des explications ou en se donnant des espérances dans l’au-delà. Certains passages m’ont paru plus simples que d’autres, surtout ceux qui éveillaient en moi une résonance profonde, j’en ai lu d’autres sans vraiment les comprendre.
Si vous aussi vous voulez comprendre ce qui lie profondément la première et la dernière phrase, et comprendre le bonheur et la dignité qu’il y a à assumer son fardeau quotidien, prenez votre temps ou prenez un guide qui vous éclairera tant sur la pensée de Camus que sur celle des philosophes qu’il cite.
Sens et contradictions de la vie
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 46 ans) - 12 novembre 2011
Cet essai, subtil et clinique, est brillant, ardu et sombre. S'il n'est pas véritablement plaisant, en ce qu'il dresse un bilan désabusé de la condition humaine, le recul qu'il amène à prendre n'est pas vain.
Sans illusion.
Critique de MOPP (, Inscrit le 20 mars 2005, 87 ans) - 3 février 2008
Point de dissertation, mais des phrases extraites de l'essai.
"On connaît l'alternative : ou nous ne sommes pas libres et Dieu tout-puissant est responsable du mal. Ou nous sommes libres et responsables mais Dieu n'est pas tout-puissant." (page 82)
"Si Dieu n'existe pas, je suis dieu." (page 146)
"L'absurde m'éclaire sur ce point : il n'y a pas de lendemain. Voici désormais la raison de ma liberté profonde." (page 84)
"L'attribut de ma divinité, c'est l'indépendance." (page 146)
Telle serait une réponse à la question :
"La vie a-t-elle un sens ?"
Non : L'absurdité (la mort), le chaos autour de nous...
Sisyphe heureux
Critique de Bételgeuse (, Inscrite le 7 décembre 2007, 45 ans) - 7 décembre 2007
Sisyphe est-il vraiment heureux ?
Critique de Asgard (Liège, Inscrit le 14 juillet 2005, 46 ans) - 16 janvier 2006
Camus compare le destin de l’Homme à celui de Sisyphe, condamné par les dieux à rouler un rocher au sommet d’une montagne. Une fois celui-ci atteint, la pierre redescend d’elle-même au pied de la montagne, obligeant Sisyphe à recommencer éternellement son travail sans espoir de répit. Refusant la fatalité, celui-ci décide alors de choisir d’accepter son sort, en toute conscience, devenant ainsi maître de son propre destin, y trouvant même une certaine complaisance.
La conclusion de Camus me laisse perplexe. Si Sisyphe accepte son sort, n’est-ce pas parce qu’il n’en a pas le choix ? N’est-ce point se complaire dans une certaine résignation de son destin ? Admettons que Sisyphe trouve du plaisir à son œuvre, qu’il morde à pleines dents chacun des instants qui la composent, ne laisserait-il pas choir son rocher s’il en avait la possibilité ? En acceptant son sort, je n’ai pas le sentiment que Sisyphe se libère des dieux qui l’ont condamné. Pour moi, Sisyphe reste l’Homme absurde. Heureux, peut-être, mais absurde.
Un bruit
Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans) - 10 février 2002
Ah, quel symbole que Sisyphe !
Critique de Jules (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans) - 10 février 2002
Egalement...
Critique de Pendragon (Liernu, Inscrit le 26 janvier 2001, 54 ans) - 21 janvier 2002
Et je ne puis résister au plaisir de citer quelques phrases qui m’avaient marqué en ces beaux jours de mai 1996…
« Un homme se définit aussi bien par ses comédies que par ses élans sincères. » « Tout commence par la conscience et rien ne vaut que par elle. » « Le plus sûr des mutismes n'est pas de se taire, mais de parler. » « Pour Chestov, la raison est vaine, mais il y a quelque chose au-delà de la raison. Pour un esprit absurde, la raison est vaine et il n'y a rien au-delà de la raison. » « Pour un homme sans œillères, il n’est pas de plus beau spectacle que celui de l’intelligence aux prises avec une réalité qui le dépasse. »
Il y en a d’autres, bien sûr, mais je laisse au lecteur le plaisir de découvrir cette oeuvre qui est, rappelons-le, un essai philosophique et nécessite donc un recul certain avant une trop prompte plongée en son sein.
Bravo Lulu !
Critique de Jules (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans) - 20 janvier 2002
En une phrase
Critique de Lucien (, Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans) - 20 janvier 2002
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