Le chant des mouches de Sébastien Chabot

Le chant des mouches de Sébastien Chabot

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Aaro-Benjamin G., le 14 novembre 2008 (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 865ème position).
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Le canton matalien

Au centre de la rivalité qui oppose le clan des Torpilleurs et celui des Flotteurs, un trou. Une sorte de gouffre dépotoir dont la création est source de dispute. En partant de ce schisme, Chabot nous fait visiter une galerie de personnages truculents comme on en rencontre dans les contrées reculées. Ils n’ont pas de nom, seulement des surnoms – Petite-mouche, Patron, Statue ou Pile-Poil. On butine de l’un à l’autre, découvrant des morceaux de leur vie, notamment ceux des jumeaux séparés à la naissance, pressentis comme les sauveurs aptes à rétablir l’harmonie au village.

Dans ce qui est une fable grinçante, l’imaginaire éclaté de l’auteur est exploité admirablement. Le style est également exceptionnel et débouche souvent sur des images touchantes et tristes : « Les mots collants du père Gamme se rendirent en rampant jusqu’au piano. La chorale de grognements et d’applaudissements mous reprit, ce qui fit pleurer Tête-Triste, couché dans le ventre de l’instrument. Ses larmes tombaient sur les cordes et libéraient des notes timides qu’il n’oublierait jamais. »

La superposition d’une prose majoritairement colorée et jubilatoire sur un univers de désœuvrés marqués par des blessures de l’enfance, est déroutante. Doit-on s’émouvoir ou sourire ? Le lecteur ne sait pas sur quel pied danser. Néanmoins, l’étrange caricature des mœurs de village a un attrait morbide féroce.

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Qurelles de village

8 étoiles

Critique de Libris québécis (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans) - 10 août 2015

Le Chant des mouches nous plonge au cœur d’un village fictif de la Matapédia, très révélateur de la mentalité qui caractérise les régions à l’échelle nationale. L’auteur exhibe une population qui se rive avec acharnement à ses discordes. Quand l’atmosphère se lénifie quelque peu, d’aucuns s’empressent de tourner le vent pour que se perpétuent les disputes qui les divisent. Tout mouvement qui favoriserait des accommodements raisonnables est contrebuté avec fermeté.

Cet esprit d’affrontement caractérise Sainte-Souffrance, situé en bordure de la rivière Matalik. La toponymie ne peut être plus juste. Les villageois se divisent en deux clans, qui entretiennent des rapports haineux en raison de l’interprétation qu’ils donnent de la disparition de leur église. Celui des torpilleurs soutient qu’elle a explosé en laissant un trou béant. Celui des flotteurs croit plutôt qu’elle fut emportée par la crue des eaux. Ces prémisses irréconciliables ont créé deux ghettos, situés de part et d’autre de l’ancien emplacement de leur lieu de culte. Comment raccommoder une population ainsi déchirée ? Rien de mieux pour refroidir les esprits échauffés que de favoriser la solution de la pépine (chargeuse-pelleteuse). On décide donc de construire un pont, comme à la belle époque du Premier ministre Maurice Duplessis. La nouvelle structure aura-t-elle l’effet escompté ? Voilà le dilemme. En tout cas, deux orphelins de la paroisse y croient dur comme fer, le curé et un musicien, qui a composé Le Chant des mouches, une œuvre que l’on jouera le jour de son inauguration.

Aucune rédemption ne se profile dans la bourgade. Certains habitants de Sainte-Souffrance (les Souffretins) envisagent même de s’établir au Nouveau-Brunswick, d’autant plus que la Holy Grail Incorporated, la seule entreprise du village, a fermé ses portes, sans compter la perte de leur église, où, au moins, leurs croyances les rassemblaient. Dépouillés de leurs points de repère, ils attendent un messie, dont Madame Lamproie s’empresse de tenir le rôle avec les « zeureux », un organisme à but lucratif qui profite de la manne créée par ce vacuum. L’auteur décrit bien ce milieu de vie, saigné de sa substance sans que le pouvoir politique ne lève le petit doigt pour stopper l’hémorragie. Comme La Héronnière de Lise Tremblay, ce roman sonne le glas des clichés favorables aux soi-disant havres de paix de nos régions.

