Une éducation libertine de Jean-Baptiste Del Amo

Une éducation libertine de Jean-Baptiste Del Amo

Catégorie(s) : Littérature => Romans historiques

Critiqué par Bouzouki, le 30 novembre 2008 (Inscrite le 20 novembre 2007, 49 ans)
La note : 4 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 7 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (24 945ème position).
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Un parfum...de "Parfum"

Gaspard, jeune breton de 19 ans, arrive dans le Paris des années 1760, bien décidé à s'élever dans la société, coûte que coûte. Avec une description très bien écrite de l'arrivée à Paris, comparée à un sexe béant, l'auteur raconte la saleté, la sueur des parisiens, les prostituées, les mendiants et les petites gens.

Son héros se fait ensuite embaucher comme apprenti chez un perruquier (tiens, tiens...) et fait la connaissance du vicomte Etienne de V. qui le fascine. Aussitôt que Gaspard cède au libertin, ce dernier, lassé, l'abandonne et Gaspard doit trouver d'autres moyens de s'élever en société.

Belle langue, belle description, mais l'ensemble du roman fait par trop penser au magnifique "Parfum" de Patrice Süskind, notamment au début. C'est très gênant à la lecture.
Le personnage de Gaspard n'est pas tellement attachant, ni repoussant, pas assez fouillé à mon avis, avec de bizarres rétrospections qui n'apportent pas grand chose. Un petit rebondissement inattendu à la fin, mais même si la langue est belle, il y a aussi quelques longueurs.

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Le Fleuve

8 étoiles

Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 30 novembre 2013

M'a beaucoup intéressée la construction de ce roman. D'abord il me semble que si, en effet, on a un peu de mal de temps en temps à réprimer une nausée à la lecture, c'est que tout est vu par le personnage principal, ce Gaspard, élevé dans la boue parmi les porcs, et que peut-être, dans la description initiale de Paris, il ne voit que cela.. Après, il y a une ou deux éclaircies, quand il change de vêtements, mais justement, ce Gaspard est tellement " cérébral" qu'il s'aperçoit vite que l'habit ne fait pas le moine et que la boue est partout..

La construction, oui, autour de la Seine, le Fleuve.

S'il était parvenu à flotter au-dessus du Fleuve, songeait Gaspard, il aurait perçu dans ces éclats, le reflet de son véritable visage.

Le Fleuve, il croit qu’en quittant Quimper, il va pouvoir le dominer. .Que les ponts de Paris qui l’enjambent et permettent de passer d’une rive à l’autre suffiront à oublier. Mais les flots de boue qui charrient des cadavres s’écoulent complètement indifférents et Gaspard ne leur échappera pas deux fois. Tout part de la Seine et revient à la Seine. Toute son histoire. Sans la Seine, il ne serait pas à Paris. Et c'est sur un pont qu'il se renie une dernière fois.

En fait, le pire a été fait dès le départ, après c’est un enchaînement logique et classique, il croit être le maître de son destin alors que tout est déjà joué.

Il fondait sur les hommes l’espoir d’être un jour parvenu, car c’était à ce jeu là que s’échinait la race: monter, gravir, écraser, abattre, déposséder, s’emparer , régner… Les hommes ne sont que les barreaux de l’échelle, il faut y poser le pied pour s’élever, se dit Gaspard. Il fut fier de sa métaphore.


Alors barreau après l’autre, il va grimper. Ignorant qu’en fait, il est manipulé par deux choses, son histoire d’abord:


Mon drame est de n’avoir pas de ma vie une vision entière qui me la ferait comprendre .

Et l’amour, car c’est effectivement une grande histoire d’amour , il n’y a qu’un seul être dans lequel il pourrait s’abîmer, disparaître, déposer son âme dans l’espoir d’un jugement, d’une condamnation.

Sauf qu'il n'y a pas de condamnation à attendre d'un autre que lui-même, qu’on tombe des échelles et qu’on ne construit pas , à l’image du siècle , un libertin, affranchi de toute morale, à partir de n’importe qui.

