L'obélisque noir de Erich Maria Remarque

L'obélisque noir de Erich Maria Remarque
(Die schwarze Obelisk)

Catégorie(s) : Littérature => Romans historiques

Critiqué par Jules, le 29 décembre 2001 (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 509ème position).
Visites : 8 497  (depuis Novembre 2007)

La bête gagne...

Nous sommes en Allemagne en 1923. Le pays est rongé par une inflation galopante et le mark vaut de moins en moins à chaque jour et même à chaque heure qui passe…
Notre narrateur, Ludwig Bodmer, travaille dans une entreprise de pompes funèbres. Elle est dirigée par deux frères, Georges et Henri. Le second a les idées courtes et la compréhension difficile. En ces temps d’inflation, il est heureux de vendre un superbe monument funéraire avec un paiement différé. Il ne comprend pas, qu'à ces conditions, sa vente sera une catastrophe pour l’entreprise. L’argent qui rentrera ne vaudra plus rien et les marchandises à racheter pour renouveler le stock seront dix fois plus chères.
Toute l’Allemagne se débat dans les problèmes et les suicides de rentiers ou de personnes aux moyens limités se multiplient. Dans ces temps troublés, il est évident que la grogne règne partout et Ludwig s'attend à voir les vieux démons réapparaître. Pour lui, toujours à la recherche du sens de la vie, le peuple allemand est dangereux, tant il se complaît dans les ordres et la discipline. Le peuple semble déjà avoir oublié les horreurs de la guerre ! Ludwig, lui, n'arrive pas à les oublier, ayant perdu presque toute sa compagnie lors d'une offensive au Mont Kemmel.
Cela c’est le monde extérieur, celui qui bouge, vit, tremble et s'agite. Ludwig nous en montre un autre : celui d'un asile de fous dans sa ville, pour lequel il joue de l'orgue lors des messes. Il est d'ailleurs un peu amoureux d’une des pensionnaires. Là, les agitations du monde ne passent pas et Ludwig se demande quel est le « vrai monde », il est dans celui-ci ou dans l’autre, qui est le fou ?, où est le malade ?…
Dans son récit, Ludwig nous fait bien souvent passer d'un monde à l’autre.
Son univers professionnel n’est pas sans intérêt non plus et il en tire beaucoup de réflexions sur l'âme humaine. Il ne manque vraiment pas d’humour, son patron Georges non plus d’ailleurs, et son regard sur le monde a quelque chose de particulier. Il traîne ses questions existentielles, observe le monde et ses concitoyens d'un regard lucide et objectif. Mais il est aussi toujours prêt à rire, à profiter de la vie et des femmes.
L’entreprise Kroll livre un monument aux morts de la guerre 14/18 commandé par le village de Würstringen. Le jour de l'inauguration arrive et la cérémonie va prendre une très mauvaise tournure !. Le sieur Wolkenstein, président du comité des anciens combattants, fera tout pour cela. Alors que l’ancien drapeau allemand est interdit, c’est celui-là dont il va se servir et déclare traître celui qui arbore le nouveau. Or, un homme, un cordonnier grand blessé de guerre, a arboré ce drapeau à sa fenêtre pour la cérémonie. Wolkenstein « …déblatère contre les salauds du haut de la tribune, évoque le coup de poignard dans le dos, l’armée allemande invaincue, et conclut une longue période par : « Honneur à nos héros morts, vengeance, vive la future armée allemande. » » A titre de bouquet final, il se lance dans le « Deutschland Uber Alles », ancien hymne national aujourd'hui interdit par la loi.
Mais, quelle loi ?. Ludwig dit : « Nous avons une république, seulement les juges, les fonctionnaires et les officiers de l'ancien temps, la république les a repris à son service. Il n’y a pas grand chose de bon à en attendre ».
Le drame va éclater et nous sentons qu’une très lourde, très pesante machine va se mettre en branle dans ce pays… Comment va-t-elle gagner toute la société ?. C’est ce que ce livre nous montre très bien !
Remarque a style très vivant, acerbe, ironique et humoristique. Pour lui, tout était en place pour que les choses évoluent ainsi et il est bien convaincu qu’il en est de même en ce qui concerne la nouvelle république allemande d’après la guerre 39/45 !

