Il y a de de Gabriel Bergounioux

Il y a de de Gabriel Bergounioux

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Feint, le 3 mars 2008 (Inscrit le 21 mars 2006, 60 ans)
La note : 10 étoiles
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Il y a de l’Iliade sans héros ni soleil.

Après Il y a un, paru en 2004, Il y a de poursuit l’évocation d’une guerre sans nom, abstraite et invisible. On y retrouve le même héros narrateur, figure dérisoire de l’aède aveugle (opérateur radio), plutôt témoin que héros, plutôt chambre d’écho que narrateur, par la voix duquel se répercute la rumeur du monde. Le monde, cette fois, c’est l’intérieur d’un navire enfin à flot – sur le départ duquel s’arrêtait Il y a un – participant, à ce qu’il paraît, au blocus d’une citadelle peut-être imaginaire. Le temps y passe, que rien ne nous permet de mesurer, sinon l’insidieuse et progressive dégradation des conditions de vie de l’équipage, ignorant de sa mission, de son destin, de plus en plus laissé à lui-même, jusqu’à générer sa propre hiérarchie mafieuse, dirigée par des caïds rivaux ou alliés de circonstance.
La thématique, cette tension vers un horizon où rien n’apparaît, n’est pas sans rappeler Le Rivage des Syrtes ou Un balcon en forêt. L’écriture, en revanche, est loin de celle de Gracq. La manière dont les paroles entendues – le narrateur, aveugle, vit essentiellement par ce qu’il entend – sont intégrées dans un discours à la fois intérieur et polyphonique, la restitution d’un parler d’une oralité rarement approchée m’ont plutôt évoqué un Faulkner crépusculaire.
Pourquoi citer des noms aussi prestigieux ? C’est sans doute une maladroite tentative de situer l’œuvre en oubliant de dire l’essentiel : rares sont les textes, découverts au prix d’un patient défrichage, dont la lecture a un effet aussi physique. Réveillé en pleine nuit d’un probable cauchemar, il m’a fallu un temps pour sentir qu’à la faveur du sommeil je m’étais simplement laissé embarquer par un Charon encore méconnu aux portes d’Enfers innommés.
Revenu avec l’aube à plus de lucidité, c’est avec une impatience achéenne qu’on se surprend à rêver, après « Il y a un », après « Il y a de(ux ?) », d’un « Il y a trois » – Il y a Troie ? – plus sombre encore.

Un extrait :
"Ceux qui ont rien à monnayer, ou qui ont tout perdu, c'est pas les raisons qui comptent, ils proposent leurs services contre du sucre ou un petit gobelet de raide. Des fois ils encaissent la commission s'ils récupèrent un colis qui a pas l'air blanc bleu, une livraison pour le compte d'un mandataire dans un secteur où le prestataire est pas affecté mettons, ou ils se substituent pour une corvée, ce qu'on veut. Des dettes de jeu à solder : Bon, t'as été vachement imprudent sur tes mises. Du coup, je vois pas comment tu vas pouvoir me régler, avec quoi. Tu vois, toi ? Réfléchis bien. Hein ? T'avais qu'à y faire gaffe avant. Maintenant c'est toi qui me dois, et pas qu'un peu. Je te rappelle ton compte, tu veux ? Si, si, tu veux. Et tu écoutes bien, on recompte ensemble. Je refais ton addition qu'il manquerait plus que je me trompe à ton avantage. C'est dur ce qui t'arrive. Ça pourrait mal se finir si tu trouves pas très vite une solution. Comment on va faire à ton avis ? Hein ? Des types se sont fait tabasser sévère. Quand ils se présentent, bien amochés, devant le quartier-maître, la vieille blague de la chute dans l'échelle de coupée, les gars terrifiés mais par bonheur jamais curieux, le chef, il fait comme si : La prochaine fois, tu regardes où tu poses les pieds.
À quoi ça sert de cogner des types qui ont rien ? Il a fallu s'arranger autrement, des complaisances, un prix pour ça aussi. On a vu s'afficher des liens, des marins devenir proxos pour rentrer dans leurs fonds, se rembourser sur la bête. On tombe toujours sur des malhonnêtes qui se sont mis tout seuls dans les ennuis en vérifiant pas leur dépense et qui renâclent, qu'ils marchent pas dans la combine. Un soir après bouffer, ils partaient en vrille, drogués à mort, à jamais pouvoir se rappeler comment ils avaient terminé dans un débarras sur un carré de mousse, il leur était arrivé quoi ? Des fois plusieurs qui s'étaient soulagés, ils en voulaient pour leur argent, et des brûlures de cigarette, des estafilades. S'ils supportent plus, ça fait un suicide et le sous-off dresse un constat, l'armoire du type vidée, personne a rien vu. Le médecin, après l'autopsie, il fournit l'explication : Complètement défoncé, le mec."

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