L'homme révolté de Albert Camus

L'homme révolté de Albert Camus

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Jules, le 24 octobre 2001 (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 7 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 011ème position).
Visites : 11 615  (depuis Novembre 2007)

Des nécessités de la révolte

Quand j'ai lu ce livre, il y a de cela une bonne vingtaine d’années, il m'a fortement impressionné. En faire la critique est très difficile tant les idées qui y sont exprimées sont nombreuses et variées.
Il me semble essentiel d'expliquer le point de départ de la réflexion de Camus. Le monde est absurde et, de ce point de vue, nous pourrions accepter l'idée que ce siècle (le XXeme) qui a tué, exterminé, tant d’individus, ne serait pas plus mauvais qu'un autre et qu’il ne resterait à l’homme qu'à assister aux faits, puisque l'absurde, en lui-même, exclut les jugements. L'un vaut l'autre. Mais l'homme crie l’absurdité du monde et ce cri, en soi, le force à croire à sa protestation : c’est la révolte. « La révolte naît du spectacle de la déraison, devant une condition injuste et incompréhensible. »
La révolte suppose une notion de valeur et celui qui se révolte contre un état qu’il juge insupportable rend cet état insupportable pour tous les hommes. Sa révolte devient collective et rejoint la notion d'une certaine « condition humaine » comme le supposaient les Grecs.
Dans son livre, Camus évoque également longuement le problème des idéologies et constate qu'elles ont bien souvent pour effet de mener aux pires crimes. Il écrit : « L'idéologie, aujourd’hui, ne nie plus que les autres, seuls tricheurs. C’est alors qu'on tue. »
Dieu est mort, mais cette pensée n'a donné naissance qu’ à un humanitarisme « privé de justification supérieure » et Marx remplacera l'au-delà par le « plus tard ». Nietzsche avait prévu ce qui allait arriver, dit Camus, et avait écrit : « Le socialisme moderne tend à créer une forme de jésuitisme séculier, à faire de tous les hommes des instruments » et « Ce qu'on désire, c’est le bien-être. Par suite on marche vers un esclavage spirituel tel qu'on n’en a jamais vu. » Et Camus d'écrire : « Le grand rebelle crée alors de ses propres mains, et pour s’y enfermer, le règne implacable de la nécessité. Echappé à la prison de Dieu, son premier souci sera de construire la prison de l’histoire et de la raison. » Nous voyons ici pourquoi Sartre a « excommunié » Camus ! Et Camus ira bien plus loin dans sa critique de la pensée de Marx et du communisme stalinien que ce que je vous en montre ici.
La révolte ne peut se soumettre à une idéologie sous peine de bien vite se transformer en une nouvelle tyrannie et devenir une autre mécanique meurtrière. La révolte doit rester générosité, amour de la vie. Elle ne supprimera jamais les souffrances, ni les injustices, mais elle aura pour obligation de se lever contre elles à chaque fois qu'elles se présentent.
Voici seulement quelques idées de base développées par Camus dans ce livre qui en développe bien d’autres. Mon seul objectif serait de donner envie à certains de le prendre et de se lancer à sa découverte. On en ressort plus riche, plus ouvert aux autres, à la vie et, surtout, à la tolérance dans le refus des idéologies qui rétrécissent la vie, la pensée et donc l’homme.

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Les éditions

  • L'Homme révolté [Texte imprimé] Albert Camus
    de Camus, Albert
    Gallimard / Essais
    ISBN : 9782070323029 ; 9,20 € ; 02/05/1985 ; 382 p. ; Poche
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Révoltes et révolutions

9 étoiles

Critique de CC.RIDER (, Inscrit le 31 octobre 2005, 66 ans) - 29 septembre 2024

Difficile de faire un bref résumé de cet ouvrage. Juste en dire que son auteur a voulu définir avec précision et objectivité la notion de « révolte », à ne surtout pas confondre avec « révolution » qui signifie réalisation, cristallisation d’une révolte. De tous temps, la condition de l’homme lui a semblé difficile, voire insupportable, en dépit des consolations de la religion qui donnait l’espoir d’un sort meilleur dans l’autre monde. Depuis la contestation du protestantisme, puis l’avènement des philosophes des « lumières », puis l’explosion de la révolution et la décapitation du roi Louis XVI, la divinité est morte. L’homme s’est retrouvé seul face à son destin. « Si Dieu est mort, tout est possible », a écrit Dostoïevski. La religion a tourné en politique, la révolte en principe intangible et le bonheur sur terre a été reporté aux calendes grecques, c’est-à-dire à l’avènement du socialisme intégral, du communisme idéal, etc. Pour atteindre cet idéal inaccessible, tout opposant, toute personne supposée hésitante devient alors immédiatement suspecte, donc emprisonnée, jugée sommairement et guillotinée sous la Terreur en France, envoyée au Goulag dans l’URSS de Lénine et Staline, au Lao-Gai de Mao ou en camp de concentration sous Hitler. « La vertu absolue est impossible. La république du pardon amène par une logique implacable la république des guillotines », note d’ailleurs Camus.
« L’homme révolté » est un essai de philosophie politique de très haut niveau et pourtant relativement facile à lire car l’auteur présente les faits avec une grande clarté et une certaine simplicité, mais sans tomber dans la vulgarisation. Il en appelle à de nombreux exemples, autant de l’histoire ancienne que récente. Ainsi présente-t-il le marquis de Sade comme le premier théoricien de la révolte absolue. « Dans les chaînes, l’intelligence perd en lucidité ce qu’elle gagne en fureur. Sade n’a qu’une logique, celle des sentiments », écrit-il. Après ce précurseur, Camus en appelle à de nombreux autres comme Saint-Just, Dostoïevski, Nietzsche, Bakounine, Marx ou Hegel, pour ne citer que les principaux. Avec Lautréamont, Breton et quelques autres, il en vient même à la révolte des écrivains, des poètes, des musiciens ou des peintres dans un chapitre sur l’art contemporain (comptant pour rien), peut-être le summum de l’ouvrage. Datant de la moitié de l’autre siècle (1951), cet essai est donc tributaire de l’actualité politique de son époque avec une URSS menaçante et des Etats-Unis encore sur la défensive. Mais le discours reste exact et semble même presque optimiste aujourd’hui. Qu’aurait dit Camus s’il avait pu analyser l’incroyable fusion du capitalisme avec le communisme et le nazisme dont nous sommes aujourd’hui témoins et victimes ? Ce néo-totalitarisme soft et hyper technologique lui aurait-il même permis de pousser ce cri qu’il faut absolument lire ou relire pour mieux comprendre la problématique de la révolte ?

