Vous n'étiez pas là de Alban Lefranc

Vous n'étiez pas là de Alban Lefranc

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Palorel, le 3 mars 2009 (Inscrit le 25 décembre 2004, 44 ans)
La note : 10 étoiles
Visites : 3 735 

J'cloue des clous sur des nuages

Après s’être intéressé à Fassbinder en 2005 (Attaques sur le chemin le soir dans la neige), à la RAF l’année suivante (Des foules, des bouches, des armes), c’est à Nico qu’Alban Lefranc vient de consacrer le dernier volet d’une trilogie ayant pour cadre l’Allemagne des années 60-70 (trilogie parue en un seul volume en Allemagne sous le titre Angriffe). Mais Vous n’étiez pas là, bien que respectant l’ordre chronologique, n’est pas une biographie de la « queen of the bad girls ».

Avançons donc dans la genèse de vos prétentions.
Vous ne voulez pas de biographie, c’est une chose entendue. (p.17)


A en croire la quatrième de couverture, il s’agirait même plutôt d’un détournement du genre biographique. C’est qu’il est difficile, et sans doute vain, de tenter d’asséner des vérités sur un personnage comme Nico. Alban Lefranc, en la vouvoyant, se lance donc dans une série d’hypothèses sur ce qu’aurait pu être sa vie, loin des «clous» (mot récurrent dans le livre) où on l’accroche faute de mieux :

Une folle troupe hirsute d’enfances court sur votre peau. Je vous en propose plusieurs, je sais que vous les aimez toutes. (p.18)

Des hypothèses qui parviennent néanmoins à prendre corps dans l’esprit du lecteur, le mentir-vrai opérant à merveille. Comme si, de façon totalement antinomique, le conditionnel se chargeait sous la plume d’Alban Lefranc d’une valeur performative, Nico est ce qu’elle aurait pu être, instantanément. Figure christique (de son vrai nom Christa Päffgen), excellant « dans l’art du noli me tangere » (p.120), elle est donc à la fois présente et absente, là sans être là. Peut-être même là parce qu’elle n’est pas là, présente en raison de son absence, cette (feinte?) indifférence constituant précisément sa marque de fabrique et l’imposant au monde.

Vous vous souvenez que vous vouliez disparaître, vous effacer entièrement, qu’être uniquement visage était encore une trace de trop. » (p.63)

Et c’est cette fuite hors d’elle-même qu’Alban Lefranc tente d’accompagner dans ce livre, une fuite qui prend souvent le chemin du mensonge :

Vous avez donc plusieurs pères à votre arc. Un carquois plein sur le dos, et vous les décochez calmement sur les renifleurs d’origines et de fondements. Rien ne vous arrête sur ce point, pas le moindre souci de vraisemblance, et votre aplomb fatigué (vous parlez lentement, avec une grande lassitude, comme si vous aviez répété mille fois ces choses), met en déroute les sceptiques. (p.23)

Si cette fuite est balisée de clous (quelques allusions au Velvet Underground, à La dolce vita, à peine quelques pages sur Jim Morrison ou Alain Delon), l’auteur convoque ici des figures plus inattendues, dans des rôles qui le sont tout autant, comme le photographe allemand Herbert Tobias ou le comique américain Lenny Bruce, ses deux « frères en désastre ». Une rencontre avec ce dernier, inspirée du célèbre morceau « Eulogy to Lenny Bruce », fait l’objet d’une des hypothèses (et d’une partie entière) du livre. Le récit de cette rencontre hypothétique, fondé sur une chanson, montre très bien, comme le livre dans son ensemble, l’immense pouvoir évocateur de la fiction.
Loin des clous, ressuscitée, Alban Lefranc rend Nico incroyablement présente et vivante. Mais l'écriture de la vie, est-ce que ce n'est pas là le rôle d'une vraie biographie?

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