Le grand voyage de Jorge Semprún

Le grand voyage de Jorge Semprún

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Platonov, le 20 janvier 2002 (Vernon, Inscrit le 7 septembre 2001, 41 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 762ème position).
Visites : 7 867  (depuis Novembre 2007)

Récit poignant sur la déportation

Comme toujours, Jorge Semprun parvient à décrire admirablement son expérience de déportation; il nous fait ressentir avec beaucoup de force ses sentiments.
Il suit donc la lignée de ses livres précédents ("Adieu vive clarté", et " L'écriture ou la vie") en parvenant dans chacun d'eux à nous marquer profondément.
Semprun voit dans la déportation une incidence inhérente à toute action de résistance, normale, et non due au hasard.
Il faut rappeler que c'est parce qu'il a été résistant (communiste) qu'il a été arrêté et expédié à Buchenwald (après avoir été sévèrement battu par la Gestapo).
Dans un style simple mais fort, il nous montre l'horreur de la déportation, et ce dès le transport dans le train, où, agglutinés les uns sur les autres, ils doivent (se) supporter entre eux la faim, la soif, l'inquiétude, la fatigue et la mort qui, insidieusement, commence à frapper dans les wagons.
Mais Semprun veut nous faire comprendre aussi que les allemands ne sont pas irrécupérables, même si , malgré eux (pour certains), ils sont coupables et impardonnables; comme si le nazisme était une fatalité du peuple allemand. La description du trajet dans le wagon est décrit comme étant encore réel, imaginable et donc supportable. Mais la fin, et diverses digressions à travers le livre nous disent que lui, Jorge, ainsi que tous ses camarades de "galère" vont entrer dans un monde inconnu, invraisemblable, au-dehors de la raison.

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Les éditions

  • Le Grand voyage [Texte imprimé] Jorge Semprun
    de Semprún, Jorge
    Gallimard / Collection Folio.
    ISBN : 9782070362769 ; 6,30 € ; 08/12/1972 ; 278 p. ; Poche
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Ne réveillez pas cette nuit les dormeurs.

8 étoiles

Critique de Hexagone (, Inscrit le 22 juillet 2006, 53 ans) - 8 février 2009

Cette phrase extraite de la page 142 de l'édition originale est d'une certaine manière le pivot du livre. Les regards baissés, détournés, l'indifférence des gens qui regardent progresser la colonne de déportés sont les dormeurs, combien furent-ils à cette époque ? Le récit cristallise toutes les injustices humaines de toutes les époques. Il y a ce va et vient, comme un ressac de mots qui accompagnent la lecture. Le protagoniste nous plonge dans un état extatique, nous réveille pour entrer dans la réalité de son destin tragique, mais logique à son égard pour ce qu'il en pense. J'ai ressenti deux formes de lectures, hypnotique et physique. De grands moments de réalité sur le choix de la vie, le passage du garde chiourme est évocateur. On se dit que le courage est un don de la nature qui n'est pas donné à tous. Il y a des pages sublimes de l'horreur. Je m'explique, la scène des deux enfants juifs qui dans le trépas se donnent la main en courant. Une image forte de fraternité, de dépassement de la nature humaine vers ce je ne sais quoi qui nous frôle parfois ou nous dépasse. Tout ce que je raconte là est d'une énorme banalité au regard du livre qui ne fait jamais dans le voyeurisme et propose une réconciliation des hommes. Cependant, certains passages m'ont paru très difficiles à circonscrire, à appréhender. Il s'en dégage un flottement qui m'a incommodé dans la lecture et le progrès de la compréhension. Je n'ai pas ressenti cette lecture comme un coup de poing en pleine figure mais plutôt comme le fait d'être tiré par la manche et d'être mené très loin à mon insu et sans pouvoir me dépêtrer de cette prise tenace et ferme.

Quand un espagnol se battant pour la résistance française est victime de la barbarie...

10 étoiles

Critique de Smokey (Zone 51, Lille, Inscrite le 12 août 2008, 38 ans) - 15 octobre 2008

C'est un très grand livre sur la déportation. L'écriture de Semprun fait partie, je pense, des plus compliquées et des plus difficiles à comprendre. C'est sur les nombreuses analepses et prolepses ( petite partie linguistique) qu'il construit son texte, c'est d'ailleurs sa manière d'aborder la déportation par touches successives, pour ne pas traiter des camps de manière crue.

Personnellement, j'ai particulièrement apprécié le personnage du "gars de Semur" (seul personnage fictif de l'histoire d'ailleurs), c'est grâce à sa petite discussion dans le wagon avec le narrateur que j'ai découvert le chablis... et également le rôle de la musique au sein même du récit.

La force de Semprun est d'avoir été déporté comme résistant, donc comme politique et c'est ce qui transparait dans son style, cette force avec laquelle il a lutté pendant ces mois de détention.

Enfin, je trouve très curieux le découpage en deux parties complètement inégales, seules les dernières pages concernent directement le camp de Buchenwald.

"L'écriture et la vie", écrit presque 15 ans plus tard est une très belle oeuvre qui permet de comprendre les mécanismes qui ont permis à Semprun, qui l'ont même obligé à écrire sur les camps. Semprun, cet espagnol qui s'est battu pour la France en 1940/41/42 , qui en a fait sa patrie, et qui a été déporté pour ce fait est un véritable porte-parole de l'espoir et de la tolérance entre les peuples d'Europe.

Une déportation qui vous emporte loin

10 étoiles

Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 46 ans) - 9 mai 2005

J'ai trouvé ce témoignage dramatique, effrayant, mais passionnant. Je me suis placé dans cette posture paradoxale de peur de l'ignominie et de l'entrain de l'espoir.
Ce livre est magnifiquement construit, comme un roman, et écrit. Sitôt commencé, je ne l'ai pas lâché.
Et, en effet, comme le rappelle la précédente critique, quelle leçon d'humanisme dans le pardon !

La vision d'un Semprun

8 étoiles

Critique de Jules (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans) - 20 janvier 2002

Cet homme est un grand humaniste et se refuse à condamner tout le peuple allemand pour les crimes nazis, alors qu'il en a terriblement souffert. L'année dernière, c'est lui qui a prononcé le discours d'entrée de la Foire du Livre. J'y étais pour l'écouter. Il nous a bien sûr parlé de l'horreur de Buchenwald et des autres camps, mais en même temps il nous a parlé de la culture allemande, du fait qu'il est bien vite revenu en Allemagne au lendemain de la guerre et qu'il y a fait beaucoup de conférences. Il a souligné l'importance de ce grand peuple et de sa culture pour l'ensemble de l'Europe. Semprun a refusé de se laisser enfermer dans une haine stérile, a voulu dépasser celle-ci pour tenter de construire un avenir meilleur. En ce sens aussi, il est comme Sisyphe: sans fin il tente de marcher vers le sommet. Camus a appliqué la même logique quand, pendant la guerre, il écrivait ses "Lettres à un ami allemand" Il y déclarait toute sa haine de la force aveugle et de la barbarie déchaînée sur l'Europe par son peuple (celui de l'ami, bien sûr) mais il lui annonçait déjà que les lendemains arriveraient bien vite et qu'ils devraient s'attacher, ensemble, à créer un monde nouveau, plus ouvert, dans lequel le droit et la dignité humaine règneraient: ce serait l'Europe. Il était donc aussi capable d'appliquer ses théories et de respecter l'idée contenue dans la citation finale de son livre "Le mythe de Sisyphe" judicieusement reprise par Lucien dans sa critique.

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