Nuit ouverte de Clémence Boulouque

Nuit ouverte de Clémence Boulouque

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Loras, le 26 août 2008 (Inscrite le 13 juin 2007, 37 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (23 207ème position).
Visites : 2 913 

Découvrir la Shoah autrement

Le dernier livre de Clémence Boulouque nécessite de la concentration et une lecture au calme. Il faudrait presque le lire d'un trait pour ne pas perdre le fil de l'histoire, ne pas confondre les personnages vivant à des années d'écart et qui s'entrecroisent d'un chapitre à l'autre.

Bien écrit, symétrique, dur mais surtout très touchant. Une autre vision de la Shoah racontée sous un angle peu commun, celui de l'histoire de Regina Jonas, la première femme rabbine.
Sa vie et ses choix découverts par Elise, une jeune comédienne qui s'est vu attribuer le rôle de ce personnage historique pour un long métrage et qui veut s'imprégner au maximum de son vécu pour jouer au mieux son rôle.

Clémence nous entraîne donc sur les pas de cette femme-courage qu'elle a elle-même découvert par hasard et dont les ressemblances (notamment les dates) avec le père de l'auteur sont troublantes.

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Mémoire

9 étoiles

Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 20 novembre 2013

Elise, comédienne célèbre, est une femme lucide sur le choix de son métier ("Rêver de gloire est rêver d'équilibres instables et vouloir qu'ils ne le soient pas" ) .
Et on lui propose d'interpréter le rôle de Regina Jonas , première femme rabbin en 1935, morte à Auschwitz, dont l'existence a été découverte en 1991 dans les archives de Berlin Est.
Quelque temps auparavant, elle avait été contactée par un membre de sa famille, son grand-oncle, quelque peu occulté de l'histoire familiale . Les côtés obscurs de cette histoire, il va les lui révéler. Brièvement, la collaboration active de cette famille de producteurs de champagne pendant l'occupation.
Dans la première partie de ce roman Clémence Boulouque fait alterner, au fil des chapitres, les souvenirs du grand oncle et le bref récit de la vie de Regina Jonas.

La deuxième partie est centrée sur l'actrice, qui veut absolument ce rôle:

Je n'avais rien pour arracher ce rôle, mais je ne voulais le laisser à personne. On les expie comme on peut, les culpabilités ....

Le thème de la culpabilité familiale, que l'on trouvait déjà bien sûr dans le beau récit," La fille du juge", du suicide de son père.

C'est un texte très poignant, très réfléchi, et un beau livre.

Un extrait de la fin:

Je ne me protège plus des souvenirs qui sont les miens, de ceux qui ne le sont pas tout à fait, ou pas du tout. Je les écris, en hommage à Regina, parce qu'elle a porté haut la vie, à grand coeur.
Se retourner sur un être juste fait de vous juste un être. Juste un être fragile, digne de tristesse, qui ne vaincra jamais sa peur du noir, qui s'écorche en aimant, un enfant de lâches ou d'imbéciles qui tente de ne pas leur ressembler, et qui est capable de faire du bien quand cela ne rapporte rien. La paume d'une main sur un front brûlant, voilà ce qu'offrent ces justes.
Ils ne guérissent rien, mais soulagent le monde en braises.
Avoir le souvenir de l'un d'eux, auquel se raccrocher. C'est peut-être ce qui a manqué à André: il sait qu'ils existent, mais ne parle, même en rêve, avec aucun.
En comprenant cette femme, j'ai fait la paix avec les miens, mes méprisables.
J'ai compris que Regina était aussi une de mes ancêtres: dans nos filiations, ce n'est pas toujours de sang qu'il s'agit. Pour ne pas condamner ceux qui ne peuvent avoir de descendance, il est dit dans le Talmud que les élèves sont comme des enfants. J'ai appris d'elle, beaucoup.
Sans doute faut-il, pour aimer la vie, être tendre avec ses morts. Car les morts nous ouvrent le coeur.
....
Il me faut parler d'elle, confier qu'une lumière en rai, est venue claquer à mes tempes. Et davantage encore, car un rai, souvent, s'évanouit dans la poussière, la poussière qui mange même le soleil et les astres, tous les astres.
Le monde a brulé ses paupières, à elle, Regina Jonas. Ses yeux ne peuvent plus se fermer. Elle me regarde, sans doute. Nous sommes observés, à la dérobée, par nos défunts, ceux de notre sang et ceux de nos choix. Les morts dont nous nous souvenons, même un instant, ne nous quittent plus. Prononcer leur nom, c'est leur offrir notre bras. Se souvenir d'un juste, et sentir son souffle.
Elle m'accompagne, c'est tout.
Regina Jonas.
Je l'écris.
Elle est là.
Et je prie. Moi, qui ne crois pas.


Et le livre s'achève par cette phrase de Paul Celan :
"Et la nuit s'est ouverte et elle est restée déclose."

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