Courir de Jean Echenoz
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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La course à l'abîme
Il y a deux ans, Jean Echenoz avait eu la merveilleuse idée de nous faire entrer dans l'univers de Ravel en nous le montrant s'apprêtant à sortir de sa baignoire. Incipit idéal pour nous mettre dans le bain, d'autant plus idéal et élégant que le livre débutait par un parfait alexandrin avec césure à l'hémistiche : « On s'en veut quelquefois de sortir de son bain. » Avec « Courir », son dernier « roman », c'est du moins le mot figurant sur la couverture du livre (on peut donc légitimement penser que l'auteur ne s'y est pas opposé), il en va tout à fait différemment. Cette fois-ci, nous ne sortons plus de la baignoire avec Ravel, mais nous entrons de plain-pied dans la guerre avec Émile. De plain-pied peut-être, mais avec un pied en moins tout de même, l'alexandrin se faisant hendécasyllabe : « Les Allemands sont entrés en Moravie ». Vers boiteux, auquel il manque un pied, première phrase surprenante pour un livre intitulé «Courir» et ayant pour sujet la vie du coureur tchèque Émile Zatopek. Surprenante également la manière dont il vient à la course à pied. Émile, dont le patronyme ne sera révélé qu'à la page 93 (c'est Zatopek, mais faut pas le dire, oups c'est déjà fait, tant pis!), le jeune Zatopek, dont nous tenterons donc de préserver l'anonymat, ne s'intéresse en effet pas du tout au sport, « d'autant moins que son père lui a transmis sa propre antipathie pour l'exercice physique, lequel n'est à ses yeux qu'une pure perte de temps et surtout d'argent. » (p.13). Pas trop un truc pour lui, la course à pied donc. C’est d'ailleurs à une carrière de chimiste qu’il se destine, après avoir travaillé un temps chez Bata à fabriquer des chaussures, ça ne s’invente pas. Mais bon, le fait est que, pour étendre sa propagande, l'occupant allemand a décidé d'organiser une course dans l'école professionnelle dont Émile est élève. Pas de chance pour lui, qui, bien obligé d'y participer, prend donc le départ en traînant des pieds, ce qui n'est jamais évident, même quand on s'appelle Zatopek, mais nous ne le saurons qu’à la page 93. «Comme il termine deuxième sans s’en apercevoir» (p.16), il prend progressivement goût à la discipline sportive. Opposant tout d’abord un refus poli à ses amis qui lui demandent de courir avec eux, refus qui contrairement à celui du Bartleby de Melville, auquel Echenoz fait parfois subtilement allusion, n’a rien de définitif (« on sait comme il est Émile, quand il dit non, c’est en souriant », p.17), il commence vite à s’entraîner très sérieusement. Sérieusement mais pas de façon très académique. C’est qu’Émile privilégie l’efficacité au style : « Mais non, dit-il, le style, c’est des conneries. Et puis ce qui ne va pas chez moi, c’est que je suis trop lent. Tant qu’à courir, il vaut mieux courir vite, non ? » (p.21). Si tu le dis, Émile, c’est que ça doit être vrai. N’empêche que ce style heurté, extrêmement bizarre a de quoi déconcerter les spécialistes : «Ce type fait tout ce qu’il ne faut pas faire et il gagne.» (p.46). A l’instar de Zatopek et de sa foulée gagnante, Jean Echenoz fait également tout pour que ses romans gagnants ne tiennent pas debout. A propos de Cherokee, son deuxième livre, Jean-Patrick Manchette parlait d’un « amas de déchets spécialement hétéroclites et qui devraient se détruire les uns les autres », ajoutant que « tout ce bordel devrait être, au bout du compte, une autodestruction et un ratage, un sommet de l’effondrement. Or non. Ça tient. D’une manière antiphysique : comme un château de cartes qui serait une brique. » Et pour Zatopek, ça tient même très bien. Il sera notamment le premier homme à parcourir plus de 20 kilomètres en une heure, triple champion olympique à Helsinki, détenteur de tous les records du monde sur longue distance, du six miles aux trente kilomètres…. Jusqu’à la page 93. L’émergence de son nom marque en effet le début de son déclin, ce qui n’a rien d’étonnant eu égard au contexte politique de l’Europe de l’Est à cette époque, contexte dont le roman se fait largement l’écho. Un contexte oppressant bien entendu, mais souvent traité de façon ironique par Echenoz :
« Cependant sur le théâtre des procès politiques, on n’est jamais allé si loin non plus. Grand spectacle produit par la Sécurité d’État, avec le concours artistique des conseillers soviétiques pour la dramaturgie, comparution impeccable des prévenus, décors et costumes très soignés, public de première, rôles admirablement appris sur le bout des doigts par tout le monde – juges, procureurs, avocats, accusés-, livret de mise en scène minutieux. Progression dramatique parfaite jusqu’au coup de cymbale du verdict, pendaisons comme s’il en pleuvait, applaudissements nourris, nombreux rappels, longue vie au président Gottwald. » (p.75).
