Mémoires de Jef Kazak de Jean d'Osta
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Un Bruxellois historique
J’ai eu, il y a bien des années, le privilège de travailler avec Jean d’Osta. J’étais alors jeune stagiaire et lui, éditorialiste célébré. Editorialiste ? A vrai dire, il commettait tous les jours (dimanches et fêtes exceptés) un rez-de-chaussée intitulé « Les pieds dans le plat » et signé « Jean d’O » dans le journal « Le Peuple », à l’époque bénie où ce quotidien était écrit, composé, imprimé et publié rue des Sables. A Bruxelles. La manière dont d’Osta travaillait avait quelque chose de fascinant. Il faisait une apparition dans la rédaction, saluait tout le monde et s’asseyait à sa table de travail. Il prenait alors une feuille de papier calibré et se mettait à écrire. Puis, sans crier gare, il se levait et disparaissait. Je n’ai su qu’après qu’il allait « se recueillir » (sic) dans une pâtisserie où, rituellement, il avalait deux baulus et un café. Puis, il revenait à la rédaction, relisait son papier, y apportait les modifications appropriées et se rendait lui-même à l’atelier, profitant de l’occasion pour tailler une bavette avec les ouvriers typographes et assister « en direct » à la frappe de son texte sur la linotype. Il s’assurait ainsi de la bonne fin de son article qu’il n’avait donc pas besoin de relire sur morasse. Son devoir quotidien ainsi rempli, il revenait à la rédaction, saluait bien poliment tout le monde et disparaissait définitivement. Personne ne lisait jamais son article, pas même le redac’chef, avant que le journal sorte de presse. Il jouissait donc d’une liberté absolue. Mais, en revanche, tout le monde se précipitait sur le journal encore humide pour lire ses « Pieds dans le plat ». Pour un jeune journaliste comme moi, ce comportement avait quelque chose de surréaliste. Était-ce là le génie ?
Quand il ne distillait pas ses articles, Jean d’Osta archivait… Il était à la tête de la documentation la plus riche – et la plus folle – sur tout ce qui concernait Bruxelles, de près ou de loin. Cette invraisemblable capharnaüm attendait sagement le jour de la retraite de son propriétaire. C’est en effet lorsque la retraite sonna pour lui que d’Osta se mit à publier avec frénésie. Des carnets personnels, dans le style de ses « Pieds dans le plat », des souvenirs et un irremplaçable « Dictionnaire historique et anecdotique des rues de Bruxelles » (Paul Legrain éditeur) qui démontre, s’il en était besoin, l’incroyable érudition de son auteur.
Jef Kazak est le double de Jean d’Osta. Sauf que c’est son contraire… Autant d’Osta était sobre, autant Jef est amateur de blonde pétillante. Autant d’Osta était un bourreau de travail, malgré les apparences, autant Kazak est nonchalant. Ce n’est pas que Jef n’ait pas travaillé. Il a même beaucoup travaillé. « Façadeklacher » par vocation, chômeur par obligation, il a exercé tous les métiers : journaliste (et même grand reporter : il a produit un reportage sur la rue Haute qui a suscité l’admiration générale), critique d’art, coureur cycliste et même professeur de belles manières. Quand on lui demande sa profession, sa réponse est claire : « van alles ne betje », un peu de tout.
C’est donc un expert patenté qui nous donne dans ses « Mémoires » son avis sur un peu tout, comme chaque semaine – les Bruxellois s’en souviennent – il le donnait dans ses « Carnets » que publiait le toute-boîte « Vlan ».
Georges Lebouc, qui présente ce livre, est, lui aussi, un spécialiste en « flauwskes ». On lui doit une méthode de bruxellois en 70 leçons qui vaut, à elle seule, un tour avec le tram 81 (tant qu’il existe). Il était donc parfaitement indiqué de lui confier la présentation de ces « Mémoires ». Comme on se doute, chez Racine, que tout le monde n’a pas suivi les cours de bruxellois de Lebouc, on lui a demandé de rédiger un petit lexique qui prend place à la fin du volume et qui permet à chacun de comprendre parfaitement ce que Kazak raconte.
On attend avec impatience le moment où un éditeur éclairé publiera les « Pieds dans le plat » et les « Carnets de Jef Kazak » dans une édition critique et annotée. La Pléiade, peut-être.
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