Les Naufragés de Graham Greene

Les Naufragés de Graham Greene
(England Made Me)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Saint-Germain-des-Prés, le 13 août 2009 (Liernu, Inscrite le 1 avril 2001, 56 ans)
La note : 7 étoiles
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« Vivre, c’est laisser des choses derrière soi ; c’est être aussi libre qu’un naufragé qui a tout perdu »

Voici encore un de ces livres qui se laissent lire, mais sans casser la baraque… Pour ma part, je regrette que l’intensité dramatique n’en soit pas un ingrédient car tout s’y prêtait…

Nous voilà en présence d’un couple de jumeau. Non, je ne donne pas ici dans le pléonasme, car ce frère et cette sœur de 33 ans, séparés d’une chiquenaude de quelques minutes, font davantage penser à un couple qu’à une fratrie. Lui, Anthony, est instable, voire versatile. Il ne manque ni d’intelligence ni d’esprit et pourtant, il incarne ce qu’on appelle aujourd’hui un looser. Un peu menteur, un peu veule. Aucun travail fixe, il enchaîne les renvois et les changements de situations qui le baladent à travers le monde. Il ne construit rien, ne compte rien à son actif, aucune relation amoureuse suivie (malgré un charme travaillé et désarmant), aucune économie, mais pas de dette non plus. Il aurait pu « percer » grâce à l’une ou l’autre invention mais, adepte de la victimisation, il prétendra que si aucun projet n’a abouti, c’est parce que personne n’a voulu investir, bref, il a manqué de chance. Quelle belle façon de se déresponsabiliser ! Quant à sa sœur, Kate, c’est tout l’inverse. Son ambition justifie à ses yeux pas mal de sacrifices, notamment celui de son intégrité. Et là voilà donc secrétaire du directeur de la plus grande firme suédoise, son salaire étant à l’avenant. Secrétaire de Krogh le jour, maîtresse de Krogh la soirée. Quant aux nuits, elles sont chastes… Car Krogh n’aime rien tant que les chiffres. Là, et là uniquement, il se sent chez lui, à l’aise. Mais mettez-le en présence d’autres êtres humains, le voilà perdu, engoncé dans sa timidité, un vrai désastre. Chacun, dans ce duo, y trouve donc son compte.

Kate n’en peut plus d’être séparée de son frère. Depuis des années, de laconiques cartes postales sont les seuls signes qu’il lui adresse. Le livre s’ouvre sur leurs retrouvailles, à l’occasion d’un voyage de Kate à Londres. Elle a le désir profond que son frère quitte sa vie médiocre et sans but pour la suivre en Suède où Krogh lui offrirait une situation dans son entreprise. Après avoir fait la fine bouche, la réticence d’Anthony s’amenuise et, se laissant porter par les décisions des autres et par sa concupiscence, il finit par embarquer pour la Suède, à la grande joie de sa sœur qui l’aime plus que tout au monde, ou plutôt qui n’aime que lui au monde…

Le livre exploite ce réseau de relations entre les protagonistes et tisse une véritable toile d’araignée. Toutefois, la narration reste assez plate, ne va pas crescendo. Il y a bien un rebondissement final (ah, enfin du drame !), mais la tension ne se ressent pas. Intellectuellement, on se dit que quelque chose va bien devoir arriver, que l’araignée va finir par se montrer, mais cette pensée ne se traduit pas par un serrement de gorge ou d’estomac. L’araignée surgit tout à coup et repart aussi sec. Point. Dommage…

« Les naufragés » n’est pourtant pas lui-même un naufrage car Graham Greene offre une narration fluide, avec quelques pages de pur plaisir de lecture comme ces passages qui dynamisent le texte, où nous sommes dans la tête de l’un ou de l’autre et où nous suivons leurs pensées qui passent du coq à l’âne, ne respectant aucune chronologie. Tout l’art de Greene s’exerce ici car à aucun moment il ne perd son lecteur.

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