Entraîné dans le tourbillon politique comme il l’avait été dans celui du sport, malgré lui, Émile servira en même temps qu’il les subira le régime et ses multiples avatars jusqu’en 1968, année où il sera exclu du Parti, radié de l’armée où il travaillait et renvoyé du ministère où il occupait un poste. Il finit archiviste en sous-sol au Centre d'information des sports de Prague. La boucle semble bouclée, ce que souligne parfaitement la structure cyclique du roman, le vingtième et dernier chapitre reprenant bon nombre d’éléments de l’incipit. Courir, s’obstiner dans le refus de l’attraction terrestre, ne lui aura donc entre-temps servi qu’à ne pas sombrer, un divertissement en somme, au sens pascalien du terme. Ce qui n'empêche pas le lecteur de prendre son pied!
Les éditions
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Courir [Texte imprimé] Jean Echenoz
de Echenoz, Jean
les Éditions de Minuit
ISBN : 9782707320483 ; 13,80 € ; 09/10/2008 ; 142 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (18)
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Merci à Jean Echenoz !
Critique de Tanneguy (Paris, Inscrit le 21 septembre 2006, 85 ans) - 15 février 2016
Le sujet est assez mince, c'est vrai, mais personnellement j'avais vécu une partie de mon adolescence au rythme des performances étonnantes de cet athlète mystérieux... et soviétique. Que Jean Echenoz ait pu s'y intéresser, et pas seulement un journaliste sportif peut étonner de prime abord mis on se pose moins de questions en refermant le livre. Il a, lui aussi, été fasciné par l'homme et la période pendant laquelle il a exercé ses talents ; il y avait de quoi en effet !
Deux locomotives
Critique de Catinus (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 73 ans) - 9 décembre 2014
L’excellent Jean Echenoz revisite – oh si peu ! – l’incroyable biographie d’Emile Zatopek, l’homme qui détestait courir, avec en champ de vision, le dos de ses adversaires…
On imagine Jean Echenoz raconter, à sa façon, la vie d’Eddy Merckx. Ou, comme il est Français, celle de Jacques Anquetil, ou mieux encore celle de Raymond Poulidor, l’éternel second. Je rêve qu’il « refasse » la bio d’Eric Satie …
Extraits :
- Un jour on calculera que, rien qu’en entraînements, Emile aura couru trois fois le tour de la Terre.
- Sa curiosité le pousse quand même aussi à visiter le zoo de Berne où Emile se réjouit de voir enfin des singes, espèce qui n’a pas encore droit de séjour en Tchécoslovaquie. Mais les singes ont l’air méchant, aigris ,amers, perpétuellement vexés d’avoir raté l’humanité d’un quart de poil. Ça les obsède à l’évidence, ils ne pensent qu’à ça.
Sans élan et très vite à l’arrivée
Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 14 juillet 2014
Plus optimiste que ces deux autres romans, le personnage d’Emile est dépeint comme un être attachant, courageux, enthousiaste et à certains égards fataliste.
Il est présenté comme un héros malgré lui qui n’a jamais cherché la gloire et qui, pour son malheur lors du Printemps de Prague, aura toujours voulu le bien de son entourage et de ses compatriotes.
Certes la présentation de la carrière sportive de Zatopek ressemble lors de certains passages à un inventaire brut d’évènements auxquels il a participé, mais il n’en demeure pas moins que « Courir » plus encore que les deux autres ouvrages qui composent la trilogie, est un excellent petit roman qui se lit d’une traite.
Mitigé
Critique de PPG (Strasbourg, Inscrit le 14 septembre 2008, 48 ans) - 25 novembre 2012
Finalement, peut-être tout simplement un peu trop court ce roman...
Fascinant petit bouquin!