Biographie d’Erich Maria Remarque
Il est né en 1898 à Osnabrück et incorporé en 1916. Envoyé sur le front de l'Ouest, en Belgique, il sera blessé aux mains en 1917. Il ne retournera plus au front, mais devra renoncer à une carrière de musicien qu'il espérait bien faire. Démobilisé, il donne cours dans plusieurs écoles primaires, mais se rend vite compte que cette carrière ne lui convient pas. Il écrit alors des comptes rendus pour un journal et publiera quelques récits et son premier livre en 1920, « La Baraque de Rêve » qui passera inaperçu. C'est en 1929 que sera publié « A l'Ouest Rien de Nouveau » Quatre mois plus tard, cinq cent mille exemplaires sont vendus et un an plus tard on atteint le million !
Très vite les nazis prendront Remarque pour cible, partant du principe que son livre affaiblit le moral de la nation allemande. Le film fait par les Américains sur ce livre sortira en Allemagne en décembre 1930 et immédiatement Goebbels arriva à obtenir l'interdiction du film et suite à des actions de la Ligue allemande des Droits de l'homme, il fut reprogrammé en 1931.
En 1931, méfiant, Remarque achète aussi une maison en Suisse, près de Locarno. En 1933, ses livres sont brûlés à Berlin et retirés de toutes les bibliothèques publiques. Sa nationalité allemande lui est enlevée en 1938. Apprenant que la Gestapo a programmé son arrestation, Remarque quitte l’Europe en 1939 pour les Etats-Unis. Il s'installera à Hollywood, puis à New York
Au départ opposé à travailler pour des organisations gouvernementales, il acceptera à partir de 1944 de travailler pour l’OSS américain. Il y défendra la thèse qu'il faudra entreprendre une véritable rééducation de l'Allemagne au lendemain de la guerre.
Remarque ne cessera jamais de combattre le risque d’un retour du militarisme allemand. Il demandera aussi à de très nombreuses reprises que l’on tire les leçons de l’échec de la république de Weimar et que l’on punisse, sans hésitation aucune, tous les responsables des crimes nazis. Il dira haut et fort que cela n’est pas fait par la nouvelle république et que celle-ci emploie des juges, des fonctionnaires et bien d’autres personnes qui ont été mêlées aux crimes nazis. Il publie des livres traitants du problème des émigrés antinazis : « Les exilés » et « Arc de Triomphe »
Il reçoit la nationalité américaine en 1947 et reviendra vivre un temps en Suisse. Il épouse, en troisième noce, l'actrice Paulette Godart et de ce moment se partagera jusqu’en 1966 entre la Suisse et les Etats-Unis. En 1952 il écrit « L’étincelle de vie » qui traite des camps de concentration et en 1956 il écrit « L'obélisque Noir » C’est la même année qu'il estime scandaleuse « la réhabilitation » de ceux qui ont exercé des fonctions administratives sous le troisième Reich. En 1954, il publie aussi « Un temps pour vivre, un temps pour mourir » qui insiste sur la barbarie et l’aveuglement borné de l'armée allemande en URSS.
Pour lui, ce ne sont pas le chômage ou la crise économique qui sont responsables de l'horreur nazie, mais bien « l’éducation séculaire à une obéissance absolue, qui a trouvé en Allemagne un terrain particulièrement fertile. » Sa nationalité ne lui est toujours pas rendue car la nouvelle république n’a toujours pas publié le décret qui annule celui des nazis. Ce n’est qu'à partir de 1963 que de nombreux journaux allemands insisteront sur l'importance de son œuvre. En 1967, il obtiendra la Croix du Mérite, sur l’insistance de Willy Brandt.
Il meurt à Locarno en 1970.

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Simplement beau, profond, désespéré, lent, à hauteur d’humain et à la portée de tous

8 étoiles

Critique de Cédelor (Paris, Inscrit le 5 février 2010, 53 ans) - 17 avril 2018

Je venais de terminer « La mort est mon métier » de Robert Merle et ce livre m’a donné envie de découvrir un peu plus l’entre-deux guerres allemand. J’ai pensé pour cela au roman de Erich Maria Remarque, « L’obélisque noir ».

12 jours plus tard, malgré ses 529 pages, édition de poche Folio, et un emploi du temps qui ne me laisse le temps de lire que peu à peu chaque jour, je l’ai terminé. Oui, il s’est laissé lire rapidement.

