Vendredi ou Les limbes du Pacifique de Michel Tournier

Vendredi ou Les limbes du Pacifique de Michel Tournier

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Pétoman, le 29 novembre 2001 (Tournai, Inscrit le 12 mars 2001, 49 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 659ème position).
Visites : 13 508  (depuis Novembre 2007)

Seul ( enfin presque ) sur une ile déserte

Michel Tournier a revisité dans ce livre le mythe de Robinson Crusoé, mais plus sous l'oeil de Defoe ( plus orienté sur Robinson ) mais sur le sien c'est - à - dire plutôt sous l'oeil de Vendredi, le noir qui rencontrera Robinson sur son île déserte.
Tout le monde connaît l'histoire de Robinson Crusoé, je n'y reviendrai donc pas. La solitude, c'est sans doute bien pour le Zarastoutra de Nietzsche mais Robinson, lui, n'est pas un Surhomme. La solitude est bien entendu source de manques, outre les besoins primaires ( se loger, se nourrir, se vêtir pour lutter contre le froid ), les besoins sexuels... à ce titre, Robinson a trouvé le sable et un arbre pour se satisfaire. Puis vient la rencontre de l'autre, différent de soi, à plusieurs points de vue: race, statut "social", culture etc. Mais les barrières de la société n'existent plus quand on est deux, quand on ne vit plus en société... sauf peut-être dans l'esprit. Comment se passe la rencontre de deux êtres différents mais seuls, que va-t-il se passer? Les tabous le resteront-ils? Plus qu'un roman d'aventure, c'est avant tout l'histoire de la psychosociologie... vécue, expérimentale.

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Version pour adultes

10 étoiles

Critique de Bookivore (MENUCOURT, Inscrit le 25 juin 2006, 42 ans) - 3 juillet 2021

Lorsque, enfin, j'ai lu la version originelle de ce livre (je ne connaissais, pendant des années, que la version pour enfants, raccourcie et édulcorée, "Vendredi ou la vie sauvage", que j'ai lu en scolarité et que, malgré les impératifs de lecture imposée pour le collège (on ne choisit pas de lire le livre, donc ça peut freiner le plaisir, des fois ; par exemple, ne me parlez plus de "La Peau de chagrin" de Balzac, j'en avais tellement ch... pour le lire quand j'étais en 3ème et que j'avais 14 ans que ça m'en a fortement diminué l'envie de le relire, pour le plaisir, par la suite), m'avait énormément plu.
D'ailleurs, ce "Vendredi ou la vie sauvage", je le relis de temps en temps, c'est à chaque fois magique, une plongée dans mes souvenirs.
Plusieurs années après, j'ai lu ce "Vendredi ou les limbes du Pacifique", premier roman de Tournier, qui n'est autre, donc, que la version originelle de son futur court roman pour les enfants. Tournier y offre une très intéressante et un peu osée relecture du "Robinson Crusoé" de Defoe. Son Robinson est sexué, pas obsédé par le sexe, mais il y pense des fois, et trouve des succédanés assez étonnants : il creuse un trou dans le sol et...je ne vais pas vous faire un dessin, et on comprendra facilement que certains passages un peu rudes aient été retirés de la version "...vie sauvage".
Le personnage n'est pas forcément super attachant au début de sa relation avec Vendredi, le sauvage qu'il recueille et qu'il traite pire qu'un esclave au début, le considérant comme une bête plutôt qu'un homme. Même le chien, Tenn, au départ, semble se méfier de Robinson, avant de redevenir son compagnon.
Cette version longue, pour un lectorat d'adultes (enfin, un ado peut la lire aussi, ce n'est pas trash), est pour moi aussi mémorable que la version pour enfants. Elle est plus sombre, plus dense. Quiconque la lira après avoir lu la version "...vie sauvage" sera en terrain connu, aura juste l'impression, comme je le disais dans ma critique éclair de l'autre version, de voir pour la première fois un film dans sa version longue après des années de visionnage d'une version raccourcie.
L'impression de redécouvrir quelque chose que l'on connaît par coeur.
Un sublime roman, Tournier était de toutes façons un grand.

Un beau livre pour méditer et qu’on aime reprendre, feuilleter et relire

9 étoiles

Critique de Chene (Tours, Inscrit le 8 juillet 2009, 54 ans) - 17 août 2010

Couronné par l’Académie française en 1967 (Grand Prix), « Vendredi ou les limbes du Pacifique » est devenu un grand classique de la littérature francophone. C’est un roman philosophique sur la solitude. En effet, Robinson va vivre seul la plus grande partie de son existence.
Il faut s’imaginer ce que peut être la vie sans autrui ? Sans contact, sans ami et même sans ennemi. Cela peut être une grande souffrance.
C’est aussi un grand livre sur l’existence et ses buts ? Ainsi nous voyons notre Robinson passer par plusieurs stades : la dépression et la déchéance. La suractivité, l’organisation, la sur administration de l’île, la maîtrise et l’organisation de la nature. Robinson va jusqu’à imposer un ordre moral à l’île et édicte même des lois (la charte).
Puis au contact de Vendredi qui apparaît fortuitement dans sa vie cet autre être humain si différent et si proche, Robinson découvrira ce que l’on peut nommer la communion avec la nature et avec le temps qui passe (ou qui ne passe plus). Cette île sera sa mère puis sa compagne. Robinson ne finira par ne faire plus qu’un avec cette île qu’il ne voudra plus jamais quitter même quand il en aura le choix.

