Les Figures de Robert Alexis

Les Figures de Robert Alexis

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Humanimalites, le 5 septembre 2008 (Inscrit le 5 septembre 2008, 64 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 843ème position).
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Stupéfiant parcours

Et voici Robert Alexis de retour avec « Les Figures ». En France au 18ème siècle, siècle des lumières dont il se sert pour éclairer ce qui n’est qu’obscurité dans la vie des hommes, des femmes. Tour à tour « Les Figures » alternent. La descente en spirale s’accomplit au fur et à mesure des lectures proposées. Exploration du mental, du corps en proie aux frénésies de la folie, cette dénaturation, cette altération de l’être. Remise en cause de la folie ? Est-elle guérissable, ou faut-il la laisser accomplir la révolution intime qui ravage, détruit et qui parfois peut amener une reconstruction de l’être. C’est une danse au bord de l’abîme. Implacable ! La connaissance a un prix. L’exploration de l’inconscient a un prix. Se connaître ne serait-il dû qu’aux fruits dangereux de l’expérience d’une sexualité brutalisée. Briser toute limite.
Robert Alexis écrit avec une plume dure comme le diamant. Un scalpel. D’ailleurs les hommes dans ce roman, sont essentiellement des médecins, des chercheurs, à leurs risques et périls… Tout commence par un mystère, l’auteur confie à sa narratrice l’évocation de celui-ci… Narratrice qui se détourne très vite d’un fiancé trop sage, trop simple pour elle.
L’amour ne serait-il qu’aliéné aux tortures ? Pour ne pas dire conditionné à la torture : celle du corps ; l’âme rivée au corps est-elle prisonnière ?
Ici la sexualité est dominante, la femme est soumise de force, et forcée. Tribut de sa curiosité. « Barbe bleue » n’est pas loin. Celui revisité par le compositeur Bartok. La psychanalyse est sous-jacente. Elle éclosera plus tard sous la férule puritaine du 19éme siècle ; mais nous n’en sommes qu’à l’obscurantisme, à la peur de la Bête. Le Gévaudan… est là ! Le chaos des origines guère loin. Les mœurs sont imprégnées de violence, de terreur.
Robert Alexis ne donne guère de chance au frère de la narratrice, un jeune homme délicat (le frère d’âme du héros rencontré dans « La Robe » semble être là l’espace de quelques pages. Cette fois il meurt).
Dans l’assemblage de ces « Figures » il y a une descente aux enfers. Et l’auteur est un Diable endurci, il mène sont récit avec peut-être moins d’émotion. La maîtrise est maîtresse en ce livre, et si c’est là, un jeu facile, les jeux du roman sont des plus terrifiants. Le médecin le plus humain est renvoyé à l’animalité. Oh ! Il faut découvrir cette aventure et n’en rien dévoiler… Splendide lyrisme, la nature inspire plus d’humanisme que l’humain semble-t-il ! Devenir, ou redevenir une bête ? Retrouver l’identité première ? Powys avait exploré cela dans « l’Apologie des sens » d’une manière plus contemplative avec le moi ichtyosaure et sa sensualité cosmique. Ici la violence se déchaîne, les instincts se libèrent les pulsions les plus extrêmes s’affrontent jusqu'à la perversité.
On ne peut être animal tout à fait, comme on ne peut plus être humain quand on a fait le saut dans l’humanimalité. Si cela est possible : à quel prix ! Ceci me semble être la pensée de l’auteur, mais il serait risqué de l’affirmer, l’auteur est l’explorateur qui dit : « - Explorez avec moi, et voyez par vous-même ensuite, l’expérience pour chacun ne peut donner les même fruits même si chaque être mûrit aux branches d’un même arbre. »
Sans doute l’auteur cherche t-il en habile faiseur philosophe, de quoi piquer la bête qui sommeille dans ses supposés lecteurs ou lectrices. La Bête est belle mais condamnée sous sa plume. Malédiction de la nature de l’homme qui refuse de voir le vrai visage de la bête. Trop « humaine » peut-être… pour apparaître belle à des regards déformés par un stéréotype sociétaire. Alors, ce que l’auteur dénonce est-ce l’intolérance de l’ensemble d’une société castratrice ?
« De tous les corps de la nature, celui qui agit le plus sur l’homme est l’homme. » écrit Mesmer dans son traité sur le magnétisme animal. Robert Alexis en fait dans « Les Figures » une démonstration hallucinante. Démiurge du verbe, il fait de l’inconfort un plaisir exquis distillé savamment, démultipliant délices et cruautés de la sexualité débridée de notre nature humaine !
Nouveau Vésale, il dissèque le corps, l’écorche jusqu'à l’âme. Il damne ses lecteurs, ses lectrices sans pitié aucune. Son phrasé hautain, méthodique fait froid dans le dos. Robert Alexis veut-il nous libérer, ou nous faire perdre la tête ? Nous aliéner à son talent de narrateur c’est certain. Soyons donc fous ou folles le temps de 211 pages. Il serait insensé de manquer cette exploration hors du commun. On en revient… mais attention… chaque page tournée est hantée de monstruosités. Les nôtres ?
« Les Figures » : un pittoresque et stupéfiant parcours !

