Dans les trop grands pas de Duras et de Pol Pot

Ça commence un peu comme le Lonely Planet : Dane Cuypers a fait un beau voyage et nous parle de ces petits moments dans un café pour expats de Phnom Penh où elle parle de son weekend sur l’île de la Soie. Pas réellement passionnant, on se contente de chercher les noms perdus dans le texte de petits coins qu’elle semble avoir aimé pour prévoir d’y passer à notre tour un weekend, après avoir bien entendu consulté ledit Lonely Planet pour s’assurer que ça en valait bien le coup. L’intérêt de l’ensemble semble donc relativement limité par rapport à un bon guide sur le Cambodge, qui se révèle bien plus indispensable que la prose, par ailleurs assez médiocre, de l’auteur – l’ouvrage est un plaidoyer contre ces ateliers d’écriture que l’auteur dirige quand son propre style est largement critiquable et accumule les effets faciles et usés jusqu’à la corde. Dans un premier temps, Dane Cuypers ne fait que s’extasier sur ce beau voyage qu’elle a fait en pays khmer et sur une population qu’elle regarde avec un amour parfois un peu trop paternaliste, bien que parfaitement sincère.

Au rang des défauts, on pourra aussi noter le manque de structure du texte qui nous emmène ici et là au gré des envies de l’auteur, nous fait passer d’un point à un autre sans trop de transition et nous ramène après un ou deux chapitres à un lieu déjà visité, avec une certaine impression de redite. On ne peut pas vraiment dire qu’on se perde – on voyage après tout au gré des envies de l’auteur –, mais là encore, le Lonely Planet se révèlera bien plus efficace.

Alors on se lasse ; comme si on lisait d’une traite un mauvais guide touristique à la première personne et sans conseil pratique (Dane Cuypers semble avoir le nez pour dénicher de bons moto dops et tuk tuk drivers, ce qui relève plutôt de la loterie à Phnom Penh, d’après ma propre expérience). C’est là, alors que, vraiment, le livre nous tombe des mains, que Dane Cuypers nous rappelle (la quatrième de couverture nous l’avait appris) qu’elle est journaliste spécialisée dans les interviews de personnalité, et c’est vrai qu’à partir du moment où le livre bascule dans la succession de rencontres, il y a du mieux. Bien sûr, le procédé n’est pas toujours captivant, mais les participants se révèlent intéressants et les questions bien posées nous en apprennent plus sur la difficile tâches des NGO, indispensables pour aider le pays à faire face aux difficultés encore plus grandes qu’il traverse.

On pourra peut-être reprocher à Cuypers d’accorder trop d’importance aux expats et aux Khmers de retour au pays après avoir grandit à l’étranger, et pas assez aux anonymes qui constituent la population locale, mais c’est un reproche bien dur tant il est difficile de l’approcher cette population locale, largement analphabète et peu éduquée sur la vie et l’histoire de son propre pays. Si l’effort de passer derrière le Cambodge de vitrine pour découvrir sa réalité est sincère, il ne se fera donc la plupart du temps qu’à travers les déclarations d’une relative élite. C’est dommage mais inévitable. Le constat est sévère : les Khmers Rouges semblent avoir atteint leur but en traquant systématiquement le moindre intellectuel, le moindre lettré, renvoyant ainsi le pays plusieurs siècle en arrière. Le Cambodge, pour s’être relevé d’un tel coup, est déjà un miracle.

Les Khmers Rouges, impossible de ne pas les évoquer lorsqu’on parle du Cambodge et Dane Cuypers se livre à l’exercice. Ce n’est pas forcément concluant, l’auteur adoptant un parti pris sans surprise en évoquant des survivants (et leurs familles disparues) et en parlant avec des prêtres et, encore, des dirigeants d’ONG qui livrent tous le même son de cloche sur ces années terribles. Il est certain que le régime de Pol Pot fut une des plus grandes tragédies du vingtième siècle et on insistera jamais trop sur ce point. Cependant, on pourra regretter de tomber dans les banalités et les conclusions hâtives (les Khmers Rouges, en supprimant la monnaie, seraient les premiers responsables de l’amour de l’argent qui se développe actuellement chez les Khmers à la place des valeurs traditionnelles – l’adoption du libéralisme économique, l’influence occidentale et le déferlement de touristes échangeant leurs verts Dollars contre des gamines n’en seraient donc pas responsables ?), alors qu’un éclairage plus sincère sur ce qui a pu mener le pays à cette situation aurait été bienvenu – la part de responsabilité de l’ancienne puissance colonisatrice (tous les dirigeants khmers rouges ont étudié à Paris), des Américains, de Lon Nol est à peine évoquée ; celle du double jeu du roi Sihanouk durant cette période, écartée d’un large revers de la main ; et que dire de Hun Sen, premier ministre actuel et ancien Khmer Rouge, réalisant un fin numéro d'équilibriste pour faire échouer le Tribunal hybride chargé de juger ses anciens camarades tout en affichant suffisamment de soutien pour bénéficier des aides internationales. Certains passages, notamment les rencontres avec Bizot et Chandler, y contribuent, mais le tout reste un peu pauvre.

Le livre de Cuypers n’est cependant pas un livre sur les Khmers Rouges et ne prétend à aucune valeur scientifique. C’est au contraire un livre du cœur par une femme visiblement tombée amoureuse du Cambodge. S’ensuit inévitablement toute une foule de défauts : l’ouvrage est peu innovant, parfaitement dispensable, trop personnel, plus transi que passionné mais, par sa sincérité, parvient quand même à tirer certaines qualités de la somme de ses trop nombreux défauts.

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  Tourments et merveilles en pays khmer [Texte imprimé] Dane Cuypers

  de Cuypers, Dane
  Actes Sud / Aventure (Arles).
  ISBN : 9782742781973 ; 23,50 € ; 02/03/2009 ; 316 p. ; Broché

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