Le trou dans le mur de Michel Tremblay

Le trou dans le mur de Michel Tremblay

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Dirlandaise, le 1 novembre 2008 (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 69 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 7 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (3 331ème position).
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Du très grand, du fabuleux Michel Tremblay !

Longtemps, j’ai évité de lire Michel Tremblay. Il me faisait peur, ses thèmes me déprimaient au plus haut point et comme je n’ai jamais eu tendance à voir la vie en rose, je ne voulais pas aggraver mon cas en lisant sur la faune décadente de la « Main ». En effet, on ne peut séparer Michel Tremblay de la « Main » (la rue Sainte-Catherine à Montréal) et des gens qui la fréquentent. C’est son univers bien à lui et il n’a jamais eu de cesse dans ses livres de nous la dépeindre. Ce livre ne fait pas exception.

Voici donc l’histoire de François Laplante, un célibataire dans la « jeune soixantaine », qui habite un immense appartement de sept pièces avec vue sur l’un des deux étangs du parc Lafontaine. Là, je vous reconnais Monsieur Tremblay. Car c’est bien vous n’est-ce pas… pas bien difficile à deviner me direz-vous ! Donc, un soir du mois de juin, François Laplante éprouve une envie irrésistible d’aller manger des hot-dogs sur la « Main ». Vous aimez bien ça n’est-ce pas Monsieur Tremblay ? Son repas terminé, en passant devant l’édifice du Monument- National, l’une des plus belles salles de spectacle de Montréal, notre héros voit une petite et très vieille porte qu’il n’avait jamais vue auparavant entre les deux bâtisses du Monument-National et du Montreal Pool Room, comme si un corridor avait été pratiqué entre les deux édifices. Curieux, François Laplante s’interroge sur la présence de ce trou dans le mur que lui seul peut voir. Il ne peut résister à l’envie de pousser cette porte pour voir ce qui se trouve de l’autre côté. Il découvre un escalier de bois très vieux et entend des bruits de conversation et de verres qui s’entrechoquent. Une étrange odeur de mort flotte dans l’air confiné. La raison lui commande de retourner sur le trottoir mais son côté cartésien le pousse à s’enfoncer plus avant dans cette aventure absurde.

Je ne raconterai pas tout le livre. Ce serait un sacrilège car on ne dévoile pas l’histoire d’un chef-d’œuvre à ceux qui ne l’ont pas encore lu. Car ce livre en est un et je vous remercie du fond du cœur Monsieur Tremblay de simplement exister et de m’avoir procuré l’immense bonheur de lire ce roman insensé ! Mais je dois vous avouer que je l’ai trouvé extrêmement dur. Vos personnages sont comme toujours des êtres brisés par la vie, des « nobody » comme vous dites, qui luttent pour leur survie, des humains qui n’en ont que le nom et qui vivent dans la pire déchéance qui existe sur terre. Des drogués, des prostitués, des souteneurs, des travestis, des barmen, des chanteuses de cabaret hantent votre livre, y vivent si on peut appeler ça vivre et y meurent souvent d’une façon extrêmement violente. Oui c’est dur, je crois bien qu’à côté de ça, Hubert Selby Jr., c’est de la dentelle ! Mais votre génie Monsieur Tremblay, c’est que dans cet enfer sur terre, vous réussissez à mettre votre touche d’humour bien personnelle. En effet, vous m’avez fait sourire souvent et même parfois rire. Il n’y a que vous pour réussir ce tour de force de faire sourire quelqu’un que vous trimbalez en enfer ! Votre écriture est tout simplement fabuleuse.

Ceci dit, je peux vous affirmer Monsieur Tremblay que vous êtes un grand écrivain. Un écrivain de génie et mon cœur vous est acquis cette fois. En vous lisant, je suis passée par toute une gamme d’émotions. Tout ce que je souhaite c’est que vous viviez encore de longues années afin de me donner l’occasion de lire d’autres livres de vous qui êtes au sommet de votre art. C’est bien égoïste de ma part je vous l’avoue mais j’en redemande. Puisse Dieu entendre ma prière…

