La Maison des Rencontres de Martin Amis

La Maison des Rencontres de Martin Amis
( House of meetings)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Jlc, le 23 mai 2008 (Inscrit le 6 décembre 2004, 81 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (41 971ème position).
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La glace et le feu

Le premier septembre 2004, jour où l’école n°1 de Beslan, en Ossétie du Nord, est assiégée par des terroristes, un vieux monsieur de 86 ans, remonte le fleuve sibérien Ienisseï pour revenir au goulag où il fut déporté de 1946 à 1957. Il occupe le temps vide de la croisière en écrivant le récit de sa vie à la fille de sa dernière épouse qui, parce qu’elle est noire, « sait ce que ça signifie d’être esclave ». Son histoire, il la raconte en anglais car ce « serait pire en russe. »
20 mars 1946 : un jeune colosse de 25 ans qui a combattu les fascistes, violé bien des allemandes, sans aucun sentiment de culpabilité (« tout le monde le faisait »), qui se croit bon communiste, est désespérément amoureux de Zoya, jeune juive, ostentatoire et libre, un « esprit fort », une « cible désignée pour la dénonciation et l’arrestation ». Zoya c’est le feu de la vie. Ce n’est pas elle qui est arrêtée mais lui et il est condamné à 10 ans de goulag en Sibérie, ce monde de violence glacée où il va se battre contre « l’aliénation de l’amertume ».
Février 1948 : son jeune frère, Lev, est lui aussi déporté dans le même camp où la distribution du pouvoir est fonction de la violence dont on est capable. « Cette violence est dirigée avec sauvagerie, une dégradation radicale » avec pour seule loi : « pour toi, rien ; de toi, tout ». Lev est dans la catégorie la plus effroyable, même aidé par son frère qui est aussi fort qu’il est chétif, extraverti qu’il est renfermé, désabusé qu’il est idéaliste. Et d’autant plus désabusé que Lev lui a appris avoir épousé Zoya. « A cet instant, ma fascination désespérée devint un amour fulminant » écrit le narrateur, partagé entre l’amour fraternel et l’obsession de cette femme qui l’a rejeté. Dés lors trois amours se rejoignent en « une histoire d’amour de forme triangulaire et le triangle n’est pas équilatéral », il est inégal.
Mars 1953 : la « présence outrageuse d’immensité » de Staline, ce « millionnaire en cadavres » a disparu et une « absence outrageuse d’immensité » l’a remplacée. Le régime s’adoucit très partiellement, le camp devient mixte et on autorise les visites conjugales pour lesquelles on crée la Maison des Rencontres, chambre unique avec un lit étroit.
31 juillet 1956 : Lev est autorisé à retrouver pour une nuit Zoya qu’il n’a vue depuis huit ans. Son frère, crevant de jalousie, ne saura pas avant longtemps ce qui s’est vraiment passé dans cette nuit « cruelle et cruciale ». Lev lui a seulement dit être passé « de l’autre côté, dans l’autre moitié de [sa] vie ». Il vivra très mal les jours suivants, peut-être parce qu’il s’est « réapprovisionné en souvenirs que la répétition mentale avait épuisés » et cette maison des rencontres n’est plus que la maison des séparations. « Il y avait une rencontre, et il y avait un départ, et puis les années de séparation reprenaient ».
1957 : les deux frères sont libérés, vivent chacun de leur côté, se retrouvant de temps à autre. Lev survit difficilement quand son frère réussit et s’achète un « certificat de réhabilitation ». Avant de mourir, Lev écrit une lettre posthume à son frère que celui-ci n’ouvrira pas avant 22 ans, tant il en craint la vérité.

Ce roman de Martin Amis est très bien écrit, même s’il est imparfait. Le style est très élégant avec des notations très justes. Ce livre, dont la géographie est un goulag, est très noir, noir car « les accablés ont besoin de noir. La vie est lumière et leur est insupportable. » Ce choix du thème du goulag qui peut surprendre de la part d’un écrivain typiquement anglais se comprend mieux quand on sait que pour lui « Le problème chez l’homme, c’est la violence ». Sa description du goulag, « cette ferme des animaux », est effroyable mais elle est comme extérieure, presque glacée, comme adaptée au climat sibérien. On sent une sorte de retenue d’Amis dans sa description de l’horreur, un manque de folie peut-être.
En revanche, il montre très bien qu’à l’isolement physique succède un autre isolement, moral celui-là. On ne revient jamais vraiment de ce genre d’endroit, on ne se remet jamais vraiment de ce genre d’horreur. « Ils ont fait plus que nous priver de notre jeunesse. Ils ont également fait disparaître les hommes que nous allions être. » Plus qu’un crime contre l’humanité, le stalinisme et ses sbires ont commis une crime de déshumanisation. Dans cette barbarie, parler d’amour pouvait paraître une gageure. Mais Martin Amis, en romancier doué, sait parfaitement tenir son récit qui est au fond aussi désespéré que la géographie et le temps où il le situe. Parfois un peu confus, il manque à ce roman la folie, l’urgence, l’âme des grands romans russes de Dostoïevski ou Soljenitsyne.
Pour cet écrivain foncièrement pessimiste, le monde et notamment la Russie, même après la fin du communisme totalitaire, restent marqués par la violence la plus sauvage comme le montre la prise d’otages de l’école de Beslan et le carnage qui s’en suivit. Les hommes « se vouent à l’invention de la souffrance » et si le goulag c’est l’enfer, « ce qui est drôle, c’est que c’est exactement comme partout ailleurs ».

