Les Amours Perdues de Pierre Yergeau

Les Amours Perdues de Pierre Yergeau

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 14 décembre 2004 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 9 étoiles
Visites : 2 961  (depuis Novembre 2007)

Un orphelin modelé par le cirque

Voici le troisième tome d'une oeuvre consacrée à des orphelins de l'Abitibi. Amazon ne le vend pas.

Pierre Yergeau est en train d’ériger un monument au pays de ses origines. Il associe le développement de l’Abitibi au sort de la famille d’un trapéziste, qui s’est retrouvée à 600 km au nord de Montréal, une région vierge où tous les espoirs étaient permis. Le premier tome de son œuvre (L’Écrivain public) s’attachait surtout à Jérémie, alter ego de l’auteur et deuxième fils des Hanse. Le deuxième tome (La Désertion) était consacré à Michelle, la benjamine qui maria un homme alcoolique. Le troisième tome (Les Amours perdues) se penche sur Georges, l’aîné des trois enfants, le seul témoin véritable de la vie de cirque de son père, mort en présentant son numéro.
Ce roman trace la genèse de cette famille et, en particulier, celle de la personnalité du héros. Né dans la vallée du Niagara, il a suivi son père au point de s’initier à son art. Il a ainsi fait partie du Grand Cirque d’hiver, qui plantait son chapiteau pour divertir ceux qui s’ennuyaient dans les centres éloignés de l’agitation urbaine. Georges a hérité du caractère paternel, contrairement à son frère qui a hérité de celui, plus introverti, de sa mère Delphine. La vie lui apparaît donc comme un combat qui appelle au dépassement comme les numéros de cirque. Cette perception lui a donné une fureur de vivre qui ne peut trouver son couronnement que dans la fatalité, à l’instar de celui qui perdrait la vie en escaladant l’Everest. Contrairement au héros de Styx de Roger Magini qui condamne les morts gratuites, Georges aime se mesurer à l’existence. « Tu n'es rien tant que tu n'es pas quelqu'un d'autre! », dit-il à son frère. Il faut comprendre cette phrase comme une invitation à aller au bout de soi-même au lieu de vivre par procuration en regardant ceux qui osent actualiser l’incréé en eux.
Cet idéal lui sert d’aune pour juger les siens. C’est avec lucidité qu’il perçoit les résignations que camoufle leur destin, voisin de celui du fantôme qui ne peut se manifester. Quelle aventure a vécue sa grand’mère dans les Prairies ? Pourquoi sa mère est-elle neurasthénique ? A-t-elle peur d’accepter l’amour de Gabriella, la sirène du cirque qui, chaque soir, trouve sa beauté en s’offrant en spectacle dans un bassin ? Georges pointe du doigt toutes les voies qui ont débouché sur des amours perdues. Seuls les Etats-Unis, en particulier Chicago, semblent lui fournir l’occasion d’échapper à un tel sort.
Pierre Yergeau évoque avec élégance les possibles tapis de l’être humain. Sa métaphore du cirque les actualise en guise d’invitation à s’habiter soi-même comme on habite une région, autre métaphore qui souligne l’investissement dû au développement de l’être humain. L’œuvre se présente comme une chronique. Jérémie note les brèves observations de son frère pour créer la genèse de la famille Hanse. Avec une économie de moyens et une grande sensibilité à l’instar de Jacques Poulin, l’auteur étale la carte des sentiments que ses personnages se sont interdits. Il a tracé de fines icônes qui retracent la mythologie sur laquelle s’appuie l’histoire d’une famille reliée à celle de l’Abitibi. L’écriture poétique garantit aux romans de Pierre Yergeau une qualité peu commune. Disons qu’il se sert du fusain plutôt que des couleurs criardes afin de conférer à son œuvre une atmosphère de confidentialité.

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