« Quand la Duchesse a remonté la Main comme une reine, avec le couteau planté dans le ventre parce qu’a voulait pas mourir comme une nobody au fond d’un parking, entre deux poubelles pis des aiguilles de dope, pis quand a s’est effouerrée au coin de Saint-Laurent pis Sainte-Catherine, avec les entrailles qui y pendaient entre les mains, plus majestueuse qu’elle l’avait jamais été, personne a remarqué la magnifique marche funèbre qui accompagnait tout ça ? Personne a entendu la plus belle musique qui est jamais sortie de mon harmonica, en l’honneur de la Duchesse, la seule vraie reine que la Main a jamais connue ? On dirait ben que non. »

« Y l’humiliait devant tout le monde, au beau milieu de la Main, y la secouait pour la réveiller quand y venait d’y procurer de quoi s’endormir, on l’a vu la frapper, y tirer les cheveux après y avoir arraché la perruque en pleine rue… et même la menacer — y gardait toujours ça pour la fin, toujours excité de le dire et déterminé à le faire —, d’y régler son compte pour de bon. Quand Tooth-Pick en était arrivé là avec quelqu’un, on savait que la fin était proche, que ça voulait dire que cette personne-là pouvait pus y être utile, qu’elle était dans son chemin et qu’on allait éventuellement la retrouver morte dans quequ’coin du redlight, un autre assassinat inutile, un simple amusement de plus pour un cerveau détraqué, trop fertile pour ne pas être terrifiant. »

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Sombre burlesque

8 étoiles

Critique de Luange (, Inscrite le 25 novembre 2008, 43 ans) - 29 mai 2010

Des personnages loufoques mais meurtris, un mystérieux tueur sanguinaire et un homme à votre écoute... osez entrer dans le trou de ce mur et découvrir cet étrange confessionnal !

Les décisions illusoires

7 étoiles

Critique de Jlc (, Inscrit le 6 décembre 2004, 81 ans) - 3 octobre 2009

Formidable raconteur d’histoires, Michel Tremblay sait captiver ses lecteurs, les intriguer, les émouvoir. « Le trou dans le mur » est un roman polyphonique qui pourtant rejoint les tragédies classiques : unité de lieu, « la Main », ce boulevard un peu glauque qui est alors une île vibrante dans l’océan d’une morne société, celle de Maurice Duplessis, « intolérante et obscurantiste et étouffante » ; unité de temps, les années cinquante ; unité d’action avec cette confession, mot révélateur de l’emprise de l’Eglise catholique sur l’Etat et la vie sociale, confession donc mais imposée à tous les personnages, y compris le tortionnaire, qui cherchent à survivre ou s’en sortir le moins mal possible.
Dans un univers de mort, Tremblay a construit un roman de vie, mais d’une vie décalée. Le lieu choisi est tout à fait symbolique avec ce théâtre, lieu par excellence de l’illusion, comme les rêves que l’on veut prolonger tant ils sont beaucoup plus beaux que le « quotidien si pareil à lui-même ». Dans une vie d’ennui et de solitude, magnifiquement évoquée, l’imagination va sublimer l’ordinaire ce qui fait dire à François Laplante : « J’étais dans un film qui remplaçait la vie…C’est le vrai miracle du cinéma, le faux qu’il faut recréer soi même dans sa tête pour y croire ». Dans ce théâtre d’ombres aux « couleurs sacrifiées », on se promet de ne jamais revenir et pourtant ce ne sont que « décisions illusoires » : on laisse passer la vraie vie et on fuit la réalité.
Mais, car il y a des « mais », j’ai trouvé ce livre très disparate. C’est souvent remarquablement écrit quand, par exemple, Tremblay, en quelques lignes magnifiques (page 142), suggère novembre qui annonce le « déprimant hiver ». En revanche si le style parlé est bien celui à employer pour une confession, fallait-il que tous les personnages, y compris celui qui se dit ancien professeur de français, utilisent ce ton, ce phrasé, ces mots ? Ceci sent l’artifice car en voulant faire réaliste l’auteur altère le ton de son roman qui lui ne l’est pas, réaliste.
Par ailleurs, ne parlant pas le joual, j’aurais aimé que l’éditeur nous guide en annotant certains mots. Si je crois avoir compris ce que sont les guidounes ou les robineux, je cherche encore pourquoi certaines nuits sont ratoureuses.
Ces cinq histoires qui auraient pu être autant de nouvelles sont d’un attrait variable ce qui est le risque de tout recueil de nouvelles. Les aventures de Gloria sont un petit chef-d’œuvre, les autres, sur le même thème, sont sans grandes surprises si ce n’est parfois dans l’horreur. Mais ces confessions sont préférables aux chapitres sur les réflexions de Laplante qui sont souvent ennuyeuses car répétitives avec une exception, le chapitre « Huit et demi » très bel hommage au cinéma et plus particulièrement à celui de Federico Fellini.

