Syllogismes de l'amertume de Emil Cioran

Syllogismes de l'amertume de Emil Cioran

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie

Critiqué par Lucien, le 22 décembre 2001 (Inscrit le 13 mars 2001, 68 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 084ème position).
Visites : 7 907  (depuis Novembre 2007)

Une leçon de nihilisme

Cioran... Emile-M.Cioran, pour être plus précis, est l'un de ces esprits originaux et négateurs que la Roumanie offrit à la France au XXème siècle, après Tzara, le père du dadaïsme, et à peu près en même temps qu'Ionesco, le papa du théâtre de dérision. Quel trio!
Le géniteur de quoi, Cioran? Mystère. En tout cas pas d'un mouvement. Le fils spirituel de Nietzsche, peut-être, mais alors un fils irrévérencieux qui nierait son père tout en le continuant, transmutant la théorie du surhomme en "volonté d'impuissance"... Un descendant des moralistes classiques, avec l'art concis d'un La Rochefoucauld, un pessimiste absolu et lucide, un anarchiste en même temps qu'un humoriste... Ce deuxième livre, publié en 1952, suit de près le "Traité de décomposition" (1949) et précède des titres tout aussi provocateurs comme "De l'inconvénient d'être né" (1975). Un petit recueil à ruminer (tiens, ce verbe me rappelle l'une des phrases les plus frappantes du livre : "S'ennuyer c'est chiquer du temps."); un sachet de petites pastilles à laisser fondre lentement dans la tête. Quelques exemples? "Shakespeare : rendez-vous d'une rose et d'une hache..." "Avec chaque idée qui naît en nous, quelque chose en nous pourrit." "Toutes les eaux sont couleur de noyade." "Peut-on parler honnêtement d'autre chose que de Dieu ou de soi?" "La Création fut le premier acte de sabotage." "A quoi bon se défaire de Dieu pour retomber en soi? A quoi bon cette substitution de charognes?" "Lorsqu'on n'a pas eu la chance d'avoir des parents alcooliques, il faut s'intoxiquer toute sa vie pour compenser la lourde hérédité de leurs vertus." Plus adapté au sujet qui nous préoccupe tant : "Prolixe par essence, la littérature vit de la pléthore des vocables, du cancer du mot." (Puis-je suggérer quelques remèdes? Les haïku, Cioran, le silence...) Ou enfin, résumé parfait, chef-d'oeuvre absolu de perfection désespérée : "Le Réel me donne de l'asthme." Cioran est parfait dans son genre : on ne peut lui accorder autre chose que 5 étoiles... ou zéro. Mais le zéro absolu n'existe pas sur ce site. Alors : cinq sur cinq pour ce clown métaphysique!

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

  • Syllogismes de l'amertume de Emil Michel Cioran
    de Cioran, Emil
    Gallimard / Folio Essais
    ISBN : 9782070324491 ; 6,90 € ; 01/01/1997 ; 153 p. ; Poche
»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

LA PHILO SANS SE PRENDRE LA TÊTE…

8 étoiles

Critique de Septularisen (Luxembourg, Inscrit le 7 août 2004, 56 ans) - 2 février 2009

Une simple suite de petites phrases… voici tout ce qui compose ce livre, pourtant majeur, de l’un des plus grands philosophes Français du XXe siècle…

Des phrases comme : «Un livre qui, après avoir tout démoli, ne se démolit pas lui-même, nous aura exaspérés en vain.», ou «L’endurance des Allemands ne connaît pas de limites ; et ce jusque dans la folie : Nietzsche supporta la sienne onze ans, Hölderlin quarante.» ou bien encore «Mystère,- mot dont nous nous servons pour tromper les autres, pour leur faire croire que nous sommes plus profonds qu’eux»…

En effet, Emile CIORAN c’est la philo avec un langage qui sait être en même temps simple («Être moderne, c’est bricoler dans l’incurable»), beau («Chaque pensée devrait rappeler la ruine d’un sourire»), recherché («L’avantage qu’il y a à se pencher sur la vie et la mort, c’est de pouvoir en dire n’importe quoi») ciselé («Le tort de la philosophie est d’être trop supportable») , sculpté («Je vadrouille à travers les jours comme une putain dans un monde sans trottoirs»), et «sans se prendre la tête» («Le bonheur est tellement rare parce-qu’on n’y accède qu’après la vieillesse, dans la sénilité, faveur dévolue à bien peu de mortels»)…

Mais attention, «sans se prendre la tête», ne signifie pas ici sans nous faire réfléchir, sans nous faire régir, sans faire naître «quelque chose» en nous… D’autant plus que ce philosophe n’hésite pas à être très provocateur… notamment quand il parle de la religion («Si je croyais en Dieu, ma fatuité n’aurait pas de bornes : je me promènerais tout nu dans les rues…»), de la musique classique («La musique est le refuge des âmes ulcérées par le bonheur»), ou encore l’histoire de l’occident («Par la barbarie, Hitler a essayé de sauver toute une civilisation. Son entreprise fut un échec ;- elle n’en est pas moins la dernière initiative de l’Occident. Sans doute, ce continent aurait mérité mieux. À qui la faute s’il n’a pas su produire un monstre d’une autre qualité ?»)…

Car n’oublions pas avant tout qu’il s’agit là du philosophe du pessimisme («A chaque idée qui naît en nous, quelque chose en nous pourrit»), de l’ennui (S’ennuyer c’est chiquer du temps»), du nihilisme («La leucémie est le jardin où fleurit Dieu»), de la tristesse («Si une seule fois tu fus triste sans motifs, tu l’as été toute ta vie sans le savoir»), du suicide («Je ne vis que parce qu’il est en mon pouvoir de mourir quand bon me semblera : sans l’idée du suicide, je me serais tué depuis toujours»), de la solitude («Nul ne peut veiller sur sa solitude s’il ne sait se rendre odieux»), de la mélancolie («Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter»)…

Et oui, c’est tout cela Emile CIORAN… tout cela et bien d’autres choses encore… que je vous laisse découvrir, dans ce tout petit livre, à tout petit prix, car si je n’irais pas jusqu’à dire qu’il met la philosophie «à la portée de tout le monde» et tout cas il met la philosophie à portée du plus grand nombre…

A lire donc, à doses… homéopathiques!

Forums: Syllogismes de l'amertume

Il n'y a pas encore de discussion autour de "Syllogismes de l'amertume".