Le Pont des soupirs de Richard Russo

Le Pont des soupirs de Richard Russo
( Bridge of sighs)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Jules, le 12 mars 2009 (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (11 945ème position).
Visites : 6 527 

La psychologie et l'étude du milieu poussées loin

Voici un livre qui n’est pas évident à critiquer tellement il est dense. Il est aussi bourré de flashs back. La majeure partie de l’œuvre se passe dans une petite ville pas trop lointaine de New York et seulement une très mince partie à Venise, contrairement à ce que le titre peut faire penser.

L’ensemble tourne autour de deux familles et surtout de deux jeunes garçons. Louis C. Lynch et Bobby Marconi. Le premier a une incroyable admiration pour son père alors que le second hait le sien avec force. Au début de l’histoire ils sont encore en primaires. Ils sont amis, enfin tout le laisse supposer. Louis, dit Lucy, est un garçon un peu balourd, lent, mais intelligent. Le second est bien plus vif et fait partie de ceux qui dirigent et qui comptent. Les deux familles, quand nous en faisons la connaissance, sont parmi les moins bien loties de la ville. Mais elles vont grimper des échelons. Les mères des deux familles sont amies mais cela doit rester confidentiel, le père Marconi ne supportant pas cette complicité. Il est d’ailleurs aussi autoritaire que le père Lynch l’est peu.

Commence alors le récit de l’évolution de ces deux garçons et de leurs familles.

La ville ne possède qu’un seul gros employeur qui est la tannerie. C’est aussi celle-ci qui pollue la rivière et son environnement au point de donner à la petite ville un record de cancers divers. Alors que le père Lynch va arrêter son évolution en achetant une petite épicerie, à la grande rage de sa femme convaincue que ce sera un échec vu l’ouverture de la première grande surface de la ville, le père Marconi monte plus haut. Mais la petite ville est-elle totalement condamnée quand cette tannerie se verra aussi obligée de fermer ?...

Nous allons donc suivre l’évolution de tout ce petit monde, enfants et parents des deux familles, ainsi que de ceux et celles qui tournent autour d’eux. A travers eux, nous découvrirons ce qu’était l’Amérique dans les années 60,70 et 80. Et cela tant au niveau du comportement envers les noirs qu’entre les différentes classes sociales.

Ce livre est très bien écrit mais il convient cependant de noter que certaines parties semblent un peu longues. L’auteur aurait pu faire quelques coupures sans que cela ne gêne le fil de l’histoire. Et pourquoi le Pont des Soupirs, me direz-vous ?... A vous à le découvrir…

Un livre qui vaut largement la peine d’être lu !

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Les éditions

  • Le pont des soupirs [Texte imprimé], roman Richard Russo traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean-Luc Piningre
    de Russo, Richard Piningre, Jean-Luc (Traducteur)
    Quai Voltaire
    ISBN : 9782710330028 ; 25,40 € ; 04/09/2008 ; 726 p. ; Broché
  • Le pont des soupirs [Texte imprimé] Richard Russo traduit de l'américain par Jean-Luc Piningre
    de Russo, Richard Piningre, Jean-Luc (Traducteur)
    10-18 / 10-18. Série Domaine étranger
    ISBN : 9782264048851 ; 5,97 € ; 07/01/2010 ; 831 p. ; Poche
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Venise mon amour !

9 étoiles

Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 22 octobre 2018

Voici le plus épais enfant de Richard Russo. Sans doute pas le plus abouti mais bien celui qui va le plus loin dans une introspection minutieuse de ses personnages. Pas toujours évident à lire, parfois répétitif il parvient, pour celui qui est prêt à consentir à un effort presque scolaire, à donner une ambiance magique. Cela cafouille vraiment par moment, mais peu à peu, curieusement j'y suis arrivé avec un bonheur curieux.
Les personnages sont issus d'une famille modeste de l'Amérique de l'ouest. L'homme travaille, la femme entretient le ménage et élève l'enfant et travaille aussi à d'autres activités pour compléter les revenus de la famille. L'idéal véhiculé crée des êtres sans défaut et sans malice (ou presque). Le père pense que vous êtes courageux, évitez l'alcool et ne convoitez pas l'épouse d'autrui, la grande Amérique vous permettra de vous élever.
La génération suivante se reproduit de la même façon et la même construction se répète.
La guerre du Vietnam est terminée donc la troisième génération évolue donc dans les années 80 où les valeurs évoluent et la chaîne se brise.
Comment terminer un billet sans parler du problème sous-jacent.
Comme la tache originelle, les États-Unis vivent avec leur œil de Caïn : les afro-américains poliment ici dénommés sont en réalité mis au banc de la société. Parqués dans des ghettos on les tolère pour nettoyer, lustrer, ramasser et servir.
" C'est quoi ce pays où l'on vit ? ". C'est la question que se pose un vieux noir. Son fils s'est fait tabasser devant la ville entière sans que personne ne bouge. Il avait osé s’asseoir à côté d'une blanche dans un cinéma.

