L'Exil ou la Tombe de Tchichellé Tchivéla

L'Exil ou la Tombe de Tchichellé Tchivéla

Catégorie(s) : Littérature => Africaine

Critiqué par Ghislaine Sathoud, le 29 mai 2008 (Inscrite le 28 mai 2008, 55 ans)
La note : 9 étoiles
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Quand le tonnerre gronde… L’exil ou la Tombe de Tchichellé Tchivéla

Écoutons donc attentivement les instructions du guide :
« Oui j’évoque l’Afrique actuelle pour suggérer l’Afrique de demain, du moins celle que mon peuple porte en gestation et dont j’ai la faiblesse de croire qu’elle naîtra. Je témoigne donc pour que demain soit une longue saison de soleil en Afrique. Et à cet égard, il serait juste de considérer mes nouvelles comme des grondements de tonnerre dans la case des consciences assoupies » (1)

Ainsi s’exprime Tchichellé Tchivéla dans son recueil de nouvelles L’exil ou la Tombe publié aux Éditions Présence Africaine en 1986. Un constat étonnant se dégage : la frontière entre la fiction et la réalité est dissimulée par l’orage qui désoriente complètement le lecteur.

Quoi qu’il en soit, la prise de contact préliminaire entre l’auteur et le lecteur, ce « starting-block » pour reprendre l’expression de Tchichellé Tchivéla, est une illustration de sa détermination de « réveiller les consciences ». L’auteur précise que les personnages et les lieux relèvent de l’imagination…

Au fait, cette glose n’est-elle pas une redondance ? Un recueil de nouvelles est bel
et bien une œuvre fictive ! Pourquoi alors l’auteur s’attarde-t-il sur ce détail ? Ce message peut, à juste titre, éveiller des interrogations chez le lecteur. En tout cas, j’y ai pensé…

En revanche, après la lecture de l’ouvrage, les réponses sont rassurantes : définitivement l’auteur ne radote pas du tout ! Tout compte fait, la précision est judicieuse. En effet, la ressemblance avec la réalité est telle que le lecteur peut arriver malencontreusement à des déductions hâtives, voire même à renommer les personnages et transposer les lieux…

Bref, le lecteur se retrouve carrément dans un branle-bas : Tchichellé Tchivéla reproduit
avec agilité un univers qui ressemble à notre monde, on a même l’impression d’apercevoir des silhouettes connues, des voisins … Autant les « tortionnaires » se mirent dans les personnages, autant les victimes réalisent que l’auteur s’est attribué la fonction de porte-parole : il dit tout haut ce que certains – et ils sont nombreux – marmonnent tout bas. Le tonnerre gonde pour jeter l’anathème aux injustices.

Gronde, gronde, tonnerre, dis-nous tout… nous voulons en savoir davantage…

L’auteur évoque le pouvoir… le pouvoir et surtout l’influence du pouvoir sur le peuple. Des actes ignobles sont posés ; ainsi brimades et arrestations arbitraires sont des tristes attestations de la « puissance » des commanditaires de ces violations des droits humains. D’ailleurs autre méthode cruelle pour exhiber le pouvoir est le « détournement des épouses », cette pratique répandue dans bien des pays devient le moyen de « séduction » par excellence de ceux qui bafouent les lois sans crainte des représailles.
Et comment justement un mari peut-il garder la tête haute et refuser l’humiliation ?

La réaction suivante confirme un ras-le-bol :

« Monsieur l’obsédé sexuel,
L’intérêt que vous portez à ma femme me touche et m’honore beaucoup. Cependant, elle m’appartient, à moi seul, et ce n’est pas à un goujat de votre espèce que je consentirais à la céder. Laissez-là donc tranquille. Si vous n’êtes pas content, venez chez moi ce soir et nous nous expliquerons à l’africaine.
Un mari digne de nom. » (2)

Sauf que pour se mettre à l’abri des ennuis, nombreux s’abstiennent d’engager un bras de fer, ils subissent simplement : comme dans la jungle quoi ! Les plus forts éreintent les plus faibles ; ils usent et abusent de ce « privilège ». Et dans cette jungle, tous les coups sont permis, on s’attire des ennuis pour tout et pour rien. Par exemple, on peut subir des châtiments de la part de ceux qui s’autoproclament d’office « intouchables » pour se faire « enlever » une épouse ! Et les menaces peuvent s’étendre au niveau professionnel ; on rapporte même des menaces de mort…
Alors certains optent pour l’exil, l’exil pour éviter la tombe. La tombe ici représente toutes ces nuisances qui tyrannisent la population, c’est la difficulté de vivre librement et sereinement. Or l’exil cause également des tourments :

« Ö Pointe-Noire, berceau de mon cordon ombilical, musée de mon enfance ensoleillée, pays défiguré par les pluies qui passent, quand donc te reverrai-je ? Depuis longtemps j’ai quitté ton sol, me reconnaîtras-tu à mon retour ? » (3)

Ces pensées bouleversent à maintes reprises les migrants. En fait, toutes les occasions sont d’excellentes béquilles pour replonger dans la nostalgie du pays d’origine.

Gronde, gronde, tonnerre, dis-nous tout… nous voulons en savoir davantage…


Une chose est sûre, ce recueil de nouvelles traduit convenablement les mésaventures de nombreux innocents dans les pays où les droits humains sont bafoués. Assurément, ces grondements de tonnerre ne tombent pas dans les oreilles des sourds. Ils donnent des frissons et laissent des stigmates. Alors, nous prenons acte…
Voici un ouvrage « visionnaire » qu’il faut absolument lire.



À propos de l'auteur
Tchichellé Tchivéla est docteur en médecine et colonel de l'armée congolaise. Né à Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville, il a publié plusieurs ouvrages. Chevalier de la Légion d’honneur française, il a été tour à tour ministre du Tourisme et préfet du Kouilou, au Congo.

1. L’exil ou la tombe, Présence Africaine, Paris, 1986, p. 11.
2. p. 108.
3. p. 192.

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