Au final, de jolies surprises, la découverte d’un écrivain très intéressant mais un livre un peu décevant car inégal. Ce n’est bien sûr que mon avis.

Changer les choses ?

8 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 25 septembre 2009

Voici sans doute un livre à côté duquel je serais passée si il n'avait été inscrit dans cette sélection du prix CL. Si l'auteur est certes connu, ses livres ne figurent pas de manière visible dans les librairies et bibliothèques que je fréquente et donc, son oeuvre m'échappe parce que peu accessible. Un obstacle aujourd'hui franchi et j'en suis heureuse, car j'ai découvert avec ce livre un roman étrange, mystérieux à souhait, rudement bien écrit et plein de belles idées. Que ce soit pour décrire l'ennui, évoquer les destins en errance ou encore l'attente d'une rédemption, Michel Tremblay utilise les mots avec justesse et apporte beaucoup de sensibilité, tant à l'histoire qu'à ses personnages. Ces êtres ont beau n'être personne, il se dégage de chacun d'eux quelque chose d'extraordinaire et rapidement, le lecteur a envie de leur accorder cette liberté qu'ils attendent depuis si longtemps.
Il y a également une vision intéressante de ce destin qui marque les gens dès leurs premiers jours, comme si tout était tracé quelque part dans un grand livre. Aussi, si possibilité il y a de changer un peu tout cela, ça en deviendrait presque magique.

Une belle découverte !

Errance dans le quartier « redlight » de Montréal.

9 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 26 juillet 2009

Montréal et le Québec seraient-ils de nature à inspirer oniriquement leurs auteurs ? « Le trou dans le mur » quelque part me rappelle « Le matou » d’Yves Beauchemin, qui se déroule lui aussi à Montréal, et qui lui aussi fait appel au surnaturel, à l’onirique, au fantastique pour aider à développer l’action.
Ici, c’est une porte, anodine et moche, que François Laplante, sexagénaire montréalais, découvre – ou croit découvrir – déambulant près du Monument-National, salle de spectacle montréalaise. En fait lui seul voit cette porte et, bien évidemment, François Laplante s’embêtant comme un rat mort dans les rues désertes, pousse cette porte et accède à un monde … un supra-monde ; l’antichambre du paradis, une version ennui puissance dix d’un possible purgatoire.
« Puis je la vis.
Une petite et très vieille porte que je n’avais jamais vue auparavant s’élevait entre le Monument-National l’immeuble qui le séparait du Montreal Pool Room, comme si un corridor avait été pratiqué entre les deux bâtisses, un couloir étroit qui menait peut-être à la cour arrière … Pourtant, juste au-dessus, les deux maisons se touchaient comme à l’habitude. Alors quoi ? Un escalier qui descendait à la cave et que je n’avais jamais vu ? Un monte-charge comme il s’en trouve tant à New York ? Pourtant non, ce n’était pas un trou dans le trottoir comme à New York, mais bien un trou dans le mur. »
Le roman est conçu « à-épisodes », comme des actes distincts d’une pièce de théâtre, marquant chacun un entretien de François Laplante avec un des zombies qui peuplent le lieu. Ces entretiens ayant une fonction ; à l’issue de l’histoire racontée, si François Laplante donne son assentiment (on pourrait parler d’absolution), le personnage concerné accède à l’étage supérieur, il deviendra fantôme au Monument-national, quasiment une consécration.
C’est fort bien écrit. L’ennui qui règne en ce dimanche désert où François Laplante découvre la porte est on ne peut plus réaliste. On a effectivement tous connu des dimanches qui suintent l’ennui mais Michel Tremblay nous l’instille parfaitement. Après, ce sont des morceaux de bravoure de personnages qu’on qualifiera d’interlopes, du quartier « redlight » de « La Main » où prostituées, souteneurs, travestis et autres … interlopes font (faisaient ?) l’actualité. Michel Tremblay semble apprécier ce genre de milieu puisque j’ai souvenir avoir déjà croisé au moins un des personnages ; Jean-le-décollé dans « Le cahier rouge » où l’on évoluait dans le milieu des travestis.

