Le rêve le plus doux de Doris Lessing
( The sweetest dream)
Catégorie(s) : Littérature => Anglophone
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Le temps qui passe
Autant vous le dire tout de suite : ce livre n’est pas l’autobiographie romancée d’une féministe mais le formidable roman d’un grand écrivain. Bien sûr, comme dans toute œuvre artistique, Doris Lessing met beaucoup d’elle-même, et peut-être plus que dans d’autres récits, moins dans les faits que dans les époques qu’elles restituent admirablement ou dans ses réflexions et sentiments de femme engagée.
Années 60 qu’elle qualifie « d’innocentes » quand nous croyions aux idéologies, à la promesse du futur et quand le sida n’existait pas : Une grande maison dans un beau quartier de Londres où la propriétaire, Julia Lennox, abrite sa belle fille, Frances, et ses deux petits fils, Andrew et Colin, qu’un père, Johnny Lennox, inconséquent mais beau parleur du Parti Communiste a abandonnés. Frances vit dans des conditions précaires mais accueille bien volontiers autour de la grande table de la cuisine une bande de jeunes gens en rupture de ban que ses enfants ont ramenés. Repas et soirées où on refait le monde, ce « rêve le plus doux », auxquels Johnny s’invite souvent, ravi de fasciner par son charisme ces adolescents excessifs, mal dans leur peau et épris d’un autre chose qu’ils ne savent pas encore bien définir (mais le sauront-ils jamais ?). Charismatique mais surtout mufle, Johnny va demander à son ex femme d’accueillir, Tilly, la fille anorexique de sa nouvelle compagne qui, elle, est hystérique et totalement égocentrique. Frances cède avec l’assentiment de ses enfants.
Julia, Frances et Sylvia - nouveau nom que prend Tilly, en signe de rupture et de renaissance- ou trois générations mais surtout trois superbes portraits de femmes magnifiques, chacune illustrant son époque. Julia, « rigide et critique » va se prendre d’affection et sauver Sylvia tout en se rapprochant de Frances, « bonne fille » qu’elle va aider à assumer son rôle de mère auprès de tous ces enfants désorientés. Frances est le dévouement même. Elle a partagé les idées de Johnny et si elle ne milite plus, son action, sa tendresse, sa surveillance aussi sont autrement plus efficaces que les sermons de l’autre pantin qui n’a rien compris et dont Andrew dira à sa mère : « Il est bête, tout simplement bête ».
Années 70, « celles du mauvais goût » : ces adolescents ont grandi « et il en est qui partent, jadis des enfants affectueux ». Bien sûr ils promettent de revenir mais on sait bien que plus rien ne sera comme avant. Sylvia entreprend des études de médecine, Julia vieillit trop vite, « brusquement assaillie par la méchanceté humaine ». Frances essaie de s’offrir à un autre amour avec un homme, un de ceux sur qui on peut compter, « apprenant lentement à trouver le bonheur tout naturel ». Colin est le dernier qui reste, trop idéaliste pour ne pas souffrir, sarcastique, d’un monde si moche. Et Johnny pérore toujours, porteur de la fausse bonne parole dans des cercles nouveaux, ceux des anciens colonisés essentiellement africains.
Années 80, celles de « la froide cupidité » : le roman change de ton quand le personnage principal devient l’Afrique où, à l’inverse de tant d’intellectuels arrogants et inutiles, Sylvia va essayer de trouver des petites solutions très concrètes pour aider un petit village africain abandonné à la sécheresse et au sida. Ce « rêve le plus doux » de changer le monde est pour Sylvia une sorte d’obsession et elle va construire quand les autres ne font qu’en parler et en parler encore.