A la lueur des Dioscures

8 étoiles

Critique de Banco (Cergy, Inscrit le 6 août 2004, 42 ans) - 10 août 2004

Michel Tournier revisite l'aventure de Robinson Crusoé avec une profondeur philosophique et une élégance de style encore jamais atteinte dans la série.

Robinson a toujours été perçu comme le héros de la reconquête de l'homme sur la nature, de la reconstruction du monde ancien sur une terre nouvelle. Robinson, comme Prométhée, s'oppose à la nature et décide d'organiser le monde à sa façon. Absurdement il agit dans sa vie solitaire comme si autrui était encore là. Il nie la solitude et ses effets. Pourtant, chez le Robinson de Defoe, elle ne peut qu'exister. Voilà ce que Michel Tournier a été le premier à montrer quand dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique il a posé comme problématique non la reconquête du monde perdue mais la vie sans autrui et les changements d'objectif qu'elle implique.

Contrairement au roman de Defoe qui s'attarde sur la jeunesse de Crusoé, tout débute ici par la scène du naufrage précédée d'une inquiétante séance de cartomancie dans lequel le capitaine van Deyssel révèle sous forme codée sa vie future à Robinson. Puis survient le naufrage et les différentes tentatives de Robinson pour apprendre à vivre sans autrui et notamment pour transformer sa sexualité : après la soue qui l'avilit en le ravalant au niveau des bêtes, Robinson se jette dans une tentative de récréer le monde dont il vient tout en amorçant sa lente transformation en un être solaire, élémentaire qui s'épanouit dans l'île en dehors de toute contrainte et de tous tourments.

Le processus est déjà bien amorcé quand surgit Vendredi qui précipite les choses en détruisant involontairement tous les édifices construit par Robinson pour singer la société anglaise puis en lui proposant une autre vie, plus épanouie et tournée vers le ciel. Quand le premier bateau arrive dans l'île, Robinson n'est déjà plus apte à vivre parmi les hommes et choisit, au contraire du Robinson de Defoe, de demeurer dans l'île de Speranza. Tournier a ainsi montré un lent et fascinant processus de métamorphose étroitement lié au questionnement sourd de Robinson sur le but de sa vie.

En plus de sa profondeur philosophique, le roman est merveilleusement bien écrit avec quelques paragraphes d'une poésie touchante idéale pour un premier contact avec ce roman difficile.

Sacré Vendredi !

9 étoiles

Critique de Pendragon (Liernu, Inscrit le 26 janvier 2001, 54 ans) - 9 mars 2002

« Je sais maintenant que chaque homme porte en lui -- et comme au-dessus de lui -- un fragile et complexe échafaudage d'habitudes, réponses, réflexes, mécanismes, préoccupations, rêves et implications qui s'est formé et continue à se transformer par les attouchements perpétuels de ses semblables. Privée de sève, cette délicate efflorescence s'étiole et se désagrège. Autrui, pièce maîtresse de mon univers... Je mesure chaque jour ce que je lui devais en enregistrant de nouvelles fissures dans mon édifice personnel. »
Voilà ce que l'on trouve au début du livre, en haut de la cinquante-troisième page, et ce passage illustre parfaitement l’immense profondeur du livre. Il s'agit là d'une approche parfaite des sentiments qu'éprouverait un naufragé face à la solitude. Je n'ai pas lu le roman original de Defoe, mais je sais qu'il avait fait une totale abstraction du sexe (c'était évidemment dû aux moeurs de l'époque, 1719), ce qui est pour moi une erreur sans commune mesure. Tournier, lui, nous présente un homme normal qui va lentement dériver et passer par toute une série de stades successifs pour l'amener vers une philosophie humaine inhérente à l'homme et non plus aux hommes… Cela donne un roman très agréable à lire et empreint d'une philosophie d'une profondeur rarement rencontrée.
Quant à « la vie sauvage » qui vient d’être critiquée par Lolita… je ne saisis pas bien pourquoi elle le trouve si mauvais ! Après tout, la profondeur psychologique reste la même, l'homosexualité est simplement absente de cette version édulcorée pour qu'elle puisse être lue dans les écoles ! L’âge sans doute !

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