Critique de Leroymarko (Toronto, Inscrit le 19 septembre 2008, 51 ans) - 15 janvier 2012
Émile, c’est bien sûr Emil Zatopek, ce légendaire coureur de fond tchécoslovaque qui va régner sur ses adversaires dans les années suivant la Seconde guerre. Pourtant, Echenoz ne mentionne le nom Zatopek qu’à la page 93. Très vite, toutefois, on comprend que l’auteur s’inspire de faits réels et on trace rapidement les liens qui s’imposent en se souvenant de celui que l’on surnommait «la locomotive tchèque». On comprend aussi que l’auteur s’inspire de faits réels, mais qu’il brode le reste. Ce qui est réel, ce sont bien sûr toutes ces courses que Zatopek a remporté en adoptant pourtant une méthode bien peu orthodoxe. C’est aussi l’atmosphère qui règne dans cette Tchécoslovaquie qui subit le joug allemand, puis celui des Russes. Zatopek devient alors, qu’il le veuille ou non, l’homme modèle de ce socialisme imposé. Pourtant, en 68, il prend le parti des réformistes, ce qu’il lui vaudra, une fois les tanks russes bien en contrôle dans Prague, d’être envoyé dans les mines d’uranium pour y travailler. Ce n’est que bien des années plus tard qu’il sera réhabilité. Un ouvrage à lire.
Sport et socialisme soviétique
Critique de Elya (Savoie, Inscrite le 22 février 2009, 34 ans) - 13 décembre 2011
Car finalement quel est le mérite d'Echenoz ? Sans conteste, on peut le remercier d'entretenir la postérité de ce grand sportif, et aussi de dénoncer le régime soviétique autoritaire de l'époque. L'histoire était certes déjà toute tracée mais elle valait le coup d'être contée, avec un peu d'humour et de distance. Elle ne nécessitait pas qu'on s'attarde trop, qu'on s’exalte trop, qu'on accuse trop ; tout compte fait Jean Echenoz nous livre ici un sympathique récit.
Vraie-fausse biographie, ou l’inverse ?
Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 21 juin 2011
Pour les très jeunes et les non intéressés par le sport qui seraient passés à côté, signalons qu’Emil Zatopek fût un prodige de la course à pied, demi-fond et fond, détenant un moment tous les records mondiaux du 800 m au 10 000 m ! A l’époque – il fût triple Champion Olympique à Helsinki – il était l’extra-terrestre de la course à pied et surtout, il était Tchécoslovaque. Et à ce titre, né du côté oriental de l’Europe à un moment où la guerre froide battait son plein et où victoires sportives comme exploits dans l’Espace étaient les étalons permettant de mesurer le succès de tel ou tel système politique.
C’est que le roman de Jean Echenoz est autant un roman sur l’avènement d’un champion et sa psychologie que la relation du quotidien d’un champion né du côté Est du rideau de fer, dans l’après-guerre. Un champion qui va d’abord s’accommoder des vicissitudes imposées par le pouvoir Tchécoslovaque pour « exploiter » au mieux cette image d’homme – socialiste – le plus rapide du monde sur un plan politique (censure de ses interviews, blocage de sa participation aux épreuves sportives hors de la sphère orientale, …), puis qui, la retraite sportive arrivant, ses galons de colonel sur les épaules, se ralliera à Alexander Dubcek lors des évènements de l’été 1968, une des premières tentatives de résistance à l’impérialisme soviétique, et qui lui vaudra d’être dégradé, radié de l’armée et humilié via des tâches, au mieux considérées comme censées porter le déshonneur (éboueur), au pire susceptibles d’altérer sa santé (mineur dans une mine d’uranium). L’affaire, on le sait, se terminera aussi mal pour la Tchécoslovaquie en 1968 que pour l’ami Emil.
Jean Echenoz relate tout ceci sans implication particulière, d’une écriture relativement froide … Un peu comme un biographe …
détester courir, adorer Courir
Critique de Lutzie (Paris, Inscrite le 20 octobre 2008, 60 ans) - 29 janvier 2011
- Maman, tu t'intéresses à Zatopeck et à la course de fond ...??!!
- Pas du tout. Mais ce livre est excellent.
L'avis ferme d'une dame d'un âge respectable étant respectable, je me suis exécutée. Eh bien oui, on ne peut qu'abonder.
C'est toujours un régal de redécouvrir l'écriture de Jean Echenoz, unique dans le paysage français. Les passages réjouissants sont légion, à l'origine de rires fréquents. L'ascension puis le déclin du champion tiennent le lecteur en haleine, si j'ose dire, et l'émotion, même tenue à distance, est bel et bien là.