Une typologie des révoltes et colères

9 étoiles

Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 46 ans) - 24 juillet 2018

L'amour du prochain, le constat de l'injustice de divinités ou d'un dieu unique, l'amertume face à la condition humaine condamnée à une vie fatalement ponctuée par la mort, un certain pour le romantisme, parfois pour une misanthropie de perfection de ses prochains constituent autant de déclinaisons des causes de la révolte. Albert Camus procède de manière fort utile à un inventaire littéraire et philosophique propre à (se) rendre compte du caractère protéiforme tant de ses raisons que de ses manifestations.
Cet ouvrage relève donc de la philosophie, bien qu'une bonne part de ses matériaux empiriques s'avèrent de nature littéraire. Il permet de prendre du recul sur un phénomène et d'en apprendre beaucoup par de brillantes mises en perspectives. Il nécessite d'être médité pour être pleinement apprécié. Ca ne se lit pas "comme un roman".

Nécessaire.

10 étoiles

Critique de Ayat (, Inscrit le 4 novembre 2009, 45 ans) - 26 décembre 2009

Certains livres sont indispensables. "L'homme révolté" en fait évidemment partie. Se poser la question d'un éventuel nihilisme de Camus semble hors de propos. J'étais beaucoup plus jeune lorsque j'ai lu cet essai et il a profondément éveillé et influencé mon point de vue sur l'histoire et l'humanité.

Un document...

9 étoiles

Critique de MOPP (, Inscrit le 20 mars 2005, 87 ans) - 13 février 2008

Ayant assisté à une conférence du philosophe André Comte-Sponville à propos de "Mondialisation, civilisations", j'ai été amené à relire Albert Camus et plus particulièrement "L'homme révolté".
Certes le contexte a évolué, mais "le choc des civilisations" est-il à l'ordre du jour ?

Pour être plus précis, faut-il craindre un affrontement entre la civilisation judéo-chrétienne et la civilisation musulmane ?

J'avance une phrase de Camus (page 35) :

"La révolte est le fait de l'homme informé, qui possède la conscience de ses droits".

A C-S semble retenir les valeurs de base de "notre" civilisation (amour, droits de l'homme, ...) pour une civilisation utopique au niveau mondial, mais retient-il l'aspect "homme révolté" ancré au sein de "x" civilisations ?

J'apprécie Camus lorsqu'il écrit : (page 36) "L'homme révolté est l'homme situé avant ou après le sacré et appliqué à revendiquer un ordre humain où toutes les réponses soient humaines , c'est-à-dire raisonnablement formulées."

Et "la la pensée révoltée ne peut pas se passer de mémoire ", comme nous ne pouvons pas, non plus oublier "nos" valeurs à transmettre (respect de la femme, par exemple).

Je ne vois pas non plus Albert Camus comme un nihiliste mais plutôt comme un homme qui pointe le point vers les problèmes à résoudre, non pas en notre âme et conscience, mais bien, avec raison.

A lire ou relire.

Leçon d'espoir

10 étoiles

Critique de Bételgeuse (, Inscrite le 7 décembre 2007, 45 ans) - 7 décembre 2007

Un grand livre, une leçon d'espoir au tournant des années 50. Comme l'avenir lui a donné raison!

Un testament d'humanité

8 étoiles

Critique de FightingIntellectual (Montréal, Inscrit le 12 mars 2004, 41 ans) - 14 juin 2006

Le nihilisme de Camus, j'ai parfois beaucoup de difficulté à y croire complètement. Ne me comprenez pas mal, c'est là un recueil philosophique PRESQUE nihiliste, mais il ne faut pas oublier que c'est là un ouvrage basé sur une réflexion empathique à propos de la souffrance humaine. Cette révolte, cette volte-face dont il fait part n'est-elle pas déjà à la base prise dans un désir d'égalité? De rapports égaux et chaleureux entre les êtres humains.

Le caractère de la révolte aura toujours eu comme geste moteur de se lever dans l'adversité et d'instiguer un nivellement dans les libertés de l'individu. Sans vouloir s'arroger la liberté absolue par l'acte du meurtre, elle est avant tout recherche de cohésion, avec un monde immanent, donc rejette quelconque injustice faite dans un nom divin.

Oui cet ouvrage aborde le nihilisme, mais écorchez moi si je me trompe, mais Camus lui.. a des tendances humanistes dans ses réflexions.

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