L'Exposition de Nathalie Léger

L'Exposition de Nathalie Léger

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 3 janvier 2009 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 7 étoiles
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L'image d'une vie

Qu’est-ce qui va pousser la Comtesse de Castiglione, née à Florence en 1837, arrivée en France à l’âge de 18 ans et reconnue comme une des plus belles femmes de son temps (sa mère s’écriait en l’embrassant : « J’ai engendré un chef d’œuvre ») , à venir poser régulièrement pendant 40 ans chez le même photographe, Pierre-Louis Pierson, de 1856 jusqu’à sa mort en 1899 à l’âge de 62 ans.
On a collecté près de 500 photos d’elle, c’est la femme la plus photographiée de son temps. Pourquoi l’auteure va s’intéresser aux portraits de cette femme vue en couverture d’un catalogue et va se renseigner sur elle alors qu’elle prépare une exposition qui doit avoir comme objet les ruines. « On ne peut pas photographier un souvenir mais on peut photographier une ruine » écrit-elle lorsqu’elle cherchera les vestiges du Palais des Tuileries. Elle raconte à demi-mots que cette femme lui rappelle Lautre, en un mot, celle que sa mère ne pouvait nommer autrement parce que c’était la maîtresse de son mari, du père donc de Nathalie Léger: « J’ai été glacée par la méchanceté d’un regard, médusée par la violence de cette femme qui surgissait dans l’image… Sur le trajet un peu sinueux de la féminité, le caillou sur lequel on trébuche, c’est une autre femme. »

Mais les premières photos qu’elle voit la déçoivent.
« Elles sont ternes. Et elle les imaginait luisantes, vivantes, révélatrices d’une présence… Ce corps surexposé, cet entêtement à ne pas se satisfaire de soi, cette obstination à revenir toujours à soi, à cette petite portion de visage, à ces postures. » On y voit, dit-elle, une femme qui porte le deuil de son corps. Mais plus tard, elle rencontre des photos qui révèlent quelque chose de l’ordre de l’apparition. Surtout quand elle montre l’humiliation de cette femme, la défaite, la ruine (on y revient): « C’est la défaite et l’abandon qui permettent de comprendre. »

Pour l’auteure, la photographie, ce sont ces albums qu’elle feuilletait avec sa mère et, ce qui la fascinait, c’était sa mère enfant aux côtés d’une mère dominante, les photos déchirée de l’enfance de la mère où il manque un homme, où un homme a été raturé. Mais aussi la première photo d’elle enfant qui fait écho au souvenir d’un miroir qui se trouvait dans le placard de sa chambre et qui lui renvoyait à l’improviste son propre reflet.
« On tombait brutalement sur son propre visage (…) soi-même pétrifié de se trouver là avant même de s’être reconnu, inconnu, s’égarant dans son propre regard, dépossédé de ce qu’on croyait pourtant le mieux à soi ».

A un moment, elle sait que l’image de La Castiglione auprès de son chien mort (« une bouillie de chien mort dont seul l’œil intact subsiste »), est celle qu’elle cherchait : « Je ne sais pas ce qui est d’elle ou de moi. Toute ma peur de ces photographies vient de là, de là tout l’effroi devant cette femme, devant l’horreur d’être dissimulée sous tant de masques et de feintes puis goulûment amalgamée à la mort »

Par les différentes acceptions du mot « exposition » que signalent Nathalie Léger, on comprend qu’en enquêtant sur une femme qui ne pensait qu’à s’exposer, l’auteure expose ses propres fêlures, abandonne au lecteur l’image d’une vie à déchiffrer. Elle met l'accent sur le projet de toute exposition : « rien d’autre que de disposer un abandon en secret avec nom de chose pour sujet. Le principal objet de l’image, c’est soi vu ou regardant, guettant l’inexorable trace de notre passage avant disparition. »

Un livre qui interroge notre rapport à l'autre et à soi quand l'autre s'affiche de manière compulsive en tant qu'image.

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