Le sec et l'humide : Une brève incursion en territoire fasciste de Jonathan Littell

Le sec et l'humide : Une brève incursion en territoire fasciste de Jonathan Littell

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par Ciceron, le 3 juillet 2008 (Toulouse, Inscrit le 21 août 2007, 75 ans)
La note : 6 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 012ème position).
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Le fasciste tranche et oppose, on le savait déjà.

Ayant laissé de côté le pavé Goncourt de 900 pages sur l’horreur la plus absolue de tous les temps, et trouvant équivoque que certains s’y soient précipités, cette incursion en territoire fasciste de 140 pages m’a semblé moins harassante.

Très belle édition L’arbalète Gallimard (ça ne s’invente pas), petit format, jacquette glacée, iconographie riche, effet précieux, en contradiction avec le sujet et la couverture choc qui illustre à merveille l’aphorisme du président Mao : “Une image vaut mille mots“.

Hiver 1941-42, il fait –40 sur cette photo. Le sujet est écrivain, poète, journalite, ex député, sur un des fronts les plus durs le l’histoire militaire. Malraux, Romain Gary et BHL sont battus.

Pour son profil psycho-fasciste, Littell a choisi Léon Degrelle et son livre “La campagne de Russie“ écrit en 1949. Le trait fort de son argumentation est l’opposition “le rigide et l’informe, le dur et le mou, l’immobile et le grouillant, le raide et le flasque, le dressé et le couché, le propre et le sale, le cuit et le cru, le repu et l’affamé, le mat et le luisant, et ainsi de suite.

Mais faut-il s’étonner d’un profil aussi tranché, qui est Degrelle ? il serait aujourd’hui jugé “haut potentiel“. Dès l’âge de 6 ans, il est levé à 6h pour servir la première messe, ses parents et grands-parents conversent en latin. Journaliste dès ses 15 ans, rédacteur en chef de l’Avant Garde à 21, sa spécialité est de réagir le jour même à l’événement, et au moyen de 3 litres de café, rédiger dans la nuit 35 feuillets imprimés le lendemain !!!!

Passons sur le fait qu’il atteint le grade de lieutenant-colonel en janvier 45, moins de 4 ans après son engagement comme simple mitrailleur.

L’auteur a choisi l’humide, le facteur clé de la défaite selon Degrelle: “Il est encore possible de triompher du froid, de progresser par quarante degrés au dessous de zéro. La boue russe , elle est sûre de sa domination. Rien n’en vient à bout, ni l’homme, ni la matière.“ Boue fétide, limon putride, cloaque prodigieux, Degrelle, avec son imagination d’écrivain et son style enflammé, la qualifie à l'envie tout au long de son livre.

Ainsi, l’humide serait la hantise du fasciste. Obsédé par la boue du front russe, rien d’étonnant, mais le fasciste d’El-Alamein, mort de soif, avait peut-être une autre obcession. Cela dit, le fasciste sec s’impose, mais le révolutionnaire sec également, voir Ho-Chi-Mihn et le Che.

Cette étude, si instructive soit-elle, indispose malgré tout : dans son appartement douillet, Littell analyse, dissèque et théorise sur un texte né sous les chenilles des chars russes et dans un contexte effroyable.

Elle donne envie de lire le livre de Degrelle. Comme les livres de guerre de Junger, de Kageneck et de Remarque.

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Les éditions

  • Le sec et l'humide [Texte imprimé], une brève incursion en territoire fasciste Jonathan Littell postface de Klaus Theweleit traduite de l'allemand par Daniel Mirsky
    de Littell, Jonathan Theweleit, Klaus (Postface) Mirsky, Daniel (Traducteur)
    Gallimard / L'Arbalète (Paris)
    ISBN : 9782070119455 ; 15,75 € ; 10/04/2008 ; 140 p. ; Broché
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Intéressante analyse du discours facile

7 étoiles

Critique de Fa (La Louvière, Inscrit le 9 décembre 2004, 48 ans) - 21 avril 2009

Rédigé concommitamment aux célèbres "Bienveillantes", cet ouvrage vise à disséquer l'inconscient du fasciste, notamment dans le discours où il oppose le sec et l'humide, le mou et le rigide, le blanc et le rouge. En découle un délire misogyne et mortifère.

L'idée est intéressante, mais ce qui m'a frappé également, c'est l'obstination qu'a eue Legrelle de s'enfermer pendant des décennies dans un schéma de pensée qu'il n'abandonnera jamais.
Le personnage est tellement doué pour le mensonge qu'il en est réduit à se mentir à lui même et à créer de toute pièces sa propre "vérité".

La langue du fascisme

10 étoiles

Critique de Granada (Bruxelles, Inscrit le 26 avril 2008, 59 ans) - 18 août 2008

On le sait, Jonathan Littel n’a pas peur des projets ambitieux. Il se livre cette fois à une lecture de « La Campagne de Russie », de Léon Degrelle, restant ainsi dans l’ambiance des «Bienveillantes ». Mais il prend Degrelle par un biais auquel on ne s’attend pas.
En fait, la question posée est la suivante : Qu’est-ce qu’un fasciste ? Au-delà, bien sûr, de l’aspect idéologique, Littel se demande comment on peut en arriver là, humainement parlant. Degrelle est son matériau d’étude et Littel base sa lecture sur l’ouvrage d’un historien allemand, Klaus Theweleit, auteur d’une étude dans les années 70 publiée sous le titre de « Mannerphantasien » (Fantasmes mâles, le livre n’est pas traduit en français). L’approche inédite y consistait à analyser des romans, mémoires et journaux rédigés par des nazis pour déterminer, à travers le langage employé, la structure mentale du fasciste, et spécialement dans ses relations avec les femmes.
Littel retrouve chez Degrelle les oppositions entre le dur et le mou, le sec et l’humide. Le dur et le sec sont associés à la virilité, tandis que le dur et le mou se réfèrent à la féminité. Si cela peut sembler audacieux, la démonstration de Littel est convaincante, il cite de nombreux extraits de Degrelle, le replace dans son contexte et le démystifie complètement en s’attachant avant tout à son langage. Peu à peu, le fasciste se révèle. Sa haine la féminité le conduit, en compensation, à en remettre des tonnes dans les manifestations de virilité, jusqu’au délire meurtrier justifié par une idéologie mortifère.
Difficile de résumer en quelques lignes la richesse et la complexité du propos de Littel. Surtout, il revient sur un sinistre personnage en le démythifiant complètement, et il prouve au passage une bonne connaissance de ce qu’il appelle lui-même les « portes sans cesse démultipliées de la belgitude », notamment en revenant sur les relations de Degrelle et Hergé.
Enfin, l’édition est enrichie de nombreuses illustrations qui font écho à la réflexion.

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