Honte et dignité de Dag Solstad, Jean-Baptiste Coursaud (Traduction)
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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Un digne professeur de lycée "pète les plombs" !
Comment détruire sa vie en quelques minutes, c’est le propos de ce livre magnifique écrit par un auteur qui est considéré comme une figure incontournable de la littérature norvégienne contemporaine.
Elias Rukla est professeur de norvégien depuis vingt-cinq ans au lycée d’enseignement secondaire général de Fagerborg. Il enseigne en classe préparatoire pour le baccalauréat et un des livres au programme est « Le canard sauvage » de Henrik Ibsen. Elias essaie tant bien que mal de donner son cours malgré l’inertie et l’ennui non dissimulés qu’éprouvent ses élèves avachis sur leur bureau. Pourtant, cette journée-là, Elias croît avoir trouvé une clé importante de l’œuvre d’Ibsen au sujet d’un personnage secondaire et il espère pouvoir communiquer sa trouvaille à ses élèves mais en vain. Ceux-ci ne lui retournent qu’une morne indifférence. Le cours terminé, Elias se prépare à retourner chez lui lorsqu’il se rend compte que la pluie commence à tomber. Il essaie d’ouvrir son parapluie mais celui-ci lui résiste. C’est la goutte d’eau qui fait déborder un vase que vingt-cinq années de cours pénibles ont rempli. Elias « pète les plombs ». Il commence par s’en prendre à son fichu parapluie pour ensuite le détruire complètement, se blessant à la main. Il est dans la cour du lycée et tous les élèves se rassemblent autour de lui pour assister au spectacle. Elias s’en prend alors à une des élèves qu’il traite de « connasse » ! Dès lors, il sait qu’il vient de mettre un terme à sa carrière de professeur et qu’il ne mettra plus jamais les pieds dans un lycée de sa vie.
Voilà, j’ai raconté ce que la quatrième de couverture dévoile alors je me sens un peu moins coupable… Ce livre est un véritable chef-d’œuvre ! Après l’incident du parapluie, l’auteur retourne en arrière pour raconter toute la vie d’Elias et comment il a pu en arriver là, à cet instant terrible où il n’a pu conserver son calme et sa dignité et où la souffrance a définitivement pris possession de son être tout entier pour lui faire perdre le contrôle de lui-même et miner ainsi la confiance que la société plaçait en lui. Car ce livre raconte l’histoire d’un homme qui s’est toujours plié à ce que la société attendait de lui et qui a modelé toute sa vie en ce sens. Un homme qui s’est toujours retenu de dire ce qu’il pensait vraiment par souci des convenances et pour maintenir les apparences. Un personnage pathétique que ce professeur qui maintenant âgé de cinquante-trois ans, se définit comme « un être social qui n’a plus rien à dire » et qui recherche désespérément chez ses collègues, de la sincérité et un peu d’originalité qui pourrait lui faire reprendre goût à la vie. C’est aussi le drame d’un professeur confronté à la modernité et qui n’arrive pas à s’y adapter car elle bouleverse toutes ses valeurs et les rend obsolètes, provoquant chez lui de la rancœur et une sorte de révolte devant l’inutilité de son existence. Un livre beau, profond, amer et désespérant. Une vie humaine exposée dans toute sa tragédie et sa souffrance retenue. Une écriture dense sans aucun dialogue et une fine analyse psychologique. Comme j’ai aimé et comme j’en redemande ! Malheureusement, c’est le seul livre de ce grand auteur qui soit traduit en français pour l’instant. J’attends donc les prochaines traductions avec impatience.
« Néanmoins, bien que la salle de classe parût baignée, dans toute sa somnolence, d’une atmosphère de jovialité, il savait pertinemment que, en définitive, sa présence en tant que professeur n’était pas désirée parmi ses élèves, ce qui en soi ne lui faisait guère plus de mal qu’une blessure normale de l’âme, comme tout un chacun l’éprouve quand il ne se sent pas expressément bienvenu dans un lieu ; mais puisque ceux qui ne lui souhaitaient pas la bienvenue en tant que professeur concevaient par surcroît l’idée qu’ils étaient dans leur bon droit, il lui arrivait alors de temps à autre de se sentir fortement déprimé dans la mesure où ce n’était nul autre que lui qui se présentait à eux comme une personne ayant fait son temps, un professeur archaïque et désolant, obsolète et décati, alors qu’à d’autres occasions cette irritation avait le don de lui faire sentir une flamme croître en lui et de lui redonner pour ainsi dire du courage. »
Message de la modération : Prix CL 2011 catégorie Découvrir
Les éditions
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Honte et dignité de Dag Solstad
de Solstad, Dag Coursaud, Jean-Baptiste (Traducteur)
les Allusifs
ISBN : 9782922868760 ; 9,32 € ; 25/09/2008 ; 183 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (8)
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Dommage...