Pour le reste, tout est très bien dit dans les critiques qui précédent.
A lire dès l’adolescence et sans limites d’âge aucunes.
Une perle
Critique de Maria-rosa (Liège, Inscrite le 18 mai 2004, 69 ans) - 19 novembre 2010
passionnant
Critique de Clubber14 (Paris, Inscrit le 1 janvier 2010, 44 ans) - 16 juillet 2010
J'ai également très fortement apprécié le contexte géopolitique : la Russie d'après-guerre, les tensions Occident / Europe de l'EST... Echenoz arrive à nous intéresser tout à la fois à la vie sportive de cet être hors-norme et aux tensions politiques connexes.
En trois mots : à lire absolument !!
Trottiner
Critique de El grillo (val d'oise, Inscrit le 4 mai 2008, 50 ans) - 18 janvier 2010
Ou bien le roman est trop court, ou bien on ne sait pas tout car l'homme est discret et avare de déclaration sur sa vie privée, ou ce n'est pas le but du récit.
De ce fait, je suis resté un peu à l'écart. Même si ce grand homme du sport ne m'est plus tout à fait inconnu, il m'en reste une couche de mystère que j'aurais aimé moins épaisse.
Tout public
Critique de Jmacphee (, Inscrit le 11 décembre 2009, 35 ans) - 12 décembre 2009
J'ai été surpris par le format extrêmement réduit, un des défauts du livre selon moi, j'y reviendrai un peu plus tard. J'y ai appris des choses extraordinaire, sur un athlète hors du commun, raconté avec beaucoup de rythme, on ne se perd pas dans les descriptions de la politique actuelle, même si elles sont très importantes dans la vie de Zatopek. De l'enfance, l'adolescence et le début du succès, qu'il ne recherche pas du tout, on découvre un talent, comme le monde à l'époque, et on pousse derrière lui (lorsqu'on ne se souvient pas du résultat) dans chaque course, afin de le faire gagner.
J'ai malheureusement vu les limites de l'auteur, qui ne semble pas un grand spécialiste de la course à pied. Je n'ai jamais lu de livre où les courses étaient relatées de cette façon (je n'ai jamais lu de romans parlant d'athlétisme), je m'attendais à quelque chose de plus long, faisant vraiment entrer le lecteur dans les sentiments de la course, de l'avant course, parfois stressant et rempli de doute, le pendant, et l'après, où jaillit une quantité énorme de sensations et de sentiments. Certaines parties m'ont un peu laissé sur ma faim, mais mon addiction à ce sport doit me rendre exigeant.
Très bon livre, qui peut faire un beau cadeau pour vos amis athlète en cette période de Noël.
A la limite du radio-crochet de gauche!
Critique de Habertus (, Inscrit le 6 août 2009, 81 ans) - 24 septembre 2009
Il démarre modestement dans cette discipline, risée de tous alors, et pulvérise nonchalamment les records des héros officiels du sport du pays et de l’étranger. On le prend donc en considération. Comme souvent, l’Etat lui trouve une fonction. Il sera militaire. Ses grades croîtront au fur et à mesure de ses succès. Il s’unira à un « javeliste ». Il finira colonel, sera rétrogradé aux fonctions civiles, éprouvante de mineur d’uranium, dégradante d’éboueur, puis sera viré de l’armée quand trop en vue, il profèrera trop de critiques du régime socialiste et de l’occupant soviétique.
C’est un héros pour le peuple, qui lui conserve toute son admiration même après sa chute, lorsqu’il sera trop âgé pour gagner encore les compétitions.
Il commence tout seul sa vie de sportif, misérablement sans y croire. Les succès internationaux s’enchaînent. Et alors, il incarne le pays. L’Etat se sert de sa notoriété. Les interviews sont truquées par la censure.
Sur la fin il signera (on le forcera à signer) son auto-critique marxiste, qui serait un péché-menteur caractérisé aux yeux d’un catholique.
Il paraît que l’auteur n’aurait pas d’expérience de la course à pied (son interview de J-L Ezine dans le Nouvel Observateur). Il n’empêche -c’est un tour de force !- qu’il entre dans la peau du coureur, écrit admirablement sa souffrance, son raisonnement, sa technique.
L’auteur, développe pour le lecteur une sorte de commentaire des compétitions de Zatopek ,comme dans un reportage en direct. Echenoz conjugue tout au présent et en style indirect. Aucun dialogue. C’est sa caractéristique d’écrivain, et cela produit une très belle langue.