Dans l’univers de Martin Amis, ce n’est pas le feu qui fait fondre la glace, c’est la glace qui éteint le feu.

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Les éditions

  • La maison des rencontres [Texte imprimé], roman Martin Amis traduit de l'anglais par Bernard Hoepffner avec la collaboration de Catherine Goffaux
    de Amis, Martin Hoepffner, Bernard (Traducteur) Goffaux, Catherine (Traducteur)
    Gallimard / Du monde entier (Paris).
    ISBN : 9782070781997 ; 2,97 € ; 17/04/2008 ; 285 p. ; Broché
  • La maison des rencontres [Texte imprimé] Martin Amis traduit de l'anglais par Bernard Hoepffner avec la collaboration de Catherine Goffaux
    de Amis, Martin Hoepffner, Bernard (Traducteur)
    Gallimard / Folio
    ISBN : 9782070341672 ; 7,90 € ; 05/11/2009 ; 304 p. ; Poche
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Les livres liés

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Difficile d'aller au bout de cette rencontre

4 étoiles

Critique de Carmen (, Inscrite le 15 mai 2011, 78 ans) - 25 mai 2011

Martin Amis évoque l'horreur et l'aberration du système concentrationnaire soviétique à travers les lettres du narrateur. Un vieux russe raconte sa vie à sa fille en la priant de prendre la peine de lire sa biographie jusqu'au bout et de la faire éditer. Les horreurs de la guerre, le cynisme du héros, l'absurdité du système mis en place dans le goulag, contribuent à une noirceur certaine du récit et provoquent un sentiment désagréable de malaise et de rejet pendant la lecture. Je n'ai pas pu faire de compromis...

Désolé comme la plaine d'Eurasie du Nord

7 étoiles

Critique de Lutzie (Paris, Inscrite le 20 octobre 2008, 60 ans) - 9 janvier 2009

Ce qui aurait pu être une saga flamboyante est l'histoire d'un immense ratage. Celui d'une nation, comme une fatalité. Celui de destins, comme si le fait d'être russe devait se payer, d'une façon ou d'une autre. La maison des rencontres : quelques heures de larmes, de mots, de ce qui va de soi, dans une existence vouée à survivre au froid, à la violence, au manque.

Ce livre est aride, factuel, sec comme le fouet. On est tenté d'abandonner, au début. Car elle est bien là, la désolation de l'auteur pour ces vies désolées. Mais il y a un souffle. Cette relation entre deux frères que tout oppose. Cette femme entre eux, à la fois obstacle et lien. De nombreux passages, souvent une simple phrase, en font un livre fort. Et on se dit que l'auteur, dans ce roman, n'est pas loin d'Andreï Makine.

Victime de son temps

7 étoiles

Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 23 septembre 2008

Après l’exécrable satire ‘Chien Jaune’, Amis retrouve la forme dans un brillant triangle amoureux évoluant sur un demi-siècle de contexte politique russe. Avec sa plume vertigineuse capable de décrire toute la complexité des sentiments humains et la noirceur glaciale du goulag dans un condensé de 300 pages, il nous donne l’impression que l’on absorbe une saga sibérienne gigantesque.

Si l’exploration de la cruauté de l’idéologie, des luttes de pouvoir, et de l’obsession sexuelle est accomplie avec une intelligence sans équivoque, il ne s’agit pas d’un roman qui soulève la passion, probablement en raison de sa forme. La longue confession d’un vieillard, dans laquelle il avoue à sa fille, ses crimes barbares, ses angoisses et ses regrets, est linéaire et assommante. Mais, pour goûter la prose d’un grand écrivain contemporain, il faut parfois faire des compromis.

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