Et aussi qu'il arrive aux marionnettes d'échapper au fabricant.

la mauvaise inspiration

1 étoiles

Critique de Lectgreg (toulouse, Inscrit le 27 mai 2009, 38 ans) - 26 avril 2011

les vingt premières pages sont magnifiques. un style littéraire marqué, des descriptions réalistes qui enchainent notre attention et notre plaisir.
malheureusement, comme me disaient les professeurs, le début est prometteur mais il n'y a plus rien après.
pour qui a lu "l'éducation sentimentale", dont l'auteur a l'indécence de revendiquer son inspiration, le livre de Del Amo en est une déplorable copie.
mais enfin bref, là n'est finalement pas le problème, la pauvreté du livre se retrouvant bien plus dans le style vide de qualité de l'auteur.
A tel point que l'on se demande en cours de lecture si nous lisons bien un roman, ou un article de France-soir, une recette de cuisine, un mode d'emploi... l'écriture est tellement mauvaise que l'on s'éloigne du roman pour tomber on ne sait trop où. Et que dire des structures de phrases. Del Amo nous assène tout au long de son pavé marécageux qui engloutit Flaubert, d'une même et unique structure qu'il reproduit à foison. et je reste étonné que peu de lecteurs aient remarqué cela. bref, une fois encore, un roman sans rien pour nous plaire.

Franchir la Seine

9 étoiles

Critique de Nothingman (Marche-en- Famenne, Inscrit le 21 août 2002, 44 ans) - 20 octobre 2010

Un livre lu il y a un petit temps déjà, mais dont les images restent, gravées. Celle de ce Paris du XVIII dont on ressent les milles odeurs, dont on entend les bruits de la vie quotidienne, dont on voit la moindre image. Pour cela, l’auteur utilise une richesse de vocabulaire qu’il m’a été rarement donné de lire jusqu’ici. De plus, c’est un livre qui ne se lâche pas. Il narre les aventures d'un jeune provincial, qui a tout plaqué, et dont la seule ambition est de s'élever dans la société par tous les moyens. Il ira ainsi des petits boulots dans les bas-fonds de la capitale jusqu'à la prostitution qui l’emmènera vers les maisons closes, mais aussi vers les salons de la haute bourgeoisie. Il va y rencontrer Etienne de V. noble trainant une réputation sulfureuse. Cette rencontre va matérialiser sa soif d’ascension. Tout devient possible et cela à n’importe quel prix. Gaspard va évoluer socialement, devenir un magnifique imposteur dans un monde qui n'est pas le sien.
Certains font le parallèle de ce livre avec un autre "le parfum" de Suskind. Il y a , c’est vrai, un peu de cette histoire, mais là où « le parfum » s’égarait, je trouve, dans sa deuxième partie, Jean-Baptiste Del Amo parvient à garder une unité tout au long de ce premier roman franchement des plus aboutis. Une très belle découverte.

Premier roman d'un jeune auteur prometteur

9 étoiles

Critique de Fa (La Louvière, Inscrit le 9 décembre 2004, 49 ans) - 6 octobre 2009

Ce qui m'aura le plus frappé dans ce roman, c'est à la fois l'intensité des descriptions presque olfactives. Ce Paris grouillant, poisseux, ivre de vie et marqué par la mort. C'est aussi la psychologie torturée du personnage principal, déchiré entre son irrésistible besoin d'ascension et le prix qu'il en paie, l'amenant à l'auto-mutilation. C'est truffé de références littéraires : Zola pour le ventre de Paris me paraît évident, Süskind, Sade, mais aussi une petite teinte d'entretien avec un vampire, d'Anne Rice.

Un fort bon livre somme toute, rudement bien écrit.

Une éducation libertine au siècle des lumières dans un Paris glauque.