Volez dans les cieux... Lou, Lucy, Sarah, Boddy vous êtes dans ma boîte à rêves, celle des rois et des gueux !

Au fil de l'eau

8 étoiles

Critique de Heyrike (Eure, Inscrit le 19 septembre 2002, 57 ans) - 18 janvier 2015

Thomaston fut autrefois une ville prospère. Une époque faste, durant laquelle l'usine de tannerie déversait des colorants et des produits chimiques dans la rivière Cayoga, en modifiant la couleur suivant la teinture du jour. Lucy a soixante ans, il chérit passionnément sa femme Sarah depuis quarante ans, c'est un homme débonnaire qui n'a jamais souhaité quitter la ville où il est né. Cette ville est pour lui l'écrin de ses souvenirs d'enfance qu'il conserve précieusement au fond de sa mémoire intacte. Sarah a programmé un voyage à Venise, durant cette escapade, c'est leur fils Owen qui gérera les trois épiceries dont ils sont propriétaires. Là bas, ils ont prévu de retrouver Bobby, l'ami d'enfance de Lucy, devenu un artiste peintre renommé. Un ami d'enfance que Lucy n'a pas revu depuis près de quarante ans. Ce voyage et l'idée de retrouver un ami auquel il est resté très attaché le poussent à écrire l'histoire de sa vie.

Années 1950. Ses parents forment un couple très contrasté. Son père, livreur de lait à domicile, est un homme doux et très sensible. Son plaisir quotidien consiste à fouiner à droite et à gauche à la recherche d'objets les plus hétéroclites dont il pense pouvoir se servir un jour ou revendre. Souvent, lors de ses tournées, il emmène Lucy, lui faisant découvrir les différents quartiers de la ville. Une ville découpée en trois zones bien distinctes, le West End (quartier ouvrier), l'East End (quartier de la classe moyenne) et le Borough (quartier des notables). Entre ces trois quartiers, les barrières sociales sont omniprésentes dans les rapports qu’entretiennent les habitants de Thomaston. Son père est profondément attaché à l'esprit de ce grand pays où tout est possible pour tous ceux désireux d'entreprendre et de s'élever dans l'échelle social, cependant il souligne que chacun doit savoir quelle place il occupe dans la société et s'en faire une raison (pour lui, seuls les gens qui évitent les problèmes ont une chance de pouvoir réussir). Sa mère, comptable à domicile, a une personnalité plus pragmatique, un caractère plus abrupt, qui désespère de la vision qu'a son mari sur l'existence qu'elle juge trop étroite et empreinte d'un optimisme niais. Entre tensions et désaccords, le couple affronte vaillamment les flots tumultueux de la vie. Lucy se sent plus proche de son père que de sa mère.

De l'autre côté de la rue, vit la famille Marconi. La relation entre M.Marconi et le père de Lucy est froide au grand désarroi de ce dernier, tandis que Mme Marconi et la mère de Lucy partagent maintes confidences. Lucy trouve en Bobby Marconi un ami auprès duquel il se sent capable d'affronter la vie. Mais il ignore tout du drame qui se joue dans sa famille.

Un roman qui narre l'histoire d'une famille modeste gravissant au fil du temps l'échelle sociale au sein d'une petite communauté où tout est codifié par la géographie des quartiers qui incarnent une Amérique conquérante, divisée, et brutale à la fois. Joies, frustrations, amours et rancœurs sont autant de sentiments que l'auteur explore tout au long de ce récit où les personnages sont chahutés par les événements et le temps qui passe. Il reprend les thèmes qui lui sont chers, les liens familiaux distendus par les passions contraires et la description, presque clinique, du déclin d'un mode de vie menacé d'engloutissement. Une lecture passionnante, qui vous transporte du début jusqu'à la fin. Il est vrai qu'il y a quelques longueurs, mais facilement franchissables, et que l'auteur adopte un ton un plus grave, délaissant, un tant soit peu, l'humour dont il avait fait preuve dans ses précédents ouvrages. Il sait rendre ses personnages vivants et attachants, des gens ordinaires dont l'héroïsme consiste à affronter les turpitudes du quotidien malgré les faiblesses, les peurs et les blessures secrètes.