Trop
Critique de NQuint (Charbonnieres les Bains, Inscrit le 8 septembre 2009, 52 ans) - 8 septembre 2009
De fait, le livre se lit avec une facilité déconcertante, il est court (140 pages) et en quelques (petites) heures de lecture, il passe tout seul. Cela permet de se refamiliariser avec à la fois le parcours dudit Emil (oui Echenoz ne l'appelle - presque - que par son prénom) et du contexte historique (rideau de fer, mainmise soviétique, Printemps de Prague et écrasement subséquent). Mais le traitement et le style sont déconcertants. Echenoz adopte un récit "ForrestGumpien" (je n'ai pas vu le film mais bon ...) : celui d'un type qui n'aime pas le sport, va courir pour faire plaisir à 2/3 potes et en un rien de temps, sans se prendre la tête, se retrouve multi-médaillé au JO, détenteur de 8 records du monde, idole de son pays puis connait la déchéance suite à l'écrasement du printemps de Prague sans avoir vraiment soutenu le dégel, là encore un peu par hasard.
Bref, dans sa gloire comme dans sa déchéance, Emil semble n'être qu'un pur produit d'un certain hasard, propulsé au milieu d'événements qui le dépassent complètement. J'ai quand même le sentiment que cette trajectoire singulière et l'arrière-fond historique possédaient une richesse qui auraient permis d'en faire quelque chose de nettement plus riche. Mais on m'objectera que le parti-pris de l'auteur était de faire un roman (court) et non une biographie. Certes ...
Néanmoins, même face à cette déception, je ne peux nier le plaisir que j'ai pris à lire ce petit livre, même si j'en aurais voulu plus !
Un gars bien ordinaire ......
Critique de Alma (, Inscrite le 22 novembre 2006, - ans) - 19 mars 2009
Et si j’ai rencontré beaucoup de plaisir dans cette lecture, c’est d’abord en raison de la proximité que le lecteur entretient avec le protagoniste . Toujours désigné par son prénom Emile, il devient une sorte de copain ou de cousin sympathique dont on partage les faiblesses, les erreurs , les maladresses . Le champion est démythifié, c’est « le doux Emile », un gars bien ordinaire, celui qui sans ambition, sans plan de carrière, mais au bonheur des opportunités qui lui ont été offertes, est devenu « la locomotive tchèque ».
C’est aussi en raison de l’efficacité de l’écriture de Echenoz, qui se fait ici conteur . Le récit , qui s’appuie souvent sur des mots tremplins, ne semble pas s’arrêter , même aux changements de chapitres . Les dialogues jamais annoncés par des tirets ou des guillemets, s’intègrent toujours au récit . Le narrateur, s’introduisant parfois dans le roman pour commenter l’attitude du héros ou interpeller le lecteur, reste toujours présent , par un regard à la fois tendre sur le héros et ironique sur le régime politique .
C’est enfin par le fait d’avoir replacé Emile dans le contexte politique de son pays, ce qui apparaît en particulier dans le chapitre d’ouverture et celui de fermeture, à la fois parallèles dans leur construction , mais opposés par leur contenu . Le sport n’est pas seulement ici affaire de souffle, de muscles, d’entrainement , mais aussi affaire de politique .
Eche...naze
Critique de Alainw (, Inscrit le 31 janvier 2009, 54 ans) - 31 janvier 2009
Pas d'intrigue, suspens brisé d'avance, il faut bien du courage pour terminer ce "roman", comme un marathon de 142 pages.
Lisez la dernière phrase du livre dans le magasin, appliquez-la à l'auteur ... et reposez-le l'ouvrage sur le présentoir !
Alain
Eblouissant
Critique de Vda (, Inscrite le 11 janvier 2006, 49 ans) - 30 janvier 2009
L'écriture de l'auteur m'a fait m'exclamer - intérieurement, j'ai des voisins - wouahou tous les demi-heures - vachement plus en vérité, mais je sais me tenir -. Les extraits cités par Palorel en sont un bon exemple, tout le livre est ainsi. L'auteur, à l'image de son héros Emile qui cassait le rythme de ses courses, usant et décrochant ses adversaires, emploie le contre-pied littéraire dans la construction de ses phrases, obligeant son lecteur à l'attention et au wouahou.