Critique de Sissi (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 54 ans) - 13 novembre 2011
C'est sans doute dommage, parce que l'histoire de cet homme, frustré dans son travail, malheureux dans son mariage, mal à l'aise dans son époque, et qui finit par se saborder pour foncer droit dans l'impasse, était plutôt touchante et soulevait de belles interrogations (le décès de la célébrité télévisuelle qui déclenche le deuil national dans un chagrin généralisé, alors que celui d'un grand artiste engagé passe complètement inaperçu est une belle piste de réflexion sur le monde dans lequel on vit...).
Malheureusement, et comme le souligne Débézed, le texte a mal supporté le voyage jusqu'en France, et il a été beaucoup trop égratigné au passage pour qu'on puisse l'apprécier à sa (sans doute) juste valeur.
L'impasse
Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 26 septembre 2011
A Oslo, un professeur un peu soûlographe, après 25 ans d’enseignement, affronte sa classe de terminale qui ne l’aime pas beaucoup. Il leur enseigne une pièce d’Ibsen et notamment le rôle d’un personnage secondaire qui parait, a priori, plutôt anodin. Il constate qu’au fil des années, les élèves sont de moins en moins intéressés par son enseignement et qu’ils semblent même lui reprocher ses méthodes un peu anachroniques. Il leur reproche ce manque d’intérêt pour le patrimoine littéraire de leur pays qu’il est chargé de leur transmettre. Et, un beau jour, pour une raison futile, il craque et quitte le lycée avec la ferme intention de ne plus jamais y remettre les pieds.
Il erre alors dans les rues de la ville en se souvenant de sa jeunesse, de sa vie d’étudiant avec son ami doué et adulé, marié avec une superbe fille que lui a épousé quand cet ami s’est trouvé en échec et qu’il a tout plaqué pour partir refaire sa vie en Amérique. Il sait bien que ce mariage n’a été qu’un palliatif à la solitude pour cette femme abandonnée et la concrétisation d’un rêve inaccessible pour lui qui, cependant, a perdu beaucoup de son intérêt depuis que la beauté de son épouse a commencé à se faner. Dans cette errance, il mesure alors l’étendue de l’échec de sa vie professionnelle et familiale et constate qu’il n’a pas pu, pas su, donner un sens réel à sa vie.
Il était trop convaincu de ses certitudes, trop dépendant de son admiration pour son ami, trop aveuglé par la beauté de la femme de son ami qui allait devenir la sienne. Il se sent en marge de la société qui ne semble plus avoir besoin de lui, qui n’a rien fait pour lui, pense-t-il et l’a laissé dans l’impasse car son ego lui interdit de faire marche arrière en passant l’éponge sur son algarade et en reprenant sa vie là où il l’a laissée avant d’entreprendre cette errance dans la ville. Son échec est inéluctable, on le sait dès le début du livre et on le supporte tout au long de la lecture de ce texte besogneux qui répète, ressasse, s’enlise, dans un rythme lent, lent, peu digeste, étouffant comme la vie de ce prof qui n’a plus rien à dire, pas plus que l’auteur qui n’a pas grand-chose à rapporter alors il ressasse comme le professeur ressasse sa vie ratée.
La justesse de l'écriture
Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 14 septembre 2011
J'ai particulièrement apprécié l'engrenage dans lequel le professeur se retrouve coincé et la manière qu'a l'auteur de nous faire ressentir cet enfermement. Comme si les choses étaient finalement toutes tracées alors qu'en réalité, il suffit parfois d'un petit rien, un geste ou un grain de sable, pour que les événements prennent des tournures différentes. Cette mécanique implacable est restituée avec énormément de justesse.
La densité de l'écriture, cette absence de respiration apporte également beaucoup de force et de charme car si ce procédé soutient habilement le rythme du livre, il n'empêche pas les mots de jouer la carte de la sobriété. Il est des émotions qui passent ainsi très bien toutes seules, en une phrase, en un silence. La tragédie se joue parfois sur peu de choses et le lecteur les prend pourtant en pleine figure, dans tout ce que cela peut avoir d'interpellant. le personnage central n'en devient que plus proche, plus intéressant.
