Les Américains de Robert Frank
Catégorie(s) : Arts, loisir, vie pratique => Photographie
Poème en pellicule
Ce livre paru en 1958 connut un échec total. Cinquante ans plus tard, c’est un livre culte. Ainsi va la vie ou plutôt le talent quand il est trop en avance sur son temps. Il en fut de même pour Jack Kerouac qui signe ici une introduction très inspirée.
Robert Frank, d’origine suisse, obtint une bourse de la fondation Guggenheim et put ainsi, au milieu des années cinquante, parcourir les Etats-Unis et ramener des milliers de clichés dont quatre-vingt quatre forment cet ensemble étonnant, « Les Américains », qui se révèle être la face cachée du rêve américain.
Chaque image est en soi une histoire, mais une histoire ouverte qui laisse au spectateur la liberté de lui donner sa propre signification, son propre contexte, sa propre sensibilité.
L’ensemble impressionne par ses constantes majeures. Ce monde est photographié en noir et blanc qui sont, pour Frank, les couleurs de l’espoir et du désespoir. C’est un monde de silence, d’autant plus qu’il est brouillé par la présence de juke-box et des téléviseurs, un monde où on voit très peu de gens se parler. C’est un monde de solitude, comme ce jeune cow-boy égaré à Madison square. C’est le monde des gens ordinaires, quelle que soit leur classe sociale ou leur appartenance raciale, comme dans ce tramway qui passe dans une rue de la Nouvelle Orléans avec les blancs devant et les noirs derrière. C’est aussi un monde de rêve dans lequel chaque personnage semble enfermé telle cette jeune fille d’ascenseur à Miami Beach. C’est un monde étrange fait de routes vers des destinations improbables.
Frank expose un travail au style extrêmement moderne avec des cadrages surprenants comme ces funérailles en Caroline du sud où le mort auquel on rend hommage est décentré en bas à droite, déjà en terre alors que notre regard est d’abord attiré par les vivants. Les gris, flous quelquefois, sont superbes. Mais surtout Frank a posé sur ses personnages de passage le regard du cœur, celui qui permet, selon Saint-Exupéry, de voir l’essentiel que les yeux ne savent pas voir.
Ce très beau livre n’est pas un simple recueil de photographies. Jack Kerouac le définit très bien comme l'expression d’un homme qui "a su tirer de l’Amérique un vrai poème de tristesse et le mettre en pellicule ».
NB : Les photos de ce livre sont exposées actuellement au Musée du Jeu de Paume, place de la Concorde à Paris avec d’autres clichés sur le Paris des années cinquante. Si vous en avez l’opportunité, c’est à voir absolument. Et peut-être aurez vous comme moi l’impression que Paris a plus changé en cinquante ans que cette Amérique là, malgré les droits civiques et les bouleversements technologiques.
Les éditions
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Les Américains [Texte imprimé] photographies de Robert Frank introduction de Jack Kerouac [traduit de l'anglais par Michel Deguy]
de Kerouac, Jack (Préfacier) Frank, Robert (Illustrateur)
Delpire
ISBN : 9782851072337 ; 141,71 € ; 03/09/2007 ; 174 p. ; Reliure inconnue
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