A peine tournée la dernière page que l'envie vous vient de retourner au début, d'entamer un nouveau tour de piste. Et de s'inscrire sur d'autres distances, de parcourir les autres titres de Jean Echenoz.
Courir est un délice.
C'est l'histoire d'un type ...
Critique de BMR & MAM (Paris, Inscrit le 27 avril 2007, 64 ans) - 17 janvier 2009
Émile n'aime pas le sport. Émile travaille dans une usine de chaussures Bata en Tchécoslovaquie (c'est ça le destin ?).
Émile sera pourtant le coureur le plus rapide du monde.
Émile n'aime pas trop son boulot à l'usine. Et on s'aperçoit qu'Émile est vraiment très rapide à la course, même s'il court n'importe comment.
Alors, poussé par son entourage, Émile s'entraîne, s'entraîne encore, par tous les temps.
Bientôt les records de Tchécoslovaquie commencent à tomber dans les poches du survêtement d'Émile.
Encore quelques années d'entraînement et ce sera les records d'Europe puis du monde. Le 5.000 mètres, le 10.000 mètres, le record de l'heure (plus de 20.000 mètres), les médailles d'or des Jeux Olympiques, jusqu'au mythique marathon.
C'est l'histoire d'Émile.
C'est l'histoire de Zatopek, Émile Zatopek, la locomotive tchèque qui sera pendant de nombreuses années l'homme le plus rapide du monde, accumulant records et médailles et courant n'importe comment, sans style, la tête bringuebalant sur le côté, sans méthode, au grand dam des entraîneurs et docteurs sportifs. À une époque où ces gens-là n'avaient pas encore inventé le mot dopage et où sur la piste, sur la cendrée comme l'on disait encore, il n'y avait que des hommes.
[...] Un jour on calculera que, rien qu'en s'entraînant, Émile aura couru trois fois le tour de la Terre. Faire marcher la machine, l'améliorer sans cesse et lui extorquer des résultats, il n'y a que ça qui compte et sans doute est-ce pour ça que, franchement, il n'est pas beau à voir. C'est qu'il se fout de tout le reste. Cette machine est un moteur exceptionnel sur lequel on aurait négligé de monter une carosserie. Son style n'a pas atteint ni n'atteindra peut-être jamais la perfection, mais Émile sait qu'il n'a pas le temps de s'en occuper : ce seraient trop d'heures perdues au détriment de son endurance et de l'accroissement de ses forces. Donc même si ce n'est pas très joli, il se contente de courir comme ça lui convient le mieux, comme ça le fatigue le moins, c'est tout.
Enfin, presque tout. Car Échenoz a l'intelligence de replacer la course d'Émile dans la course folle du monde.
Émile a 17 ans quand le III° Reich envahit les Sudètes (beaucoup) et la Tchécoslovaquie (un peu, tant qu'on y est, on y reste). La première course officielle d'Émile est un cross de la Wehrmacht. Après la guerre il court à Berlin dans le stade construit par Hitler pour les fameux JO de 1936. Plus tard son talent est "utilisé" par la propagande communiste tchèque (ou même celle du PC français avec le cross de l'Humanité). Même si le pouvoir communiste ne lui délivre des visas qu'au compte-goutte ... dès fois qu'il prenne goût à la course de l'autre côté du rideau de fer.
Encore un peu plus tard, il se rallie à la bannière de Dubcek pendant le printemps 68.
On sait comment le printemps s'est terminé : Émile signera son autocritique et, après un passage par les mines d'uranium, finira archiviste dans un sous-sol du ministère des sports.
Ce petit bouquin d'Échenoz (tous les bouquins d'Échenoz sont petits) se lit à toute allure, à toute vitesse.
En moins de deux heures, en moins de temps qu'il n'en faut à Émile pour courir les 20.000 mètres.
On suit tout cela (les courses d'Émile et la roue de l'Histoire) au rythme donné par Échenoz et Émile : c'est passionnant, captivant, haletant.
Sous la plume d'Échenoz, on a l'impression de voir le monde courir à sa perte tandis que le petit bonhomme Émile court sur la panète essayant vainement d'échapper à l'Histoire qui finit par le rattraper lorsque, avec l'âge, Émile s'essouffle et se trouve bien heureux de voir quelques jeunes prendre la relève.
Échenoz est un écrivain français fort discret et fort talentueux. C'est son dernier bouquin et son écriture si caractéristique (une douce ironie, une tendre cocasserie, faussement naïves), est ici parfaitement dosée et maîtrisée.
Impeccable.
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