Doris Lessing est si douée que ses histoires vous révoltent (dans le cas de Johnny ou de Rose), vous attendrissent (Wilhelm et Julia), vous serrent le cœur (les malheurs de Colin), vous mettent en colère (la trop grande gentillesse de Francès), vous indignent (l’arrogance de bien des Blancs, le cynisme des dirigeants de certaines organisations internationales et la corruption conjuguée avec l’incompétence de trop de dirigeants noirs), vous émerveillent (le courage et l’abnégation de Sylvia) ou vous enchantent (un week-end amoureux dans la campagne anglaise est un petit chef d’œuvre d’émotion, de justesse et de concision pudique). Tout ça parce qu’on marche, on y croit, on est pris dans les filets de la romancière. C’est un livre où on pleure beaucoup et on est souvent à fleur de cœur. C’est aussi un texte qui permet à l’auteur de dire sans fioriture aucune ce qu’elle pense. Un temps compagne de route du Parti Communiste britannique, elle s’insurge qu’il n’ait pas changé après tant de révélations sur la dictature soviétique. Longtemps considérée comme féministe radicale, elle s’amuse de ses héritières « complaisantes » (il faut lire le passage où une jeune femme fait une crise de nerfs en apprenant que la malaria est transmise par le moustique femelle et non le mâle). Blanche ayant longtemps vécu en Afrique, elle s’insurge avec un humour corrosif contre ces organisations internationales qui ont l’arrogance du discours et l’incapacité de l’écoute.
J’ai été captivé par ce gros roman complété de notes en bas de page de la traductrice qui resituent ce dont parle Doris Lessing. Et je ne peux que reprendre ce que disait il y a un an l’Académie du Nobel voyant en elle une « conteuse épique de l’expérience féminine qui avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire, scrute une civilisation divisée ». Et aussi avec beaucoup d’amour.
Un très beau roman sur le temps qui passe.
Les éditions
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Le rêve le plus doux [Texte imprimé], roman Doris Lessing traduit de l'anglais par Isabelle D. Philippe
de Lessing, Doris Philippe, Isabelle D. (Traducteur)
J'ai lu / J'ai lu
ISBN : 9782290008805 ; 8,20 € ; 28/02/2008 ; 635 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (2)
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Une très belle oeuvre !
Critique de DE GOUGE (Nantes, Inscrite le 30 septembre 2011, 68 ans) - 20 octobre 2012
La gentry, une mère courage et l'idéologie communiste pure et dure se côtoient : rencontre improbable, complexe, incarnée par deux femmes (Bru et belle-mère que tout sépare) étonnantes, fortes et fragiles et oh combien attachantes !
Elles hébergent toute la "troupe" : enfants/ petits enfants et leurs ami(e)s adolescents pour le moins égocentristes malgré les difficultés, les incompréhensions réciproques et la complexité des rapports avec l'ex-mari/fils particulièrement insupportable et destructeur.
Puis, les oisillons prennent leur envol, meurtris, désabusés et le plus souvent cyniques dans le reniement de leurs idéologies.
Les personnages racontés par Doris Lessing, sont vivants et nous font vibrer : tendresse, colère, tristesse, tout un panel d'émotions nous est proposé et on ne peut qu'adhérer et se révolter contre la sottise, le laisser-faire et la cruauté décrite au quotidien, là où chacun tente d'exister.
Le personnage de Sylvia, médecin, qui part plusieurs années en Afrique et se bat face à la pénurie est à la fois attendrissant et exaspérant, mais elle au moins reste honnête.
Une belle histoire qui a mérité son Nobel.
D'accord avec Tanneguy, la traduction est très moyenne .....
Un rêve qui a été fatal à tant d'êtres humains...
Critique de Tanneguy (Paris, Inscrit le 21 septembre 2006, 85 ans) - 16 août 2009
Comment une telle imposture (le communisme) a-t-elle pu avoir un tel succès dans des milieux pourtant "bien informés" ? Chacun pourra se faire sa propre opinion à partir de faits rapportés dans le cours du roman.
Pour ma part, j'ai été passionné par la fine analyse des milieux intellectuels anglais aux alentours des années 50-60. J'ai été également très ému par la dernière partie du livre racontant la vie en Afrique de l'une des rescapées de la maison de Londres : une vision précise et mesurée des problèmes de ce continent, misère, corruption, massacres, racisme, sida...
Le prix Nobel 2007 a été attribué à une romancière hors pair ! Dommage que la traduction ne soit pas toujours à la hauteur ( connaissez-vous la "correction politique" ?).
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