Mais le fleuve tuera l'homme blanc de Patrick Besson

Mais le fleuve tuera l'homme blanc de Patrick Besson

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par NQuint, le 20 novembre 2009 (Charbonnieres les Bains, Inscrit le 8 septembre 2009, 52 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 511ème position).
Visites : 6 624 

Une fabuleuse plongée dans l'Afrique

C'est mon premier livre de Patrick Besson, auteur pourtant prolifique. Et je ne suis pas déçu, bien au contraire !
Tout d'abord, c'est un excellent polar/thriller/roman d'espionnage. Ce qui est déjà une bonne chose. Mais ça va tellement plus loin !
Tout d'abord, la forme du récit, sans être révolutionnaire, mêle différentes techniques avec une efficacité redoutable. A la fois, la méthode très employée du passage du point de vue d'un personnage à un autre personnage en changeant de chapitre. Mais Besson mêle cela ici avec la méthode qui consiste à faire donner un point de vue différent du même événement. La première méthode est dynamique, la seconde statique. Besson arrive à prendre le meilleur des deux en revenant un peu an arrière en changeant de perspective et de personnage et en poussant un peu plus loin. Je qualifierai cette technique de "multi-perspective dynamique avec overlapping temporel" (M.P.D.O.T.). Bon, OK, je verse dans le délire mais cela rend le roman captivant, roman qui est par ailleurs servi par un style impeccable, sans pléthore d'effets de style inutiles mais avec une puissance d'évocation remarquable.
Et quelle évocation ! Celle de l'Afrique. J'avoue ne pas avoir une grande empathie pour le continent, me trouver éloigné de leur culture et ne pas en être très curieux. Et bien, Besson m'a passionné avec l'Afrique ! Son histoire plonge dans 20 ans d'histoires africaines et au coeur de deux des pires tragédies récentes (le Congo/RDC et le Rwanda).
Le principal de l'action se passe à Brazzaville, ville-frère de Kinshasa, sur l'autre rive du fleuve Congo, frontière entre la RDC (République Démocratique du Congo) où se situe Kinshasa, ex-Zaïre, patrie des ogres Mobutu et Kabila et la République Démocratique du Congo de Sassou N'Guesso, autrefois patrie du socialisme scientifique africain sous l'aile du PCUS avant la chute du Mur (une fois n'est pas coutume, le communisme était à l'Ouest, puisque le Congo est à l'est du Zaïre). Ce dernier pays est un petit pays, 4 millions d'habitants, avec Pointe-Noire au bord de l'Océan Atlantique à peine 500 kilomètres à l'Est de Brazza, avec une certaine richesse pétrolière, consciencieusement pillée par Elf puis Total avec la permission (qui rime avec commission) de Sassou pour le plus grand malheur de son peuple qui, s'il n'est pas dans la disette, ne vit pas dans le bonheur matériel non plus (c'est le moins que l'on puisse dire).
Ces deux pays, issus de l'ex-Congo belge, ont connu un nombre effrayant de guerres civiles, conflit avec des voisins, coups d'Etat réussis ou avortés depuis la décolonisation, avec son lot de pillage, massacre, viols. De plus, Besson restitue à merveille l'univers post-colonialiste : pétroliers, conseillers du président qui repartent sur l'A320 Brazza-Paris avec des mallettes d'Euros en liquide (les conseillers ne prennent pas les francs CFA ...), barbouzes, ...
L'action fait également un détour par le Rwanda et son épouvantable génocide de 1994, passage très dur mais également très riche du roman. Besson réalise un tour de force en nous permettant de relire ce conflit sous un autre angle, à remonter plusieurs siècles en arrière dans l'histoire du pays, nous faire comprendre les différences entre les Tutsis et les Hutus, en restant à chaque seconde passionnant. Il nous montre les siècles de dominations Tutsis (minoritaires numériquement), chassés du pouvoir par des révoltes Hutus au tournant de la fin des années 60, fuyant le pays, laissant le pouvoir aux Hutus pour 30 ans, se réarmant en et avec l'aide de l'Ouganda et aussi des puissances Anglo-Saxonnes pendant que la France soutenait et entraînait le régime de Habyarimana, dont la mort (missiles contre avion de ligne) a lancé le coup d'envoi du génocide. Puis Les Tutsis sont repartis à la reconquête de leur pays, la mèche s'est allumée, le génocide a démarré et les français ont plié les gaules dans une lâcheté écoeurante (nommée opération Turquoise). Et tout ceci, par une ironie de l'histoire et par la grâce de 800.000 morts, a permis à Paul Kagamé, un Tutsi, de reprendre le pouvoir au Rwanda (la culpabilité, merveilleux instrument de pouvoir ...).
Une vraie leçon d'histoire africaine. Mais ça n'est pas encore tout ! En effet, Besson nous plonge au coeur des villes et de la vie africaine, loin des clichés que l'on peut avoir et surtout sans complaisance aucune. Ni sur les africains eux-mêmes, leur corruption, leur désorganisation, leur sexualité débridée, ni sur les blancs (les moundélés) et leurs attitudes post-colonialistes, leur courage pas téméraire (toujours rester près d'un Transall au cas où ...), ...
Il raconte l'histoire de ces hommes qui vivent à cheval entre la France et l'Afrique, leur double appartenance, leurs bureaux (maîtresses) africaines (une femme en France, ça ne compte pas, c'est un autre monde). Il nous plonge dans la chaleur, la moiteur des villes africaines, ils nous fait goûter la Primus et la Ngok (bières africaines), mais aussi le malheur, la mort jeune, les orphelins.

