Sur le vif de Michal Govrin

Sur le vif de Michal Govrin
( Hebzeqiym)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Débézed, le 31 août 2009 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 342ème position).
Visites : 3 937 

" Est-ce que vraiment Dieu habitera sur la terre avec l’homme ?"

« Ilana a trouvé la mort dans un accident sur l’autoroute… », le mari appelle la meilleure amie de son épouse pour mettre de l’ordre dans les nombreux papiers que sa femme a accumulés. Ilana était une jeune mère de famille, brillante architecte qui avait remporté un prix pour construire un monument de la paix à Jérusalem. Ses documents contiennent notamment :

- Des fragments d’un journal personnel dans lequel elle relate l’avancement de son projet et tous les ennuis qu’elle rencontre pour le mener à bien mais aussi la fragilité de son couple et ses relations avec son amant arabe, chef de la troupe de théâtre qui devra inaugurer le monument qu’elle va réaliser.
- Une longue lettre à son père, un des pionniers fondateurs de l’état d’Israël, dans laquelle elle raconte son parcours personnel à travers ses enfants, ses voyages, son projet mais surtout à travers les événements de la guerre du Golfe qu’elle va vivre avec ses enfants depuis Jérusalem.
- Quelques bribes de notes prises au quotidien, « Des instantanés, des respirations murmurées dans le fleuve des routes. »

Et, le roman est construit avec ses trois niveaux de narration et en quatre lieux différents : le New Jersey, Paris, Jérusalem et à nouveau Paris, ce qui donne un récit assez complexe mais particulièrement riche.

Cette brillante architecte décide de partir à Jérusalem pour finaliser son projet pendant que son mari dont elle s’éloigne progressivement, part pour Moscou et Kiev étudier des archives particulièrement précieuses dans sa chasse aux anciens nazis et à toutes formes de renaissance d’une telle idéologie. Elle emmène avec elle ses enfants et espère bien retrouver son bel amant arabe à Jérusalem mais la conjoncture internationale en décide autrement. En effet, la guerre du Golfe se fait de plus en plus plausible, dressant les deux communautés l’une contre l’autre. Mais elle décide, tout de même, de maintenir son séjour malgré la pression de son entourage et notamment de son mari. Elle va ainsi vivre l’angoisse et la peur des Israéliens sous la menace des missiles irakiens mais aussi une belle fraternité avec ses voisins et un retour aux sources sur la terre de ses ancêtres dans les pas de son père décédé un an auparavant seulement.

Il lui faudra attendre la fin des hostilités pour espérer à nouveau que son projet verra le jour sur le Mont de la Jachère, ce « projet est sur une Implantation de Cabanes où viendront les gens, seuls ou en groupe. Ils construiront leur cabane et y vivront sept jours. Ils pourront venir du monde entier, sans avoir besoin d’autorisation pour entrer, sans vérifications de la police. Ce sera une zone ouverte. » L’épreuve vécue avec ses enfants, au sein d’une communauté soudée et chaleureuse, là où père avait vécu et lutté, lui permet de mûrir ce projet et de lui donner tout le sens que les écrits sacrés pourraient lui conférer. « Je veux montrer que le lieu où s’exerce l’instinct de propriété par excellence possède une existence au-delà de l’emprise des hommes – comme il est écrit dans le récit biblique : « Et tu laisseras la terre se reposer… »

Ce livre c’est, au premier regard, l’exposé du problème fondamental du Moyen-Orient depuis des lustres : une seule terre pour deux peuples, que Michal Govrin essaie de résoudre en réduisant la notion de propriété en une notion de jouissance ouverte à tous. Car, elle a bien conscience que la souffrance et le malheur frappent les deux communautés et que la cessation des combats n’adviendra qu’avec l’extermination de l’une des deux ou avec un modus vivendi acceptable par les deux parties. Son discours est fort intéressant mais, elle insiste trop fortement sur l’épanouissement des juifs sur la terre de leurs ancêtres ce qui pourrait vouloir dire que c’est leur terre et qu’ils sont le peuple élu de cette terre.