Les premières pages m'ont également beaucoup plu car elles collent à mes yeux parfaitement au paradoxe d'une vie en apparence routinière qui peut se révéler bien plus complexe qu'il n'y paraît lorsqu'il s'agit d'en sortir. Peur, torture, désespoir, lassitude, tout est là.
Conquise par cette lecture !
« La conversation était dans l’impasse »
Critique de Clamence (saint quentin, Inscrite le 10 février 2006, 43 ans) - 7 juillet 2011
Quand Tistou m’a parlé de ce livre, je m’attendais à un livre sur l’enseignement, sa pénibilité, son difficile exercice aujourd’hui. Je n’ai pas lu la quatrième de couverture, je n’ai pas lu les commentaires postés ici, et je me suis donc lancée dans ce roman asphyxiant par son écriture resserrée, tant typographiquement que stylistiquement, dans les obsédantes redondances de son auteur pour ce qu’est la vie et son poids écrasant. Honte et dignité n’est pas un livre sur les enseignants, ce n’est en tous les cas pas ainsi que je l’ai reçu.
Tout commence par Relling, le personnage secondaire du Canard Sauvage d’Ibsen auquel Elias Rukla s’efforce, année après année, de trouver un sens : quoi, un personnage secondaire dans une œuvre d’Ibsen, aux propos d’une banalité apparente, quel est donc son rôle dans la tragédie, dans la dramaturgie de l’œuvre d’Ibsen, voilà ce qu’Elias se demande, ce qu’on se demande aussi franchement pendant les cinquante premières pages du roman, question qui obnubile Elias, Elias sans relief, sans vie et sans intérêts, attaché à chercher, chercher pour enfin trouver devant une cohorte d’élèves amorphes et menaçants par leur aboulie, le sens de ce personnage dans un monument de la littérature norvégienne ?
Parce qu’il n’est que personnage secondaire, parce qu’il n’est que peu de choses, Relling devient centre de la tragédie : par une parole apparemment vide mais ô combien éclairante, Relling noue le drame. Or, Relling n’est autre que Rukla. Honte et dignité n’est pas, ou pas seulement, l’enthousiasme éteint et étouffé d’un passionné de littérature devant des élèves qui préféreraient peut-être étudier la recette du gratin dauphinois, c’est l’histoire d’une vie qui n’a rien de brisé : elle n’a jamais commencé. Elias est un personnage secondaire, et toute son introspection le conduit, et le lecteur avec lui, à réaliser qu’il n’a jamais été que second : second dans son amitié avec un esprit solaire, second dans le cœur de son épouse, second dans le cœur de sa belle-fille. Aucun dialogue dans ce roman, car il n’y a rien à dire, rien qui puisse être dit pour colorer une existence grisâtre. En choisissant un professeur pour évoquer cette inanité de la vie quand celui qui dresse le bilan prend pleinement en plein visage la dure réalité de ce qu’il n’a pas été, jamais, c’est une superbe mise en abyme que propose Dag Solstad, un personnage principal sans relief, presque absent, découvre qu’il n’est pas autre que celui-là même dont il a cherché le sens durant vingt ans. Un professeur parce que oui, c’est malheureusement avec les professeurs de littérature qu’on parle le moins littérature, un professeur parce qu’il est ce miroir d’une existence de papier qui n’existe pas en dehors des pages lues.
Introspection norvégienne
Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 19 mai 2011
Bouffé par la routine et clairement désabusé aussi. Les adolescents d’Oslo n’ont pas l’air fondamentalement différents des adolescents lambdas de nos contrées, et c’est peu de dire que les adolescents de nos contrées ne seraient pas follement enthousiasmés non plus par le dit « canard sauvage » d’Ibsen ! La vie a donc un goût bien remâché et sans plus guère d’illusions pour notre Elias Rukla. Il y a bien cette nouvelle habitude de boire le soir avant de s’endormir …
Et justement ce matin-là, un jour de novembre, la tête encore douloureuse de la cuite de la veille, Elias Rukla pète les plombs en et au-sortir de son cours de norvégien, sur … « Le canard sauvage » (on n’en sort pas) et, tel certains personnages ridicules de Bande Dessinée qui martèlent de leurs petits poings chétifs de grosses brutes indifférentes, sort de ses gonds auprès d’élèves, provoque esclandre – ou du moins le croit-il, on n’en est pas absolument sûr – et … commence alors « Honte et dignité ». Puisque dans son errance de l’après-midi qui va s’ensuivre au petit bonheur dans les rues d’Oslo, il va passer sa vie en revue, mettre en lumière – au moins pour nous, à ses yeux aussi ? – l’inanité de sa vie, la manière dont il s’est laissé diriger par les unes et les autres, et le peu de résultats qui s’en sont advenus (un peu la vie du quidam de base si je ne m’abuse ?).