8 étoiles

Critique de Ddh (Mouscron, Inscrit le 16 octobre 2005, 83 ans) - 6 mars 2009

Le jeune Gaspard vit dans la crasse de la ferme familiale à Quimper. Il s’en échappe pour aller à la conquête de Paris. C’est le siècle des Lumières, mais Paris au XVIIIème siècle est glauque, sale, repoussant ; la Seine est un fleuve de boue. Gaspard, au gré des rencontres, gravit les échelons ; mais cette élévation sociale ne va pas de pair à une élévation des valeurs morales. Du travail dans la boue de la Seine, il passe au travail chez un perruquier où il rencontre le comte de V. qui transformera sa vie mais ne le rendra pas vraiment heureux.
Ce roman donne une bonne idée de ce que devait être la vie futile de la noblesse et de la haute bourgeoisie avant qu’elle ne soit balayée par la révolution française.
Jean-Baptiste Del Amo a-t-il vécu dans les années 1730 ? On pourrait le croire tant sa façon élégante d’écrire rejoint le style de l’époque : descriptions précises des personnages et des lieux visités, connaissances pointues des mœurs de l’époque, progression lente mais linéaire de l’intrigue. Toutefois, l’auteur donne quand même dans la modernité en introduisant des flashbacks de la jeunesse de Gaspard qui se superposent sur une situation pratiquement analogue dans le cours du récit ; une pratique courante dans les téléfilms actuels.

La tentation d'exister

10 étoiles

Critique de Lefildarchal.over-blog.fr (, Inscrite le 12 janvier 2009, 79 ans) - 7 février 2009

Une éducation libertine, ou la tentation d’exister.
De Jean-Baptiste Del Amo
Prix Laurent – Bonelli 2008.

Le siècle des lumières a été pertinemment évoqué par deux écrivains sélectionnés par « Virgin Mégastore » lors de la rentrée littéraire 2008.

Robert Alexis avec « Les figures » chez Corti.
Jean-Baptiste Del Amo avec « Une éducation libertine » chez Gallimard.

Deux romans qui étonnent par leur exploration fouillée de l’intime, leurs atmosphères glauques et oppressantes.

Deux plongées au dix-huitième siècle cauchemardesques et sensuelles que je ne puis que conseiller à ceux qui n’auraient pas encore lu ces livres je les invite vivement à passer de l’un à l’autre comme je l’ai fait moi-même.

« Une éducation libertine » d’emblée impose toutes les puanteurs de Paris.

Interminablement le début du roman roule ses flots nauséabonds. Il surprend. Il inquiète. Je n’ai pris connaissance de quelques commentaires le concernant qu’après l’avoir lu.

Encensé, parfois critiqué (il ne serait pas à la portée du grand public, ce que je ne pense pas car jamais il ne lasse). Ont peut douter tout d’abord que le récit ne s’embourbe (tant de fange !) hors il n’en est rien. Point de déception.

On évoque Süskind (Le parfum), Zola (Le ventre de Paris), Balzac et même le Marquis de Sade.
J’ai retenu une amusante et audacieuse comparaison sur un Blog : « Cioran épousant Anne Rice ».
Un clin d’oeil sans doute au « Précis de décomposition », un autre à « Lestat le vampire ». Pour ma part, dans cet ordre d’idée je dirais que j’y vois « La tentation d’exister », puisqu’il s’agit de l’histoire d’un jeune homme qui quitte sa province dans l’espoir d’une ascension dans la société.

« Gaspard marchait vers la Seine comme on vient à la vie, dépouillé de toute expérience… Face à la ville, des émotions le submergèrent, l’assaut phallique de la capitale déflorait son esprit à chaque pas.
Gaspard épongea à nouveau son front. Il ne savait où aller, voulant rejoindre la Seine, mais ne pas l’atteindre trop vite… Que ferait-il une fois sur les rives, sinon rafraîchir sa vilaine face ? La chaleur intransigeante le pressait de s’y rendre, de jeter à sa peau cette vase… »

Ces quelques phrases dérobées au roman de Jean-Baptiste Del Amo, vingt six ans, donnent le ton.
Il ne s’agit pas seulement d’une « éducation » mais de la découverte abrupte du désir tentaculaire, d’un apprentissage du pouvoir sensuel.