Pour édulcorer son constat, Sébastien Chabot emprunte la voie d’un conte, qui n’en précise pas moins les enjeux dont dépend l’avenir des villages du Québec. Avec une écriture soignée, il montre, avec brio et humour pour ne pas en pleurer, comment on se tire dans le pied. En fait, il prend le contre-pied de Fred Pellerin, qui présente Saint-Élie-de-Caxton comme un village où il fait bon vivre.

Le Chant des Mouches, N'a rien d'un trou sans fond !

9 étoiles

Critique de Bouhoutime (, Inscrite le 29 septembre 2009, 34 ans) - 29 septembre 2009

Un besoin de dénonciation avec de l'herbe entre les dents et du fumier sous les bottes galope de mots en phrase et de pages en chapitres dans ce prodigieux récit de Sébastien Chabot. Natif de Sainte-Florence dans la vallée de la Matapédia, le romancier a d'abord peint un espace où ont préséance la fantaisie, la lucidité et la folie dans Ma mère est une marmotte (2004). Dans les mêmes coloris, L'angoisse des poulets sans plumes (2006) et Le Chant des Mouches poursuivent et s'implantent dans une saga singulière.
Au coeur du canton de Matalik, un grand trou fait office de discorde au sein des Flotteurs et des Torpilleurs. Entre Petite-Mouche et Patron, se tricote de l'amour épineux et fervent ayant pour cadre un village retiré et déjanté. Cet univers de dichotomie accueille la naissance des jumeaux Statue et Tête-Triste, suivi de la tragique mort de leur mère. Abandonnés par la souffrance et le suicide de leur père, les orphelins se séparent et exposeront leurs vies dans des récits parallèles tout au long du roman. Par l'omniprésente idéologie de territoire et de la religion, le roman basé sur la déchirure a des allures de littérature du terroir. Pourtant, l'oeuvre s'inscrit plutôt quelque part entre la fable et la poésie ; symbolique animale, morale implicite et double structure. Ces doubles récits à la façon d'Instruments des Ténèbres de Nancy Huston de par la séparation des jumeaux et la mort de la mère auraient pu dépersonnaliser l'oeuvre, pourtant le roman paraît vif, sans pareil et audacieux.
Une plume qui puise son encre dans l'image et qui laisse le lecteur en haleine alimente le fil du récit. Inimitable, mais rappelant Réjean Ducharme et Marie-Claire Blais, Sébastien Chabot se fait alchimiste des mots et tend des perles écrites aux lecteurs : «Il ressentit l'instinct des parapluies, une colère d'une grande violence qui lui fit comprendre qu'en lui fournissant un abri sous son coeur vacillant, il pourrait épargner à Petite-Mouche la morsure du monde.» Les métaphores, les personnifications et l'allégorie donnent une puissance efficace au texte et construisent un chemin direct entre l'imaginaire de l'auteur et du lecteur.
Efficace, Sébastien Chabot nous transporte par son humour noir et son ironie vers une prise de conscience qui devient un élément clé du roman. Le parallèle entre la société fictive et notre société sert de médium à la critique hardi envers le gouvernement. Le ministère, qui ici, donne la corde aux suicidaires, atténue les problèmes par des dépliants interminables, l'indifférence face à la mort et les problèmes sociaux. C'est donc un livre troué que nous offre Chabot, un trou dans l'efficacité du gouvernement, un trou dans le coeur de Patron, un autre qui sépare les villageois et un dernier qui désunit les jumeaux. Malgré une introduction confuse, le roman s'avère en finale, basé sur des piliers et une charpente des plus solides.
L'unicité, la vie en société, la souffrance et l'enfance s'avèrent les points pivots du récit. Des personnes monstrueuses prennent place ce qui embrouille l'identification aux personnages, mais renforce l'univers insolite de Sébastien Chabot. Décidément, Sébastien Chabot écrit joliment et possède une envie de raconter contagieuse. Un roman qui donne l'impression au lecteur de détenir un secret, un bijou caché. Tout simplement, une oeuvre et un auteur à découvrir !

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