Vie, jeu et mort de Lul Mazrek de Ismaïl Kadaré
( Eta, loja dhe vdekja e Lul Mazrekut)
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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Un excellent Kadaré !
Lul Mazrek vient de rater le concours d'admission au conservatoire d’art dramatique de Tirana. Qu'à cela ne tienne !… Après un moment de découragement, ses rêves le reprennent : il ne vit que pour les planches et il entend bien devenir un vrai comédien, non un baladin de villages.
Comme un malheur n'arrive que rarement seul, voilà qu’il reçoit sa convocation pour le service militaire. Mais, à son plus grand étonnement, le voilà privilégié. Il sera envoyé sur la côte, endroit paradisiaque où il verra les plus belles femmes du pays et même quelques touristes étrangers.
Sa mission principale ? Lutter contre les tentatives d’évasions commises par de très nombreux jeunes albanais. A la nage ou par la terre, ceux-ci tentent de fuir, vers la Grèce ou l'Italie, le paradis albanais érigé pour eux par Enver Hodja. Le « Guide » en a fait une obsession et le problème numéro un du pouvoir !
Toujours lucide et conscient, il se doute de la cause de ces tentatives d’évasions, on ne peut les expliquer que dans « .la faiblesse de l'enseignement idéologique, la superficialité dans l’étude des textes du Guide. ».
Voilà donc Lul Mazrek qui se retrouve à Saranda, jolie et luxueuse station balnéaire albanaise. Là, le gouvernement a regroupé des troupes, des vedettes rapides, des chiens, fins limiers et féroces. Tout doit être fait pour endiguer ces fuites. Il ira donc plus loin encore !. De nombreuses prostituées y seront envoyées, partant du principe que, sur l’oreiller, elles devraient pouvoir deviner les intentions de leurs clients. Après dénonciation, ceux-ci seraient donc arrêtés avant même que d’avoir tenté l’aventure.
Vjollcia, jeune femme de vingt trois ans, plus belle que les autres, se verra aussi envoyée pour la saison dans le plus bel hôtel de Saranda avec tous ses frais et caprices payés. Elle est chargée de la même mission. Un jour, sur la terrasse, elle va y rencontrer Lul Mazrek, militaire en permission. Ce sera le coup de foudre. A sa seconde permission, elle se donnera à lui et ne cessera plus d'y penser. Il la quitte le soir tard.
Le lendemain, la petite ville bourdonne d'agitation : un fuyard par mer a été attrapé et tué. Il est exposé sur un bateau entièrement recouvert d'un linge blanc couvert de sang. Elle sera d'autant plus affolée que, de ce moment, elle n'aura plus aucune nouvelle de lui. De là à supposer…
Comme souvent dans les œuvres de Kadaré, l'antiquité grecque joue un rôle important. A côté de Saranda se trouve un théâtre antique de l'ancienne ville de Butrint. Celle-ci aurait été construite par des Troyens en fuite menés par Enée. Andromaque aurait été parmi eux. Butrint se situe entre Troie et Rome et Enée serait un des fondateurs de Rome. Le rôle de Butrint n'en est donc devenu que plus important. Kadaré va nous donner là de très belles pages dont celles du monologue d'Hector expliquant comment il est véritablement mort et reniant la version de l’Illiade.
Il y a un indiscutable parallèle entre le cadavre d'Hector tiré à trois reprises par Achille autour des murailles de Troie et ce cadavre anonyme exposé sous un linceul blanc taché de sang..
Qu’est devenu Lul Mazrek ?… Etait-ce lui sous le linceul ?… Vjollcia va balancer constamment de la certitude que oui, à l'espoir que non. Elle va tout tenter pour en savoir plus, mais sa quête n’est pas sans dangers pour elle. Puis viendra la chute du régime…
Kadaré nous donne ici un très bon livre, une belle histoire merveilleusement écrite comme toujours. A lire !.
Les éditions
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Vie, jeu et mort de Lul Mazrek [Texte imprimé], roman Ismail Kadaré trad. de l'albanais par Tedi Papavrami
de Kadaré, Ismaïl Papavrami, Tedi (Traducteur)
Fayard / Le livre de Poche
ISBN : 9782213613284 ; 20,30 € ; 10/09/2002 ; 318 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (1)
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Dommage, le titre …
Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 1 décembre 2008
Et pourtant ! Qu’il est bon ce « Vie, jeu et mort … ».
L’Albanie, encore et toujours, l’Albanie sous la poigne féroce d’un dictateur, et Ismaïl Kadaré qui tente de faire … avec.
Lul Mazrek est un jeune gars qui parvient à l’âge adulte dans un bled albanais avec une idée motrice ; devenir acteur. Et pour ce faire il a postulé à l’Ecole d’Art Dramatique de Tirana. Et ça se passe mal :
« La semaine avait mal commencé pour Lul Mazrek. Pile le lundi, alors qu’il attendait le coup de fil l’informant s’il était ou non reçu à l’école d’Art dramatique, la liaison téléphonique avait été coupée.
…
La ligne fut rétablie mardi dans la soirée. Son cousin l’appela après dîner. Dès qu’il entendit sa voix, il sentit un noeud se former dans la poitrine. A la fin, lorsqu’il se rendit compte que son correspondant se perdait en mots inutiles, il lui lâcha : Je ne sais pas ce que tu remâches, mais crache le morceau : ai-je ou non remporté le concours ? A l’autre bout du fil, l’autre faillit hurler : puisque tu le prends comme ça, je te le dis tout net : de la merde, voilà ce que tu as remporté ! »
Donc, c’est raté. Et concomitamment il reçoit son ordre d’appel sous les drapeaux. Pas très glamour, on en conviendra. Mais, contre toute attente, il est envoyé en un endroit convoité, Saranda, la station balnéaire la plus méridionale d’Albanie, à la frontière avec la Grèce, un endroit d’où beaucoup tentent leur chance pour fuir la dictature. C’est au moins aussi convoité pour l’aspect soleil et balnéaire que pour la proximité d’avec la Grèce. Et justement là-bas, la grande affaire des soldats est de lutter contre les vagues d’exode. Un chapitre consacré au Ministre en charge de la Police Secrète albanaise, et à la relation avec le dictateur, Enver Hojda pour ne pas le nommer, est éclairant sur la chape que faisait peser celui-ci et la soumission qu’il exigeait de chacun. Les moyens mis en oeuvre décrits sont à la fois affolants et risibles (ils font d’ailleurs partie du ressort principal de ce roman).
Là-bas, à Saranda, se trouve également depuis peu Vjollcia, belle jeune fille qui s’est faite piéger par la Police Politique. On ne lui a pas trop demandé son avis et on l’a détachée de son job à la Banque d’Etat à Tirana, pour l’envoyer jouer les espionnes –prostituées en réalité – de luxe pour repérer les candidats à la fuite ! Oui, c’est hallucinant mais ce pourrait bien avoir un rapport avec la réalité d’alors !
Et manque de chance, l’amour va passer entre Lul et Vjollcia, tous deux du même bord – chargés de traquer ceux qui veulent s’évader – et pas vraiment destinés à se fréquenter.
La suite devient épopée, Ismaïl Kadaré aimant se frotter aux épopées grecques. Le reste il faut le lire, un descriptif serait réducteur. D’ailleurs l’impression rémanente que laisse la lecture d’un roman de Kadaré est révélateur. L’ambiance, les images sont là, longtemps après la lecture.
Dans cet ouvrage la référence à l’Albanie, l’attaque contre l’essence et les méthodes du régime dictatorial est frontale, au contraire d’autres ouvrages antérieurs où l’allusion, la parabole sont de rigueur.
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