Le fleuve qui traverse et accompagne tout le roman véhicule toutes les immondices de la nature humaine corrompue par la mort qu’elle porte en elle dès la naissance.

Robert Alexis, Jean-Baptiste Del Amo jettent chacun de biens singuliers éclairs sur l’éveil des pulsions, les dérives de la chair.

Robert Alexis dissèque l’aliénation, cerne la quête identitaire, traque les déviances du désir. Etienne de Creyst dans « Les figures » est un médecin qui découvre les multiples possibilités de l’humain.

Jean-Baptiste Del Amo, emprunte à Géricault ses sombres couleurs pour dépeindre les méphitiques émanations d’un Paris enserré dans les anneaux monstrueux du Fleuve, présence omniprésente qui obnubile le jeune Gaspard qui vient de fuir Quimper et les laideurs repoussantes de son enfance. Il nous méduse, il nous suffoque et plus encore nous fascine quand il fait surgir dans ce décor crépusculaire l’étonnant Comte Etienne de V… libre-penseur philosophe et débauché.

Deux romans qui semblent se répondre et se compléter. La quête de l’identité est là, palpable, ignoble, acculée, décuplée.

Gaspard est prêt à céder à l’apathie. Entre tentation et dégoût. Entre répulsion et attrait. Hideur des corps, insoutenables odeurs, nausées refluant à la gorge se succèdent jusqu'à l’intolérable.

L’écriture minutieuse, s’attarde, précise, développe sans cesse l’irrespirable, accentue le malaise. La passivité de Gaspard accroît l’horreur de ce qui l’entoure. Irritante latence, odieuse.

« L’homme coupable du crime avait fui, ou on ne l’avait pas retrouvé comme nombre de viols commis à la sauvette. Où, dans cette ville pouvait-il se trouver en cet instant ? A quoi pensait cet homme ? Gaspard s’essaya à pénétrer dans l’esprit d’un violeur supposé. Cette pensée le laissa absolument vide.
Avait-il fui Quimper pour ce Paris là ?
Avait-il préféré l’infâme à l’infâme, avait-il quitté la mer mangée de suie pour la Seine, aussi ténébreuse, aussi dévorante ? »

L’ambition serait-elle dans ce roman le prétexte d’un autre besoin plus obscur ? Si cela n’était, les phrases ne seraient pas aussi haletantes, harcelantes, moites comme une chair qui en cherche une autre, inavouable tourment. L’excitation naît de l’ambiguïté entretenue et aiguisée dans un clair-obscur qui devient l’écrin même du désir.

Gaspard subit déjà l’attraction de l’eau, comme celle d’une féminité qui le répugne tandis que l’assaut sexuel du Fleuve l’atterrent et l’attire. Comme Narcisse au bord du miroir, il est happé par le fatal et mouvant reflet dont il pressent l’emprise, il rêve jusqu’à défaillir cet autre lui-même où se transposer quitte à mourir à sa réalité.

Il n’est pas innocent que ce soit une citation de Gabrielle Wittkop qui précède la première page du roman.

« Mais pourquoi parler avec tant d’obstination de ces fressures ?... simplement parce qu’elles sont en vous, le jour et la nuit. »

La morbidité parcourt l’œuvre. La seule lumière qui daigne apparaître n’est autre que celle radieuse qui se dégage du libertin Comte Etienne de V. beau comme un vampire dont la morgue toise les cadavres qui réjouissent sa vue. Jouissance, délectation des vices dont il se pare, comme il pare son corps d’or, de velours et de dentelles.

On peut songer au Comte de Rochester cet autre libertin dont l’imposture et les extravagances ne cessèrent pas même au lit et au jour de sa mort.