On comprend bien son message de laïcité, d’ouverture, de rejet de l’exode forcené des juifs de Russie, mais on a tout de même le sentiment que les deux communautés ne sont pas considérées de la même façon et qu’elle ne leur accorde pas la même légitimité pour fouler ce sol. On le comprend d’autant mieux quand elle évoque la famille, les pionniers, le sol, le sang, l’épanouissement de ses enfants, tous ces thèmes qui ancrent très fort sa communauté dans le sol d’Israël. On peut ressentir dans son texte de la compassion, de la tolérance mais jamais une réelle volonté d’intégration de l’autre communauté, juste une acceptation. Même son amant arabe ne se comporte finalement que comme le maître d’un harem à sa disposition et fait contraste avec les Israéliens qui l’ont entourée pendant l’épreuve à Jérusalem. Sous les missiles, près des cendres de son père, au sein de sa communauté, elle a redécouvert le sens du sacré et le sacré ne se partage pas. Le sol, expression du domaine sacré par excellence, est donc indivisible et le problème de la légitimité de l’occupation du pays n’est pas résolu et ne le sera pas avant longtemps.

C’est aussi un livre sur la solidarité familiale et communautaire, Ilana a une relation très forte avec ses fils, même si son couple bat sérieusement de l’aile, ses voisins l’assistent, ses amis la soutiennent, la communauté juive est un creuset ou chacun peut trouver soutien, amitié et réconfort. Et cette solidarité est nécessaire car dans l’épreuve, la peur attise l’instinct de conservation, la fausse compassion et ramène les hommes aux limites de l’animalité.

Enfin, il ne faut pas oublier que ce roman est aussi une ode à la liberté de la femme qui peut choisir ses amants comme elle l’entend, conduire ses projets, vivre ses utopies, partir avec ses enfants, transmettre ses valeurs et courir après es rêves.

Mais surtout ce livre, même s’il dénonce les solutions violentes, s’il prône le respect, l’ouverture, la laïcité, s’il préconise un retour aux valeurs religieuses et familiales, est, pour moi, avant tout, un livre sur la transgression. Cette bonne mère de famille juive qui donne la meilleure éducation à ses enfants, prend un amant arabe pour le seul plaisir de la chair transgressant ainsi les règles du couple, les mœurs de sa communauté et la morale de sa religion.

Le sujet est très vaste, le livre est dense, il foisonne d’aventures, d’impressions, de sentiments, de réflexions mais il est aussi un peu long, bavard, verbeux et même un peu mou pour un sujet aussi brûlant. Il embrasse peut-être trop, pour bien étreindre.

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Un café littéraire : rencontre sur le vif

9 étoiles

Critique de Moune (, Inscrite le 8 septembre 2010, 54 ans) - 13 septembre 2010

Il est des cafés littéraires où l’on rencontre un auteur, un vrai. Un de ceux qui ne trichent pas avec leurs émotions, qui n’appliquent pas des techniques rodées et efficaces pour piéger un lecteur peu regardant qui, pour une fois ou pour toujours, voudrait juste l’espace de quelques pages, oublier dans les bras du roman, son quotidien sans relief ou trop prenant.
Michal Govrin est une de ces auteurs-là.
Dans son roman « Sur le vif », elle est allée au bout de chacune des routes où l’ont menée ses émotions d’auteur, bravant leur force pour en être le passeur, le témoin. Elle a exploré avec son héroïne, Ilana Tsouriel, les chemins de traverse que sa propre vie ne l’aurait jamais autorisée à explorer.
Comme Ilana, nous vivons écartelés entre Israël et Le New Jersey, entre Paris et Munich, à la recherche de nous-même, de la compréhension de notre histoire, de celle de notre pays, de celle de notre peuple : voilà tout le talent de cet écrivain. Car à travers l’histoire particulière d’Ilana, Michal Govrin nous emmène à la découverte de nous-même : femmes, mères, filles, architectes ou écrivains, tout cela à la fois, tout cela à la fois sans rien renier du kaléidoscope de nos vies toutes différentes dans leurs parcours, dans leurs croyances et pourtant si semblables.
Sabine Wespieser est éditrice, celle de Michal Govrin pour la France. Une de ces éditrices qui aiment et défendent leurs auteurs avec tant de conviction, tant de sincérité, qu’il nous en vient l’envie d’écrire… Merci. Merci à ces éditeurs au grand cœur qui nous offre, à nous lecteurs, les mots de leurs auteurs, pour dire tout de ces émotions si profondes et si belles qui traversent nos vies.
Il est des cafés littéraires qui nous offrent comme un cadeau de la vie... une rencontre, un livre.

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