Au début de ma lecture, j’ai été un peu dérouté par le style et l’histoire. J’en avais un peu trop vite conclu que j’étais entré dans une œuvre mineure d’un écrivain reconnu internationalement pour son inoubliable « A l’ouest rien de nouveau ». En le terminant, j’ai eu la sensation de sortir d’une grande œuvre d’un grand écrivain.

C’est qu’il faut du temps à ce livre pour se faire reconnaître comme une grande œuvre. Le début n’est qu’une longue suite de bavardages du héros principal, Louis Bodmer, dans une série de scènes avec divers personnages, dont l’ensemble m’apparaissait décousu, et je ne voyais pas où l’auteur voulait aller. Puis au fil de la lecture, la magie finit par opérer et sans que le style n’ait changé ni la construction du récit, on est conquis. Au final, je ne regrette pas de l’avoir lu. Tous les personnages du livre sont tellement humains, tellement attachants qu’on a mal au cœur de les quitter, une fois le livre fini.

Dans ce roman où l’action est quasiment absente, le focus porte sur l’humanité, ses splendeurs, ses misères, ses peurs, ses folies, ses espoirs, ses amours, ses illusions et désillusions, sa fragilité, sa bassesse, son orgueil et sa beauté. Le tout servi par un style tout en douceur, avec poésie, philosophie, humour souvent noir et pince-sans-rire, qui révèle la sensibilité d’âme de l’auteur, qu’on avait déjà pu constater dans son œuvre phare, « A l’ouest rien de nouveau ». Un livre et des personnages hantés par la guerre perdue de 14-18, par l’inflation, la crise économique, les désirs de revanche et la montée du national-socialisme, incarné par Hitler, déjà. Le tout allait aboutir à la catastrophe bien des années plus tard.

Un livre simplement beau, profond, désespéré, lent, à hauteur d’humain et à la portée de tous.

Quel est le sens de la vie ?

10 étoiles

Critique de Yeaker (Blace (69), Inscrit le 10 mars 2010, 51 ans) - 2 août 2011

C’est une vaste question à laquelle le jeune Ludwig aimerait trouver une réponse. Il a des motifs de s’interroger, il est rescapé de la guerre qui a pris tant de camarades, sa mère est morte d’un long cancer et il doit batailler au quotidien dans une Allemagne de l’après guerre qui connait une inflation galopante. Evidemment en arrière plan la montée des nationalistes appelant à la revanche enfle et l’intègre Remarque en profite pour régler quelques comptes avec eux. Voilà pour l’ambiance.

Livre triste ? Pas une seule seconde : drôle, truculent comme peuvent le permettre les situations désespérées. Ludwig a abandonné son poste dans l’enseignement dont le salaire ne suit pas l’inflation pour travailler avec son ami Georges dans les pierres tombales. Les suicides des rentiers ruinés permettent au commerce des pierres de prospérer. Autour de lui une panoplie de personnages parfaitement croqués : des poètes, des pseudos poètes, des amis, des voisins…une voisine, des artistes, un prêtre, un médecin et la dangereuse et séduisante Isabelle interne de l’asile de la ville. Entre harengs et schnaps ils détiennent tous une partie de la réponse qui obsède Ludwig.
L’œuvre de Remarque est riche au point de faire de lui un des plus grands auteurs du xxeme siècle. Il est donc dommage d’arrêter sa lecture à l’unique « A l’ouest rien de nouveau ».

Très Bonne lecture

entre 2 guerres

8 étoiles

Critique de Lecteurdunord (, Inscrit le 8 avril 2011, 59 ans) - 8 avril 2011

Remarque restitue ici de manière subtile le climat de l'entre-deux-guerres en Allemagne, dans la ville de Werdenbrück (référence à Osnabrück, ville native de l'auteur). Les ferments du nazisme sont actifs et la galerie de personnages - pro-nazis ou pas - est vraiment savoureuse. Malgré ces odeurs brunes nauséabondes, certains résistent, esprits libres, poètes, épicuriens. Le ton est vraiment très moderne, et les 2 protagonistes principaux, employés au sein d'une firme de monuments funéraires (un des nombreux liens avec A l'ouest rien de nouveau et les obsessions de Remarque), sont très attachants. Les quelques 500 pages se lisent assez vite.

Lu dans le cadre d'un tour du monde en livres...(ici, le granit de la firme Kroll m'a emmené...en Suède !)

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