Gaspard anéanti découvre le luxe splendide du désir le jour où le Comte entre dans la boutique du perruquier où il est apprenti.

«Ne cherchez pas et vous trouverez ». (Encore une citation de Gabrielle Wittkop qui n’est pas dans le roman, mais elle est si évidente) car Gaspard n’a pas cherché le cynique Comte Etienne de V., l’un et l’autre se sont trouvés.

« L’oubli. Ce par quoi nous périssons ? Ah ! Je vous le dis voilà une des anomalie de notre race ».
Gaspard ne va pas pouvoir oublier le Comte de V. tout instruit qu’il soit de ses qualités : « Sans vertu, sans conscience. Un libertin. Un impie. Il convoite les deux sexes. »

« Qu’attendait-il du Comte ? Que cherchait t-il vraiment ? Pourquoi ne pouvait-il résister à cette attraction dirigeant sa marche le plongeant dans ce somnambulisme éveillé ? Gaspard n’était sûr de rien, n’attendait aucune réponse… Il éprouvait le besoin suffocant de trouver cet homme, de se livrer à lui et cette nécessitée se localisait au creux de son ventre, logée dans ses viscères. Cet amas incandescent développait une ramure dans chacun de ses organes. – Faites de moi votre semblable… » chuchotera Gaspard au Comte de V. à la page 149… le roman n’en compte pas moins de 431 et la tension ne se démentira pas.

« La scène était celle d’un émoi pathétique, d’une déclaration affligeante, mais Etienne parut s’en amuser car il sourit, saisit le bras du jeune homme et le força à se rasseoir : - Bien sûr, il est inutile de préciser qu’à chaque chose va son prix… dit-il sur le ton de la confidence. »

C’est aussi du prix de chaque chose dont il est question dans « Les figures » de Robert Alexis.
Etienne de V. dans l’aisance de son inclination sans limite pour les plaisirs éveille en Gaspard une abondance de sensations qui vont le livrer aux tourments qui iront croissant.

« L’incertitude était un tison brûlant sans cesse enfoncé dans son ventre. »

Jean-Baptiste Del Amo élabore ses phrases, excite l’esprit, crée un lyrisme violent, putride, aliène l’imagination, ouvre l’œil, aiguise l’oreille, stimule l’odorat. Le lecteur devient un voyeur qui surprend l’accomplissement d’actes sexuels, comme s’il regardait par le trou d’une serrure.

Il parvient même à rendre perceptible les sursauts de la conscience surprise par les impulsions d’un corps dont elle croît détenir le contrôle et qui la dépassent. Accéder à l’essence de sa nature, s’en découvrir dépendant portera Gaspard à un acte irrationnel, celui de la mutilation de sa propre chair. Reprendre possession de son corps, dépasser l’abjection, arracher de soi l’innommable.

Dans la confusion des actes, chercher l’accouchement de sa dualité, l’âme dans l’organique, percer l’irritant mystère de l’être… Qu’y a-t-il par-delà l’apparence ?

La rencontre avec le Comte Etienne de V. ne sera pas sans de multiples répercussions. Il sera plus que dérouté par son comportement. Devenir semblable à cet être qui le comble d’un inouï plaisir, il va en découvrir le prix… mais quel prix !

Bien des événements vont se succéder dans l’existence de Gaspard.

« Quarante mille putains régnaient sur Paris… certaines filles indépendantes se prostituaient durant l’hiver, courues par les libertins que la saison morte ennuyait mais qui désiraient satisfaire leurs extravagances et non s’enticher d’une courtisane. »

La rencontre d’Emma qui vend son corps, comme lui vendra le sien, illumine la turpitude désespérante de l’hiver où Gaspard tente de survivre.