Un bon roman

8 étoiles

Critique de Sundernono (Nice, Inscrit le 21 février 2011, 41 ans) - 8 janvier 2014

Plongé dans un roman de Richard Russo c’est s’immerger dans une Amérique loin des standards habituels. Point de mégalopoles avec leurs gratte-ciels, leur immensité et leurs grandes enseignes. Ici vous serez plongés au cœur de Thomaston, petite ville de l’Etat de New York oubliée par l’American Dream. Une bourgade à l’image d’Empire Falls pour ceux qui auraient lu l’inénarrable Déclin de l’empire Whiting du même auteur. Elle aussi a connu son heure de gloire mais connaît désormais un long et inexorable déclin.
Parmi sa population clivée par catégories sociales comme dans toute ville américaine qui se respecte se débattent des êtres, des hommes et des femmes dont les existences mineures sont tout le sujet de cet excellent auteur qu’est Richard Russo.
Russo s’attache ici à trois personnages ou disons plutôt trois familles dont les destins semblent reliés dès le départ, comme si tout était déjà écrit à l’avance. Les Lynch, Marconi et Berg connaîtront des fortunes diverses au cours des quelques 800 pages de ce roman mais je n’en dirais pas plus car cela pourrait gâcher le plaisir de futurs lecteurs.
Et ces 800 pages alors ? Encore un pavé me direz vous ! Oui un pavé, en effet, mais quel pavé !
En toute honnêteté je n’ai pas vu le temps passer et malgré sa densité le Pont des soupirs se lit avec grande aisance et beaucoup de plaisir. Les mots sont simples mais parfaitement employés. Certains pourront y trouver des longueurs. Pas moi en tout cas. Russo est un écrivain agréable à lire et m’a transporté avec plaisir à travers ses personnages dans cette Amérique hors standards du XXe siècle.
Le triangle amoureux Lou/Sarah/Bobby apporte notamment une dimension supplémentaire au récit. Moi qui suis assez réfractaire aux histoires d’amour cela ne m’a vraiment pas gêné car là ne réside pas l’essentiel du roman contrairement au Roman du mariage de Jeffrey Eugenides qui fut pour ma part une immense déception.
Je ne pourrais que vous conseiller cette lecture à l’image des autres critiques qui eux aussi ont semblé apprécier ce Pont des soupirs.

Richard Russo est une VRAIE valeur sûre ...

9 étoiles

Critique de NQuint (Charbonnieres les Bains, Inscrit le 8 septembre 2009, 52 ans) - 8 septembre 2009

Tous les romans de Richard Russo ont une prédilection pour la description de la vie d'Average Joe, de la lower-middle class, dans le Smalltown America. Avec un tropisme certain pour les petites villes en déclin, celles qui ont eu un passé certes pas radieux, mais enfin ayant un jour présenté une particularité, une industrie florissante et qui ont sombré avec le temps et restent à végéter dans un déclin lent mais inéluctable, leurs habitants n'étant rassemblés là que par une unité de lieu (et non une communauté de destin) et par le poids du passé. Si Richard Russo devait écrire un roman se situant en France, il choisirait Thiers par exemple (petite ville plutôt perdue du Puy-de-Dôme, autrefois réputée pour ses couteaux, étape obligée de la nationale, aujourd'hui en déclin, contournée par l'autoroute). Il met ainsi en parallèle cet entre-deux géographique avec un entre-deux des personnages, ni grands, ni petits, ni glorieux, ni misérables mais qui ne seront jamais "bigger than life".
Il avait dans ce registre écrit l'excellent Le déclin de l'Empire Whiting, très mérité Prix Pulitzer 2002 mais aussi Un rôle qui me convient (une variante ici, un écrivain raté dans une université déclinante). Un homme presque parfait reste dans cette thématique mais en ajoutant la composante de la rédemption possible dans la relation paternelle, thème qui est approfondi dans Quatre saisons à Mohwak.
J'ai lu tous ses romans avec un vrai plaisir et j'attendais avec impatience le dernier opus. Je n'ai pas été déçu. Le livre déroule ses méandres au long de 750 pages et c'est un délice. Il en aurait fait 7.500 que je n'en aurai pas été gêné et je sais gré à Richard Russo de faire des romans de cette taille, c'est la bonne distance pour vraiment s'immerger dans l'ambiance et entrer en empathie avec les personnages. Car au fond, qu'est ce qui rend la description de ces 'petites vies' si intéressantes sinon la tendresse que leur porte l'auteur, qui laisse à voir sans complaisance mais sans cynisme ou cruauté non plus leurs défauts, illumine leurs petites gloires à la petite semaine et leur prête à tous, sinon une possibilité de rachat ou de rédemption, au moins quelque facette permettant de nuancer leur médiocrité.
Le pitch du livre n'a que peu d'importance, il s'agit de la vie d'une famille dans une bourgade perdue (et sur le déclin, bien sûr), traversant trois générations entre ascension sociale et stagnation dans la middle-class, entre amour et conflits, pusillanimité et générosité, avec en filigrane, la tentation du départ (la bien nommée ici Tentation de Venise !), le poids des origines ou encore l'essence de la vocation artistique.

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