Le maître de Santiago de Henry de Montherlant

Le maître de Santiago de Henry de Montherlant

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Théâtre

Critiqué par Jules, le 10 décembre 2001 (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans)
La note : 10 étoiles
Visites : 7 162  (depuis Novembre 2007)

Quel texte !...

L'Ordre de Santiago n'existe plus dans les faits à l’époque ou Montherlant nous transporte, c'est à dire 1516. A peine le royaume d'Espagne reconquis, le Roi les a dissout ou les a pris en main « Il n’avait plus besoin d’eux, et il en avait peur. Et puis, c'est ce qu'on fait avec ceux qui ont été à la peine. »
Cet ordre ne se perpétue que dans l’esprit de quelques hommes dont don Alvaro qui en est le chef désigné par eux. Mais don Alvaro ne voit en son époque que bêtise, rapacité, convoitise, cruauté et aucune élévation de l'esprit. Pour lui l’Espagne est morte, comme l'est le monde entier. L’Amérique est une catastrophe pour l’Espagne et, selon lui, c'est l'Indien qu'il faudrait protéger de la rapacité du « conquistador » sans foi ni loi et des prêcheurs sans scrupules. Il fuit donc le monde « imbécile » au nom du fait que la vraie grandeur n’existe plus, ni la vraie foi.
Marianna, fille de don Alvaro, est amoureuse de don Jacinto, mais elle ne pourrait épouser celui-ci qu’avec un peu plus de fortune. Son père, don Bernal, veut donc faire accepter un poste en Amérique à don Alvaro. Il s’y enrichira et ce mariage d’amour deviendra alors possible. Mais comment faire accepter un poste là-bas à don Alvaro alors qu’il dit : « Les colonies sont faites pour être perdues. Elles naissent avec la croix de mort au front. »
Notez au passage que Montherlant défend ici, en 1947, les idées qu’il défendait déjà dans son roman « La rose de sable » écrit de 1930 à 1932.
Mais don Bernal lui répond que fuir le monde n’est pas la vraie solution, la solution "c’est d’être vertueux dans le siècle, là où est la difficulté. » Mais cet homme est humain, alors que don Alvaro est devenu un ascète, une sorte d'extrémiste hors du monde et intransigeant.
Mais don Alvaro a-t-il tort quand il dit : « Oui, les valeurs nobles, à la fin, sont toujours vaincues ; l’histoire est le récit de leurs défaites renouvelées . » ? Il me semble que non, mais refuser le combat n'est peut-être pas la solution, ni de psalmodier, comme il le fait « Malheur aux honnêtes… Malheur aux meilleurs. » Marianna, quant à elle, ne demande qu’à ce que ce mariage puisse avoir lieu. Mais comment avec un père qui ne veut même pas tenir compte d'elle.Dans son aveuglement, sa volonté de ne penser qu'à Dieu, il dit d’elle : « Je ne lui parle pas de choses sérieuses parce qu’elle est incapable de les entendre. Pourriez-vous prier, si vous saviez de certitude que Dieu ne vous comprend pas ? »
Bernal lui fait remarquer, avec raison, qu'il sacrifie son enfant à lui-même et rien qu’à lui-même et ajoute: « Vous êtes un de ces esprits charmés de leurs propres rêves, qui peuvent devenir si dangereux pour une société. »
Je ne vais pas analyser cette pièce plus loin et vous laisser le soin d'en découvrir la fin. Je voudrais cependant encore dire que don Alvaro, dans sa volonté de pureté, paraît effectivement un homme assez terrifiant en ce qu'il se considère comme le seul vrai pur, un des seuls à posséder la vérité. Ce type de langage fait toujours peur car il peut mener ces hommes aux pires excès.
Ecoutez-le: « A moi cela me plaît ainsi. Et c'est ainsi que cela plaît à Dieu. Voilà qui suffit.» !
Une très grande pièce, un concentré de beauté de la langue et une grande intelligence, mais son personnage central fait peur aux simples humains que nous sommes !…

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