« Honte et dignité » va n’être ainsi qu’une longue, très longue introspection, sans trop de respiration – saut de ligne, connait pas, paragraphes, connait pas, chapitres, connait pas … L’introspection attaquée, le lecteur est pris à la gorge et n’a pas le choix ; on ne respire plus et on va au bout, avec Elias Rukla, qui n’a même plus de parapluie pour se protéger de la pluie ! Depuis ses années d’adolescence et son amitié fusionnelle avec un être plus solaire que lui, jusqu’à ce qui s’ensuivra ; fusionner avec un soleil n’est pas une garantie de stabilité !
On peut penser à Thomas Bernhard pour cette sensation d’asphyxie dans la lecture. Des lignes enchaînées les unes aux autres, sans répit, sans pitié. Et puis pour ces récurrences aussi, qui viennent hanter le texte (bon, pas autant que Thomas Bernhard quand même, un maître en la matière !). J’ai pensé aussi de loin à William Faulkner, qui a parfois ce côté étouffant, qui ne laisse pas de place au confort du lecteur et qui, question introspection … !
Alors Dag Solstad un Faulkner norvégien ? Il ne plaira pas à tout le monde, ça, c’est certain !
Il n’est jamais trop tard pour changer
Critique de Isad (, Inscrite le 3 avril 2011, - ans) - 14 mai 2011
C’est l’histoire d’Élias, un professeur de lycée qui enseigne la littérature et s’aperçoit qu’il n’arrive plus à transmettre sa passion. Un jour, le fait de ne pouvoir ouvrir son parapluie, le met dans une rage irraisonnée. Et il le fracasse devant ses élèves, ce dont il ne se soucie pas car il sait qu’il ne les reverra pas et que sa vie va changer. Il déambule alors dans la ville, se remémorant sa jeunesse avec son brillant ami Johan dont il aimait les conversations stimulantes. Faute d’obtenir la chaire de philosophie convoitée, ce dernier part aux États-Unis travailler dans la publicité. La belle Éva, sa femme, reste en Norvège avec leur fille. Élias, qui en a toujours été amoureux, l’épouse. Elle lui a annoncé qu’elle veut reprendre des études car sa beauté, dont elle avait toujours été gênée, se fane. Cela qui lui ouvre de nouvelles perspectives et elle n’a plus peur de côtoyer ses semblables. Élias accepte un avenir ouvert, peut-être financièrement difficile, car il ne sait pas encore ce qu’il va faire, mais qui redevient stimulant car il renonce à la routine de sa vie toute tracée.
IF-0509-3449
Reflexions d'Elias Rukla
Critique de Shan_Ze (Lyon, Inscrite le 23 juillet 2004, 41 ans) - 4 février 2011
Après cet incident, on découvre la vie sans reliefs d'Elias. Les descriptions sont parfois assez longues, parfois peu intéressantes. Un livre assez psychologique qui nous fait découvre les méandres des pensées d'Elias, homme qui restera incompris par ses proches. Une structure de récit assez originale mais qui a eu du mal à me captiver par moments.
Découverte d'un bel auteur
Critique de Henri Cachia (LILLE, Inscrit le 22 octobre 2008, 62 ans) - 28 février 2009
J'encouragerais les prochains lecteurs de cet ouvrage à dépasser la lecture du "cours" du début du livre, qui pour moi a été un peu fastidieuse (apparemment pas pour Dirlandaise), parce qu'après ça vaut vraiment le coup. Après une vingtaine de romans, c'est seulement le premier traduit en français, on se demande pourquoi? Espérons qu'il y en aura d'autres très rapidement...
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Bonjour Henri ! | 2 | Dirlandaise | 28 février 2009 @ 16:38 |