Carnet d'Exténuation de André Sarcq

Carnet d'Exténuation de André Sarcq

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Sahkti, le 29 mai 2009 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 203ème position).
Visites : 3 636 

Combat poétique

Ce livre, ni une anthologie ni un recueil comme le souligne l'auteur, est un formidable écho donné à la maladie. Maladie dont on a longtemps tu le nom, maladie qui devint presque une mode médiatique, maladie qui est entrée dans la vie courante et qu'on nomme sida. Un fléau qui a frappé l'auteur à la fin des années 80, faisant naître en lui l'incertitude, la peur, la douleur aussi. Une douleur qui accompagne cet ouvrage au fil des pages et se décline en de mutliples variations poétiques.

"Croissant
irrésistible épine d'aube
forant droit à travers la moelle
croissant jusqu'à l'âme fleurir
en son éphémère aubépine
sous ce qui de là-haut s'écoule
filtré par le vent de la nuit"
(page 33)

Ce Carnet d'exténuation, c'est vingt ans d'écriture explorés pas à pas, amenant l'auteur, mais aussi le lecteur, à considérer son travail dans une perspective plus large; celle d'une évolution bien sûr mais aussi celle d'un regard porté sur soi et sur ses mots. Travail délicat qui implique le recul, l'objectivité dans tout ce qu'elle de subjectif, la nuance et l'ouverture. Comment considère-t-on aujourd'hui les phrases disséminées il y a vingt ans? Quel regard porte-t-on sur des textes empreints d'une maladie qu'on a affrontée?

"Jeunesse
soleil crucial
grimoire en poudre
qui neige sur le chandelier
soufflé"
(page 23)

Afin de faire face à cette douleur qui laisserait nu tout un chacun, André Sarcq a écrit, encore et encore, ce qu'il nomme "un empilement de blocs d'écrits testamentaires", histoire quelque part de déposer des particules vivantes face à une maladie qui tue.

"J'écoute le mourir
marcher en moi"
(page 42)

Les années ont passé, les textes sont restés et puis voilà que désormais est venu le temps de les faire se rencontrer, d'éveiller chez l'un ou l'autre des échos personnalisés. Mots d'hier se répondent aujourd'hui, ponctuant un parcours imprévisible et fragile. Au choc de la révélation succède l'agonie, puis le poids de la survie et enfin le bonheur d'être là, tout simplement. Vingt ans de tensions et d'incertitude qui donnent leurs couleurs aux mots de ce livre, empreint d'une beauté noble et d'une grande sensibilité.

Carnet de mots inspirés au fil des humeurs, selon les envies et les souffrances. Rien de prémédité, pas de continuité ni de moments mis en scène; c'est la vie qui s'exprime par étapes, celles d'un parcours à assimiler puis surmonter et enfin observer, plus tard.

"je
voulais conclure ce livre
exténué par un poème
anodin puis

reprise du

SOUFFLE"
(page 97)

Un livre magnifique au titre qui l'est tout autant. La sincérité des émotions exprimées m'a profondément touchée et séduite.

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magnifique méditation sur le sida

10 étoiles

Critique de Cyclo (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans) - 20 juin 2013

L'auteur a réuni des textes écrits sur une vingtaine d'années, depuis l'annonce de sa séropositivité (« farce saumâtre », « obsédante éclaboussure ») et de l'agonie annoncée (« la chair à son coeur babillant ses ruses mortelles », « la conscience qui s'atomise »), du sida effectif avec son cortège d'amaigrissement et de « détestation de soi », de « prise en dégoût de son propre reflet », de « l'effondrement au brasier froid » (« J'écoute le mourir / marcher en moi / J'écoute le sida / passer en moi »), jusqu'à l'apparition des nouveaux traitements qui autorisent à se dire que « souffrir n'est plus / cette terre définitive », puis, sans qu'on puisse parler de guérison, retrouver « ce peu de toi dans la clarté », même si dans un long texte l'auteur renonce à son grand amour : « Notre adieu est sans lieu ni date / Tout est dans l'ordre et la douleur / qui sont un. » Enfin, découvrir même avec la résurrection finale que « décembre / m'habille d'étés flamboyants » et qu'on peut estimer qu'on est « heureux de n'être rien qu'heureux »!
Je pense après la lecture de ce livre que seule la poésie est capable de rendre compte avec une telle acuité de cette chronique d'une mort annoncée et d'une résurrection au simple « heureux fait d'être. » L'auteur peut alors se prévaloir de pouvoir de nouveau se promener « sous la main lente des nuages », ou encore de « voler / un peu de son parfum à Dieu », de faire un « retour à mon corps par là », de retrouver le goût « du désir en son incendie » dans une « reprise du / souffle » (derniers mots du livre). Oui, un beau livre qui ouvre un cheminement à tous ceux qui ont eu à subir une maladie et à la sublimer : qui a dit que les mots n'avaient plus de poids, que la poésie d'aujourd'hui était abstraite ? Merci, André, et je suis bien d'accord avec toi quand tu nous dis : « Car écrire est se liquéfier. »

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