« - Je m’appelle Emma, c’est mon vrai prénom… - Je m’appelle Gaspard. Comme si cette confidence autorisait plus encore leur rapprochement, elle se serra contre lui. Il n’y avait dans cette étreinte ni désir, ni sensualité, seule une communion, une alchimie inespérée… » « L’heure n’était plus aux combats, Gaspard en convint, mais à la résignation. Cette décision qu’il crut sage annonça sa profonde et définitive métamorphose. »

« Les gestes désincarnés », sans l’illusion d’un peu d’amour ou de tendresse ne vient que renforcer « l’écho d’une colère, d’un indéracinable déni».

Gaspard revendique son nom s’accroche à un semblant d’identité comme d’autres s’affublent d’un nom d’emprunt afin de la réduire. Devenu de lit en lit, le giton de l’errance, il renoncera à être nommé, à « protéger sa dernière once d’humanité ».

« Fallait-il que des êtres tels que lui, rejetés des hommes, servissent à épancher la lâcheté, l’avilissement d’un monde ?... S’il se défendait d’être la cause que ceux-ci entretenaient leur vice, il finit par concevoir que son corps méritait leur répulsion… Gaspard sentit croître en lui une répugnance, intrinsèque à la rage qu’il ressentait pour l’humanité. »

Obsédantes et belles pages dans « l’hébétude des journées ». Le prix demandé est lourd. Qui ne s’égarerait dans le labyrinthe d’une absence de certitude ?

L’ombre du Marquis de Sade projette une philosophie entachée de sang et de douleur. Hegel affirmait :

« Ce dont l’homme a besoin, ce n’est pas ce qui lui est donné par la nature extérieure, mais d’un monde fait par lui et pour lui seul, approprié à sa méditation intérieure, à l’entretient de l’âme avec elle-même ».

Le monde où est jeté Gaspard est-il propice à l’éveil de la sensibilité ?
Et le nôtre ?

Il reviendrait à Jean-Baptiste Del Amo de débattre de ce questionnement ?
Le passé éclaire peut-être ce qui se cache derrière les ombres projetées sur notre aujourd’hui.

Ce roman est un immense fleuve surchargé de visions hallucinées, de lueurs infernales sur de pitoyables destinées. L’effroi y étouffe le sanglot de l’angoisse. Gaspard va accomplir sur son corps des actions extrêmes. Les plus impressionnantes pages de ce roman.

Probablement l’auteur a-t-il quelque connivence avec Bataille et ses considérations sur la littérature et le mal.

Que l’écriture riche et alourdie du brocard des mots n’efface pas la modernité du propos est l’une des qualités de ce roman.

La suggestion non démonstrative, confine et frôle le domaine de l’inconscient. Une larme de sang jamais ne souille le vêtement de l’Indifférence ; le masque adhère si étroitement à la peau que l’ôter serait l’éclater jusqu'à l’os. L’homme comme l’animal n’étant plus que pièces de boucherie, fressures…innommables.

Ecorchures, émotions émergent en quelques pages inoubliablement sensuelles, brûlées par les feux du désir, inoubliablement et tristement cruelles, infiniment sensibles. Visage d’Emma, visage de Lucas, hagardes apparitions perdues parmi les monstruosités ordinaires.

Gaspard est un Narcisse désenchanté. Il a porté à son ventre un morceau du miroir où il s’était complu à voir le trompeur reflet de ce qu’il ne peut devenir tout à fait, il a ouvert à son ventre une fente sanguinolente, ajoutant une souffrance qui s’apparente à un sexe ajouté au sien…

« Son acte était énigmatique et honteux ».

Où sont donc enfouies les archives de cette identité perdue ?... Le Fleuve au courant si fort soit-il, peut-il noyer l’origine de ce qu’il est, emporter l’obsession qui le détruit ?

« Le miroitement des eaux l’éblouit, la fièvre en fit foisonner les éclats. De la ville s’éleva le chaos sans nom, l’inextinguible clameur, l’indissociable fragrance. Etendant ses ramures le chancre de ses plaies ondoyait dans ses chairs comme un nimbe funeste ».

Un grand roman. « La tentation d’exister ».

Hécate février 2009.
lefildarchal.over-blog.fr

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