Les « nobodies » à confesse

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 14 février 2009

« Il ne voyait pas la porte ! La porte n’existait que pour moi ! » François Laplante qui erre sur la Main, à Montréal, pour meubler un dimanche après-midi d’ennui, remarque pour la première fois une porte dérobée sur la façade du Monument-National et il ne peut résister à la tentation de l’ouvrir et de descendre l’escalier qu’elle dissimule. Au bas de celui-ci, il trouve un étrange tableau composé de tous les anciens traîne-misère qui ont vécu sur la Main à la grande époque où ce quartier était à la mode. A son approche ce tableau s’anime et les personnages lui demandent d’écouter leur confession car sans celle-ci, ils ne pourront pas obtenir la rémission de leurs péchés et accéder à leur paradis, celui des fantômes du théâtre, à l’étage supérieur. Tous veulent y aller car « en haut c’est l’avenir, la vie qui continue » et quitter ce sous-sol «parce que là se trouve la pire punition de ce maudit endroit on y vieillit comme ailleurs, mais sans espoir de jamais mourir. » Et ainsi, il va recevoir la confession d’une chanteuse ratée, d’un joueur de « ruine babines » miséreux, d’un comédien déchu, d’un travesti lamentable et pathétique et de leur cruel bourreau, celui qui les a expédiés dans ce purgatoire avant d’y être lui-même envoyé.

Avec cet habile procédé littéraire qui mêle fiction et fantastique, Tremblay évoque, à travers ces cinq portraits, le quartier de la Main, à Montréal, à l’époque où la vie y grouillait, animée par tous les marginaux, les « nobodies », de la ville, ceux qui vivaient de tous les trafics possibles y compris de la vente de leurs charmes, ou de celui des autres, que souvent ils n’avaient plus et n’avaient même jamais eus. « Tous des pauvres hères, filles et garçons, qui se sont sauvés de chez eux trop jeunes et qui croient atteindre la liberté en tournant le coin de la Main et de la Catherine, alors que c’est la plupart du temps dans l’esclavage, celui du cul, celui de la drogue, celui de la boisson, qu’y plongent. »

Ce livre évoque aussi avec adresse le problème de la faute, du péché, du pardon et de la rédemption qui passe nécessairement par la confession. Mais ce livre va un peu plus loin et traite aussi d’une certaine fatalité, comme une forme de déterminisme, qui affecte les plus démunis ou ceux qui n’ont pas reçu le petit coup de pouce de la chance au moment nécessaire et qui basculent dans la marge et tout ce qu’elle implique. Ou ceux qui ont voulu provoquer la chance en cherchant une gloire artificielle comme revanche sur la vie.

En tout cas, un excellent livre construit avec une grande habilité sur un très bon rythme et à l’aide d’une langue goûteuse qui fait revivre intensément tout un quartier et toute une époque, on se croirait sur les « Fortifs » à l’époque de Maurice Chevalier, à travers ces cinq scènes qui sont comme cinq petits films en noir et blanc ou en couleur selon qu’on évolue dans la vie réelle ou dans l’autre vie. Et la vie finalement n’est-elle pas un film dont le scénario serait écrit à l’avance et nous échapperait totalement ?

Les belles années

7 étoiles

Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 13 février 2009

Il m’a fallu une partie du livre pour embarquer. La forme ne me plaisait pas. Il ne s’agit pas vraiment d’une histoire, mais d’une succession de personnages qui racontent des histoires – en fait c’est du théâtre. Certains de ces marginaux sont fades, d’autres attachants. Bizarrement, le vilain casseur que tout le monde déteste m’a ému.

Le tout est un hommage senti aux artistes des années soixante du Monument National ainsi que ceux qui gravitaient autour de l’édifice situé en plein cœur du ‘redlight’ montréalais. Du Tremblay ‘classique’ alors que je m’attendais à un peu plus de fantaisie.

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