Un garçon parfait de Alain Claude Sulzer

Un garçon parfait de Alain Claude Sulzer
(Ein perfekter Kellner)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Spiderman, le 28 janvier 2009 (Inscrit le 14 juin 2008, 62 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 8 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 249ème position).
Visites : 5 610 

Vie à Giessbach

Ernest est l'employé modèle d'un palace suisse d'altitude, îlot de calme et de luxe face à un lac alpin. La transparence de sa vie n'est qu'une apparence. Avec une maîtrise parfaite de ses effets stylistiques et romanesques, une remarquable économie de moyens, Alain Claude Sulzer parcourt près de soixante ans d'histoire d'un monde dont les convulsions ont, depuis ce point de vue helvétique "neutre", une dimension différente et singulière. En dehors des amours d'Ernest et Jacob, décrits avec simplicité et crudité, apparaît un troisième personnage, Julius Klinger, écrivain allemand en exil vers les Etats Unis : il y a du Thomas Mann dans cet homme à qui Sulzer offre une vraie relation sentimentale et sexuelle avec le beau Jacob, en s'inspirant de celles que l'auteur de "Mort à Venise" n'a pu réaliser malgré toutes les attentes qu'il a confiées à son journal intime, publié après sa disparition.
Justement distingué par le prix Médicis étranger 2008, ce roman est un vrai moment de plaisir littéraire et de réflexion, une construction narrative originale avec une étonnante tension dramatique.
Le moyen de s'introduire dans l'intimité de personnages célèbres et anonymes, de confronter leurs vécus dans un cadre géographique et sociologique singulier au travers d'un contexte historique connu auquel l'auteur donne un relief étonnant.

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Deux garçons

7 étoiles

Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 20 avril 2015

Durant tant d'années, pas un jour ne s'était écoulé sans qu'Ernest ne pensât à Jacob. Il l'avait certes perdu de vue, mais il ne l'avait jamais rayé de sa mémoire. Le passé était enfermé dans le souvenir lointain de Jacob comme dans une armoire obscure. Le passé était précieux, mais l'armoire restait fermée.
Et puis un jour une lettre des Amériques ; Jacob a besoin d'aide...
Reviennent alors les brûlures de ce qui était enfoui.
Ernest et Jacob étaient jeunes, beaux et ils aimaient les garçons dans cette Suisse des années 1935. Dans ces années là, on parlait d'Hitler, des juifs et de la peur.
Durant la nuit , il leur était facile d'oublier leur condition subalterne, ils étaient libres pour la première fois, deux esclaves en fuite dans un vaste pré vert.

Je reproche un peu à ce livre son manque de rythme. Certes, il y a des passages de haut vol (par exemple la prise des mesures de Jacob chez la couturière de l'hôtel où la sensualité se marie avec une pudeur et une retenue de bon ton), mais par moment je me suis senti un peu découragé.

passion composée

10 étoiles

Critique de Jfp (La Selle en Hermoy (Loiret), Inscrit le 21 juin 2009, 76 ans) - 14 mars 2015

1936. Le grand hôtel de Giessbach, avec son funiculaire historique convoyant bagages et voyageurs au pied des merveilles des Alpes suisses. Un microcosme feutré et fermé sur lui-même, où règne la promiscuité. C'est ainsi, dans le partage d'une chambrette sous les toits, qu'Ernest rencontre Jacob. La cohabitation se transforme rapidement en amitié puis en amour et, pour l'un d'entre eux du moins, en passion, jusqu'au brusque départ de Jacob pour l'Amérique. Trente ans après, le "garçon" parfait du palace de Giessbach, devenu depuis longtemps "Monsieur Ernest", immuable serveur et célibataire endurci, reçoit une lettre de son ami Jacob, dont il n'avait jamais reçu aucune nouvelle. C'est le début d'une plongée dans un passé qu'il croyait avoir oublié, et c'est un autre Jacob, à la personnalité complexe, qu'il va découvrir au fil des aveux d'un troisième personnage. Une vision toute en finesse de la passion aux multiples facettes que peut éprouver un homme pour un autre homme. Un roman surprenant, d'une grande originalité, d'une écriture ciselée, abordant avec franchise un sujet encore largement demeuré tabou.

Le lisse à la suisse

8 étoiles

Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 10 décembre 2013

C'est un roman qui met en scène trois personnages que l'on découvre progressivement et un lieu, un palace suisse , comme on l'imagine, luxueux, calme, au dessus d'un lac.. .

Le narrateur, Ernest, est un garçon parfait. Pas un mot plus haut que l'autre, pas un cheveu qui dépasse, et toujours la bonne attitude adaptée à la clientèle, un juste instinct du désir des clients -le mot désir n'a rien d' anodin - c'est un métier, je dirais même une vocation, et pour ce solitaire, finalement une protection que ce lieu clos qui ne change jamais, même si la clientèle qui y défile va, elle, changer. En effet, en 1935 commencent à arriver pour des séjours prolongés les riches familles juives qui ont senti qu'en Allemagne, ça commençait à sentir le roussi.

