L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation de Georges Perec

L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation de Georges Perec

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Numanuma, le 9 février 2009 (Tours, Inscrit le 21 mars 2005, 50 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (11 861ème position).
Visites : 4 690 

"Car il faut toujours simplifier"

Voila un court ouvrage qui fera fuir les fanas de SMS, les réfractaires à la lecture, les Classiques et peut-être les Modernes et, pourquoi pas, qui attirera les employés envisageant de se faire augmenter et qui délaisseront pour une fois les affres de la Star Ac’ afin de se plonger dans une apnée littéraire pleine d’humour.
Je dois bien l’avouer, jusqu’à ce dimanche soir, jusqu’à ce moment où je suis passé en caisse et me suis laisser séduire par un titre aussi amusant, jusqu’à ce moment où ma carte bleue a fait « aïe » (ben oui, cinoche, pop corn, boisson, parking et bouquins, ça fini par coûter cher…), je ne connaissais de Georges Perec que le nom. Je savais aussi qu’il fit partie du mouvement de l’Oulipo (mais je ne connais rien de spécial sur le sujet) et que son roman, La Disparition, est écrit sans jamais utiliser la lettre E…
C’est bien peu, certes, pour un auteur aussi marquant mais, que voulez-vous, je suis réfractaire au « il faut avoir lu Machin ou Bidule » ! Je marche à l’envie et jusqu’alors, je n’ai jamais eu envie de lire Perec. C’est chose faite et cela m’a donné envie de recommencer.
Simple précaution : il n’est pas nécessaire d’avoir besoin de demander une augmentation pour lire ce livre. Bien.
Seconde précaution : accepter qu’une seule et unique phrase fasse 80 pages ! Oui, si une phrase s’entend comme une unité faisant sens circonscrite par une majuscule et un point, alors ce roman n’est qu’une seule et unique phrase ! Et bizarrement, quand on a en mémoire les traumatismes causés par la lecture des textes de Rousseau ou de Proust, pour ne citer que deux des bourreaux favoris des profs de lettre, textes, dis-je, bourrés de virgules, points-virgules et autres accentuations rendant la phrase illisible pour le commun des mortels, ici, Perec réussit l’exploit de rendre sa phrase parfaitement compréhensible et facile à suivre !
En se détachant des règles de la forme, Perec n’impose aucun rythme de lecture : le lecteur choisit le moment où il aurait mis virgule, point, guillemets et autres. C’est par ce genre de recherches techniques, formelles, que Perec se distingue du romancier disons, habituel. Ici, les mots se suivent, se retrouvent, s’entrechoquent et cet agencement novateur accentue l’aspect absurde de la chose racontée. Le fond et la forme s’allie de manière inattendue.
Il est intéressant de noter que Perec s’est inspiré d’un véritable organigramme vu alors comme une contrainte génératrice (je reprends ici les explications de la postface). En fait, Perec met bout à bout tous les parcours possibles pour arriver au but. S’en suit donc un texte ou des morceaux entiers se retrouvent régulièrement moins comme des refrains que comme des repères.
Certains se souviennent peut-être des Livres dont vous êtes le héros. Dans ces ouvrages, le lecteur avait le choix, à la fin du paragraphe, entre deux, trois ou quatre possibilités ; suivant l’option choisie par le lecteur, alors envoyé à une autre page du livre, l’aventure se poursuivait de manière non linéaire et aléatoire. Du moins en théorie puisque dans les faits, seul un petit nombre d’options était réellement valable.
Voila pour la comparaison de forme : une suite logique de situation à la queue leu leu aboutissant à une suite de résultats.
Pour la comparaison sur le fond, voyez Les douze travaux d’Asterix. Je sais, ça paraît étrange comme comparaison mais dans ce volume des aventures du plus célèbre des Gaulois, Asterix doit récupérer un formulaire administratif et passe de service en service dans l’espoir de l’obtenir. Outre le portrait féroce de l’administration par Goscinny et Uderzo, cet épisode illustre assez bien le propos de Perec : l’absurdité.
Imaginez un livre dont vous êtes le héros qui vous transporte dans une administration et dont les chapitres, quel que soit le choix que vous ferez, vous ramèneront toujours au point de départ !
Ajoutons à cela un humour d’autant plus efficace qu’il arrive toujours à point nommé, c’est-à-dire au moment où l’on s’attend au retour d’une séquence narrative. Cela fait un peu gars qui se la raconte dit comme ça mais en fait c’est très clair. Je citerai à titre d’exemple un joli « faire causette comme Hugo » !
Bref, je l’ai dévoré ce bouquin, en une heure je lui ai fait sa fête et c’est je crois le seul problème : il ma paraît malaisé de le lire par morceau justement parce qu’il n’y a pas de découpage et qu’une coupure risquerait de faire perdre de la saveur à un texte qu’on imaginerait bien joué par Desproges.

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Les éditions

  • L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation [Texte imprimé] Georges Perec [postface de Bernard Magné]
    de Perec, Georges Magné, Bernard (Postface)
    Hachette
    ISBN : 9782012376434 ; 2,98 € ; 05/11/2008 ; 104 p. ; Broché
  • L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation [Texte imprimé] Georges Perec
    de Perec, Georges
    Points / Points. Signatures
    ISBN : 9782757823583 ; 6,80 € ; 08/09/2011 ; 70 p. ; Poche
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Étourdissant

9 étoiles

Critique de Nance (, Inscrite le 4 octobre 2007, - ans) - 7 janvier 2012

Georges Perec nous apprend l’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation, en envisageant toutes les possibilités imaginables.

« Ayant mûrement réfléchi ayant pris votre courage à deux mains vous vous décidez à aller trouver votre chef de service pour lui demander une augmentation vous allez donc trouver votre chef de service disons pour simplifier car il faut toujours simplifier [...] »

Il faut être prêt pour entamer ce livre, c’est le genre de lire qui est bien de lire en un coup (ça peut se lire facilement en deux heures), aussi je mentionne que le livre est une longue phrase (sans ponctuations) de 80 pages... Reste que ce n’est pas lourd à lire, c’est étrangement fluide, mais il faut être présent mentalement pour ne pas perdre le fil. Ça fait un peu « exercice de style » sur un thème qui rappelle La maison qui rend fou d’Astérix et Le château de Kafka (en moins déprimant bien sûr !), mais c’est réussi et très drôle. Je recommande à ceux qui veulent rire tout en lisant un livre qui prend ses lecteurs au sérieux.

Je conseillerais de ne pas regarder avant de lire le texte l’organigramme, qui est donné au début de mon édition en tout cas (Hachette, Littératures), parce que ça dévoile la structure du récit.

Le talent de Perec

10 étoiles

Critique de Merrybelle (PACA, Inscrite le 6 novembre 2011, 61 ans) - 7 novembre 2011

Numanuma a tout dit de ce livre et tout comme lui, c'est le premier livre de Perec que je lis.
Il faut tout le talent de Perec pour qu'on lise cette phrase de 80 pages, sans se lasser, en y apportant son propre rythme, sa propre ponctuation.
Attention, votre lecture sera entrecoupée de quelques éclats de rire. Mais l'auteur vous mènera jusqu'au point final.
N'ayez crainte, ces "répétitions de scénario" n'entraînent aucune lassitude, Perec y insérant quelques petites variations "négligeables" dixit la postface.
Dire que l'auteur voulait que son texte soit totalement illisible, visiblement il a raté son but pour le grand bonheur des lecteurs qui voudront bien découvrir ce texte.
Lecture jubilatoire !

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