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Les éditions

  • Les figures [Texte imprimé] Robert Alexis
    de Alexis, Robert
    J. Corti / Domaine français (Paris. 1998)
    ISBN : 9782714309792 ; 12,95 € ; 21/08/2008 ; 211 p. ; Broché
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La folie n'est pas un privilège

9 étoiles

Critique de Camarata (, Inscrite le 13 décembre 2009, 73 ans) - 24 mai 2010

« L’originalité nous satisfait quand elle prolonge d’un segment une ligne auparavant tracée, elle effraie quand son extravagance résiste à tout emboîtement »

Ce petit livre sulfureux se lit facilement mais en grinçant des dents.
Aloyse, une jeune bourgeoise gâtée du 18eme siècle, choisit de s’extraire de son cocon douillet pour marcher sur les traces de son oncle Etienne DE CREYST,l’un des premiers aliénistes de l’époque .
En entrant dans l’hospice de fous tenu par les sœurs hospitalières et en se confiant à Donnadieu médecin chef des lieux et guide spirituel, Aloyse plonge dans un monde inconnu et inquiétant, celui de la folie et d’une sexualité hors limite.
Le style du récit imite celui des siècles passés, précis et riche, il suggère plus qu’il ne décrit les scènes sexuelles, ce qui augmente leur intensité et accentue l’étrangeté, l’aspect monstrueux et sacrilège.
La philosophie qui en résulte est à l’opposé du positivisme de notre époque, l’homme est malheureusement doté d’un esprit démesuré qui produit du génie mais dont le revers est une propension infinie à ce que l’on nomme communément le mal et qui n’est que l’expression de l’infinité des pouvoirs de notre esprit. « La folie n’est pas un privilège, elle est une menace permanente, le double de la prodigieuse intelligence accordée par la nature ».
En s’immergeant dans la folie et sa démesure, Etienne DE CREYST et sa nièce cherchent à explorer cette part négative et sombre de l’esprit humain et ils y parviennent parfaitement.
Un très bon livre, que j’ai fini malgré tout avec soulagement, car la folie et la démesure n’ont rien de lénifiant même à notre époque ,un livre qui pose et repose des questions toujours ouvertes……….

"Les figures" bien plus qu'une lecture.

10 étoiles

Critique de Lefildariane (, Inscrite le 7 septembre 2008, 79 ans) - 7 septembre 2008

Décidément Robert Alexis ne cesse d’explorer la nature humaine aux confins de tous les possibles.

Après « Flowerbone » où il nous interrogeait sur les pérégrinations mystérieuses de la vie, ses recommencements, ses transpositions, les conditionnements d’un perpétuel réapprentissage liés aux lois de l’univers, voici qu’il nous transporte au siècle des lumières.

La médecine s’inquiète : qu’est-ce donc que la folie ? Où s’arrête la normalité ? Où commence la démence ? L’homme peut-il se libérer du cercle vicieux de ses pulsions ? Tel est le propos de Robert Alexis qui mène son roman comme un rituel sans pitié. C’est une bien étrange histoire que découvrira sa narratrice, attirée par un secret familial qui ne lui sera révélé qu’après s’être soumise aux plus insoutenables expériences sexuelles ordonnées par un inquiétant aliéniste.

L’auteur cisèle avec un style d’une beauté formelle indéniable, toutes les horreurs les plus cruelles, les dépravations les plus savantes. Quatre lectures proposées, quatre tableaux des plus surprenants. Il ne faut rien révéler des enchaînements machiavéliques du récit. L’initiation est totale…

Robert Alexis dépeint progressivement le sombre chaos de toutes les aberrations de la folie en un immense hymne à la Nature. Il déploie un splendide lyrisme pour décrire cet écrin parfait pour ses « Figures » qu’il nous exhibe sans pudeur ; un glissement vers le monde animal s’accomplit. Personne encore n’a eu une approche aussi hallucinante de la fameuse Bête du Gévaudan !...

L’auteur semble remettre en cause les notions du bien, du mal. Les rapports de l’homme et de la femme quels sont-ils exactement ?

Subtilement, il nargue ses lecteurs, ses lectrices sans jamais sombrer dans la vulgarité, facilité qu’il écarte, n’usant que d’un phrasé méthodique qui décuple la puissance extraordinaire de ses pernicieuses descriptions de la dépravation qui deviennent saisissantes, fascinantes. Quel étrange regard sur la féminité ! La femme véritable, où est-elle ?

Etranges mœurs des hommes, étranges mœurs de certaines espèces animales… Il n’est que de réfléchir à celle de la hyène femelle : c’est elle qui accule le mâle, décide de l’accouplement, elle qui se fâche et attaque si le mâle se dérobe à sa volonté sexuelle. L’animalité abordée par Robert Alexis n’est certainement pas un prétexte pittoresque. Ce serait réducteur.

Comprendre le mécanisme du comportement passerait-il par la nécessité d’une descente dans la nature première, celle des instincts primordiaux oubliés ? Le germe de la folie ne s’est développé que sur le terreau le plus propice à son éclosion, l’atavisme de la peur.
Quand les grands fléaux dévastateurs disparurent, entre autres celui de la terrible peste, la folie fit son apparition.

« Les figures » bien plus qu’une lecture ! Une sidérante exploration ! Une initiation…

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