Trente ans plus tard, Ernest est resté le même. Extérieurement du moins. Même le jour où il est victime d'une sévère agression homophobe, pas une plainte..
Mais cette agression va l'amener à retrouver le deuxième personnage , un écrivain qui a fui avec sa famille aux Etats-Unis , celui qui " il y a désormais trente ans de cela, avait détruit son insignifiante vie ou du moins l'avait rendue encore plus insignifiante qu'elle n'était, de toute façon."
Car il n'est pas parti qu'avec sa famille, cet écrivain. Il a emmené Jacob..
Et Jacob, qu'Ernest a formé à devenir un garçon parfait, était l'amour de sa vie.
En dessous du lisse et des apparences, que de passion et que de douleur et de blessures.
Et trente ans après, au début du roman, Ernest reçoit une lettre de Jacob..

C'est avec une écriture très classique , très étudiée , qu'Alain Claude Sulzer réussit à transmettre l'ambiance de cet hôtel , la réalité historique avec la montée du nazisme , et les relations amoureuses et même passionnelles , les trahisons et les drames. On s'en doutait, mais au fur et à mesure il nous le raconte, Jacob n'était pas tout à fait un garçon parfait..
J'ai beaucoup aimé ce roman qui semble longtemps lisse , et qui se révèle finalement très cruel dans le sort qu'il réserve à tous ses personnages.

Pudeur

7 étoiles

Critique de Pitchou (Morges - Suisse, Inscrite le 8 mai 2010, 35 ans) - 28 décembre 2012

L'histoire d'un garçon de café qui rencontre un jeune dont il tombe amoureux dès le premier instant. Une relation entre deux hommes qui est décrite avec une certaine pudeur qui est touchante.

J'ai beaucoup apprécié le style d'écriture et j'ai trouvé ces personnages touchants et très intéressants!

C'est un livre à découvrir

UNE TRIADE AMOUREUSE

10 étoiles

Critique de TRIEB (BOULOGNE-BILLANCOURT, Inscrit le 18 avril 2012, 73 ans) - 27 juin 2012

Le titre du roman est fondé sur un jeu de mot : un parfait garçon de café, c’est ce qu’est Ernest, qui travaille dans un grand hôtel en Suisse, à Giessbach. Il y voit défiler une clientèle aisée, cosmopolite, une partie non négligeable de la noblesse, du monde des affaires et de la bourgeoisie dorée, ainsi que des artistes et intellectuels.

Ernest est aussi « un parfait »garçon en ce sens qu’il est homosexuel .Il accueille, en formation, un jeune homme du nom de Jacob Meier, qu’il prend sous sa protection, en tombe éperdument amoureux. Il entretient avec lui des relations suivies, tant sur le plan charnel qu’affectif. La véritable nature de leur relation est subodorée par Mme Adamowicz, chargée de la confection des costumes des employés de l’hôtel, lors de la prise des mesures de l »uniforme de Jacob : « Le regard de Jacob par-dessus la tête de la couturière continuait pendant ce temps d’affronter celui d ‘Ernest, mais soudain Ernest rougit .Jacob baissa les yeux, il avait compris. Qu’avait donc compris Jacob qu’il ne sût déjà de longue date ? »
Ernest reçoit au début du roman une correspondance de Jacob, dans laquelle ce dernier lui demande d’intervenir auprès de Julius Klinger pour obtenir de l’aide matérielle.


Julius Klinger est un écrivain en vue, connu dans les années trente, dans cet hôtel de Giessbach. Nous sommes en 1966, trente ans après la liaison de Jacob et d’Ernest, dont nous apprenons à la fin du roman le dénouement : Ernest, ayant surpris dans leur chambre commune, Jacob et Julius Klinger se livrer à une relation sexuelle, dont il apprendra par Julius qu’elle était tarifée, se sent définitivement trahi et meurtri.

Ce roman est très singulier : il décrit admirablement la relation amoureuse entre Ernest et Jacob, sait trouver le ton juste, écartant le voyeurisme facile aussi bien que le graveleux. Nous restons dans l’émotion, dans la loi des sentiments : « Ernest s’habillait, parfois Jacob se réveillait à cette occasion, et il suffisait d’un geste de la main, d’un regard, d’un seul mouvement des paupières, pour qu’Ernest se recouchât auprès de Jacob. » La technique romanesque de cet ouvrage est également très singulière ; il comporte beaucoup de descriptions, d’évocations, tous très riches, éloquents. La rareté des dialogues entre personnages n’entame pas l’intérêt de la lecture, bien au contraire. Elle nous stimule, nous incite à apprécier plus avant cette étude de la trahison d’un amour, cette radiographie d’une relation amoureuse entre trois hommes : Ernest, Jacob, et Julius Klinger.