Un roman M-A-G-I-S-T-R-A-L

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Les éditions

  • Mais le fleuve tuera l'homme blanc [Texte imprimé], roman Patrick Besson
    de Besson, Patrick
    Fayard
    ISBN : 9782213629667 ; 22,30 € ; 26/08/2009 ; 483 p. ; Broché
  • Mais le fleuve tuera l'homme blanc [Texte imprimé], roman Patrick Besson
    de Besson, Patrick
    Points / Points (Paris)
    ISBN : 9782757817445 ; 8,20 € ; 19/08/2010 ; 504 p. ; Broché
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Les livres liés

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Thriller et Histoire

8 étoiles

Critique de Elya (Savoie, Inscrite le 22 février 2009, 34 ans) - 20 novembre 2011

Il y a des thrillers qui mettent en scène meurtres, viols, tortures, barbaries... Ces mises en scène sont l'élément central du récit, tout tourne autour. On évoque certes des personnages, des victimes, des meneurs d'enquêtes, un contexte, parfois même une époque, mais c'est l'arrière plan. Le lecteur pressé ou seulement attiré par l'intrigue se contentera de vite passer devant le tableau et d'en faire ressortir les éléments les plus tape à l'oeil.
Et puis il y a les thrillers plus rares comme ceux par exemple de Jean Christophe Ruffin, et ici de Patrick Besson. Si différents qu'on n'ose presque pas les dénommer thriller, mais plutôt roman.

Pourtant, tout y est : la violence, l'horreur, l'injustice, les morts qui s’enchaînent... Mais ces éléments au lieu d'être au service de l'intrigue sont cette fois-ci tous dévolus au contexte et à cette tranche de l'histoire si bien dépeinte: le génocide Rwandais. L’ignominie est bien là, et pourtant Patrick Besson prend de la distance sur les faits, use de dérision et d’humour noir pour concevoir un roman original et non moins poignant.

« Il y a une douceur particulière dans la bière africaine. On la boit au goulot comme pour l’embrasser. Elle aide a attendre ce qui n’arrivera pas : la sécurité, la santé, le confort. Elle est toute l’Afrique dans la bouche, le temps d’une gorgée : l’illusion de la gaieté et du bonheur. Sans elle on n’a pas encore atterri à Brazza, Libreville, Kin ou Kigali. C’est la bière qui vous dépose sur le sol africain, pas comme un avion, plutôt comme un tapis volant. Les Africains n’ont pas l’eau courante, mais leur bière est disponible vingt-quatre heure sur vingt-quatre à condition de se procurer, honnêtement ou malhonnêtement, les billets de banque qui ouvriront le robinet. Source fraiche de musique et de poésie. De mort, en cas de guerre civile. La bière aide à tuer et à oublier qui a tué. »

C’est l’histoire du génocide, mais aussi et surtout de toute l’afrique, de nos relations avec elle, de l’apartheid et de ses répercutions plus au nord, du communisme, et des infamies que blancs, noirs, hommes, démons, oui, nous tous, sommes capables d’ériger.

Le style impeccable, la manière de gérer le récit d’une main de maitres (au pluriel, comme les différents intervenants qui délivrent selon leur point de vue les différentes actions qui se déroulent, et en plus, dans des chronologies différentes), font de ce roman une lecture inoubliable.

Besson d'Afrique

9 étoiles

Critique de Guigomas (Valenciennes, Inscrit le 1 juillet 2005, 55 ans) - 18 août 2010

On connaissait le Besson des Balkans, voici le Besson d'Afrique. Sous d'autres latitudes son talent reste le même.

Roman parfaitement maîtrisé, une histoire de politique et d'espionnage au coeur de l'Histoire récente, du rythme, des personnages bien campés, un style irréprochable ; excellent, je relirai Besson (Patrick).

Parfois confus, mais passionnant !

9 étoiles

Critique de Tanneguy (Paris, Inscrit le 21 septembre 2006, 85 ans) - 10 mars 2010

Des personnages innombrables, originaux et attachants. Des situations inattendues. De l'action, de la violence, de l'humour. Un mélange bien dosé qui retient le lecteur, même quand ce dernier peine parfois à retrouver le fil de l'histoire.

Mais le personnage principal, c'est l'Afrique, de la misère, de la poésie, de la corruption, de la gentillesse, des contrastes. P. Besson nous envoûte et nous raconte des histoires incroyables et sans doute vraies, comme celle du génocide rwandais pour lequel il propose des clefs intéressantes. Son style est vif et regorge d'aphorismes que l'on a souvent envie de noter sans en avoir le courage car on est est pressé de poursuivre la lecture.

Un bon roman foisonnant où on ne s'ennuie pas...

Passionnante Afrique

10 étoiles

Critique de Théus (, Inscrite le 22 février 2006, 36 ans) - 25 novembre 2009

C'était également ma première incursion dans l'oeuvre littéraire de Patrick Besson, j'en suis sortie conquise !
La multiplicité des points de vue qui désarçonne le lecteur (dans le bon sens du terme), la diversité des personnages, les surprises et coups de théâtre se mêlent à la géopolitique via des personnages parfois complétement "craqués".
Le style de Besson est souvent laconique, cynique, parfois ironique mais on sent une réelle connaissance de ces régions et une vraie fascination pour elles.
On tient là un vrai bon gros roman à suspense qui se lit avec avidité, avec la peur de rater le moindre détail, et qui emporte jusqu'à la révélation finale.
Une très bonne surprise.

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