Le roman revêt un intérêt sociologique, celui des us et coutumes des clients des grands hôtels des années 30 et des personnels de ces hôtels. Il s’inscrit aussi dans une perspective historique, l’afflux d’une certaine catégorie de clients dans cet hôtel de Giessbach, les réfugiés politiques allemands, étant souligné comme un événement majeur dans la vie de Jacob et d’Ernest puisque Julius Klinger est l’un d’entre eux.
Grand roman, à la forme et à la technique accomplie, tout en subtilité et en finesse. A lire absolument.

Vous avez dit parfait ?

10 étoiles

Critique de Cyclo (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans) - 15 août 2011

Nous sommes en 1935. Ernest, le héros, a fui sa famille parisienne, à cause de ses penchants homosexuels. Il est devenu garçon dans un hôtel de luxe en Suisse, près d'Interlaken, où la clientèle vient assumer son "mal de vivre, dont la raison était justement cette aisance matérielle qu'enviaient les gens moins fortunés". Et chacun de profiter au mieux de cette parenthèse que sont les vacances, car pour certaines personnes, "ce qui succédait à ces vacances était bien pire que la solitude. Car là où elles retournaient, personne ne les attendait..." De temps en temps, Ernest a une aventure avec un client, mais avec discrétion, il sait garder ses distances, et se tenir, comme tout bon garçon d'hôtel : il est même un garçon parfait, et nul ne le soupçonne. Globalement, il n'est ni heureux, ni malheureux : "Sa vie se déroulait sans projet et il n'en ressentait aucune vacuité". En effet, il "ressentait à peine sa solitude, il avait toujours été seul". Un beau jour débarque à l'hôtel Jacob, un jeune Allemand, nouvellement embauché. Ernest doit assurer sa formation. Très vite, il est subjugué par sa jeunesse, sa beauté, sa capacité à intégrer tout de suite ce qu'il faut faire. Et Jacob se rend compte de cette attirance, et c'est lui qui va faire les premiers pas. Pendant quelques mois, tous deux filent le parfait amour. Ernest pense que leur amour est partagé : il croit le "vivre pour de bon, avec chaque fibre de son corps, avec chaque fibre de son âme", et pense qu'il en est de même pour Jacob, qu'il considère comme un garçon parfait comme lui. Mais ce dernier doit retourner en Allemagne. Quand il revient six mois plus tard, il n'est plus le même, Ernest s'en aperçoit aussitôt. Bientôt débarque à l'hôtel le célèbre écrivain allemand Julius Klinger, avec sa femme et ses deux enfants, grands adolescents. Klinger vient de rompre avec le nazisme et s'apprête à s'exiler aux USA. Un jour, Ernest surprend l'illustre écrivain dans une fâcheuse posture avec Jacob, ce qui lui cause une "douleur irréelle". Or, les menaces de guerre approchant, Jacob n'a aucune envie de rentrer en Allemagne pour servir de chair à canon à la machine hitlérienne. Le garçon parfait n'a qu'une envie : se rendre indispensable à Klinger ; ce dernier l'embauche comme secrétaire, couverture commode pour dissimuler à sa famille sa double vie. Ils partent, laissant Ernest à son "chagrin persistant". Trente ans plus tard, Ernest reçoit une lettre de New York, c'est Jacob. Le passé ressurgit : "Il pensait à la lettre. En ne l'ouvrant pas, il arrêtait le temps". Et je m'arrête ici aussi pour vous laisser découvrir la fin de ce beau roman, qui brasse la période de la montée du nazisme en arrière-plan, avec des allers-retours dans le temps, une construction en montage parallèle passé-présent (la lettre reçue fait remonter des souvenirs douloureux). Ainsi que la question des pulsions inavouables : "Son trouble était si évident qu'il en devenait menaçant", lit-on quelque part. La quête de la perfection chez les trois personnages principaux (l'amour parfait pour Ernest, l'arrivisme parfait pour Jacob, l'écriture parfaite associée à la peur du vieillissement chez Klinger) nous plonge dans les abîmes de l'âme humaine.

L’objet de notre affection

7 étoiles

Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 16 février 2009

J’ai immédiatement pensé aux « Vestiges du jour » d’Ishiguro en retrouvant dans cette écriture classique la pudeur des sentiments se mêlant au souci du devoir et au respect des convenances. L’histoire n’est pas complexe. Il s’agit d’un triangle amoureux assez fade, certes dévoilé avec différents stratèges littéraires, mais néanmoins sans étincelles, dont la seule particularité est qu’il soit formé par des hommes.

J’y ai trouvé mon compte dans les belles longueurs des descriptions et cette manière théâtrale, voir poétique, d’aborder la tragédie. Un roman simple mais fort joli.

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