Les Demeurées de Jeanne Benameur

Les Demeurées de Jeanne Benameur

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par BMR & MAM, le 8 février 2008 (Paris, Inscrit le 27 avril 2007, 64 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 6 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (43 173ème position).
Visites : 6 429 

Voilà ce qui s'appelle broder une histoire ...

Mais pourquoi donc les auteurs modernes français s'obstinent-ils à Goncourir pour la prose la plus tarabiscotée ?
Voilà donc Jeanne Bénameur sur le podium aux côtés de Philippe Claudel, Tanguy Viel, Muriel Barbery et tant d'autres.

[...] Elle dresse les yeux comme un chien sans flair tente vainement de suivre une trace. Quelque chose disparaît. La lumière a manqué. Une fois encore, la mère et la fille ont failli à la lueur dernière. Une fois encore, la petite se sent de trop dans la poussière, devant la porte. Rien n'ira plus bas que la terre.

Soyons indulgents, cette fois, Jeanne Bénameur aurait un alibi : son phrasé désarçonne mais c'est (peut-être) pour mieux nous faire pénétrer dans l'esprit tordu de deux «abruties», deux idiots du village comme on dit.
Deux idiotes en l'occurrence : la mère et la fille, Les demeurées.
Et puis fort heureusement, au bout de quelques pages (l'opuscule n'en compte que 80), ça se calme un peu, à moins que l'on s'habitue.
Et la prose savante s'efface un peu pour laisser place à l'histoire. À l'humanité.
Car c'est une histoire poignante, comme on dit.
L'histoire d'une gamine accrochée à sa mère et d'une mère cramponnée à sa fille, car ces deux-là n'ont qu'elles deux pour survivre.
L'histoire d'une gamine que l'institutrice du village, Mademoiselle Solange, se met en tête d'amener à la lecture (Jeanne Benameur a été prof).
Et c'est là que ça se complique.

[...] Dès que les paroles claires de Mademoiselle Solange menacent de pénétrer à l'intérieur d'elle, là où toute chose pourrait se comprendre, elle fuit. D'une enjambée muette, elle se niche où le plâtre du mur se délite, au coin de la grande carte de géographie, près du bureau. Entre les grains usés, presque une poussière, elle a sa place. Elle fait mur. Aucun savoir n'entrera. L'école ne l'aura pas. Elle demeure. Abrutie comme sa mère.

Et sur le chemin de la maison, l'enfant récalcitrante recrache littéralement ses leçons, tous les mots appris de l'instit, pour être sûre qu'ils quittent sa tête.
Car la petite sait bien que ces mots risqueraient de l'arracher à sa mère. Et les deux demeurées veulent demeurer ensemble.
Qui de l'enfant têtue ou de l'institutrice obstinée aura gain de cause ?
On ne vous le dira pas bien sûr, d'autant que la réponse n'est pas si simple et que ce petit bouquin recèle quelques surprises.
On tient là une très belle histoire, un joli conte de Noël, s'il n'était pas si triste, si dur parfois.
Et surtout une très belle histoire de « mots », avec de quoi ravir tous les amoureux des livres et de la lecture.

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Une succession d'incohérences dans une écriture imbuvable

1 étoiles

Critique de Mimi62 (Plaisance-du-Touch (31), Inscrit le 20 décembre 2013, 71 ans) - 26 novembre 2022

La mère est déficient mentale mais semble réussir à mener une vie quotidienne, sans aucune aide. Quid des courses, des factures, de tout ce qui constitue la vie quotidienne. Cette femme est-elle de surcroît muette ? On peut se le demander vu qu'aucun mot n'est échangé entre la mère et la fille.
La fille est totalement sous l'emprise de sa mère. Elles vivent visiblement une relation fusionnelle. A priori elle souffre également d'un retard mental peut-être moins profond que celui de la mère mais a priori elle semble également souffrir d'un autre trouble (peut-être autistique ?). Par ailleurs si elle souffre bien de difficultés d'apprentissage, s'ajoute également un refus d'apprendre. Une seule chose compte pour elle, retourner chez elle, pour ne rien faire.
L'enseignante apparaît également comme quelqu'un souffrant aussi de problèmes comportementaux. Ne pas réussir à faire apprendre quelque chose à cette enfant, la fait plonger dans une sorte de dépression qui évolue vers une perte de la raison. Elle n'est pas armée pour faire face à cette situation et ne fait jamais appel aux structures existantes pour aider cette enfant. Elle ne fait aucun signalement comme cela se doit d'être. De plus cette enfant ne fréquente plus l'école et là aussi rien n'est fait ni signalé.
Survient ensuite une découverte de fil qui déclenche chez la petite fille la révélation de l'apprentissage de la lecture !!! Elle, qui n'a pas été capable d'apprendre un minimum de base pendant les quelques temps où elle est allée à l'école, découvre soudainement, seule, le fonctionnement de la lecture ! Cet apprentissage spontané se déclenche lorsqu'elle apprend que l'institutrice est décédée d'un accident.
On se trouve dans une accumulation d'incohérences enlevant toute crédibilité à cette histoire. Certes le romancier est libre de gérer l'histoire comme il le pense mais il faut toutefois un minimum d'ancrage dans la réalité pour constituer un récit. On est ici plutôt dans une espèce de voyage onirique dont l'objectif n'apparaît pas.
Reste le style... Si l'on peut comprendre au début que ce choix a été fait pour illustre le mode de fonctionnement de l'esprit, cela devient rapidement rébarbatif, pesant et contreproductif.
Pour moi; le thème est intéressant mais le traitement dans le déroulement ainsi que dans l'écriture fait que l'on passe totalement à côté du sujet. Que retirer de ces 80 pages (ouf, ce n 'est pas plus long !) ? Que c'est un exercice de style peut-être mais en aucun cas un roman pour partager, exposer, narrer, une situation.
Je n'aime pas être totalement négatif sur un ouvrage car généralement on peut trouver quelques points positifs, mais là, que ce soit l'histoire, le style, les personnages, rien n'accroche.
A fuir.

Savoir autrement

7 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 2 février 2016

Un tout petit roman, une longue nouvelle, un conte philosophique, je ne sais … ce petit livre est un peu tout ça à la fois, il commence comme un texte de poésie en vers racontant la vie d’une mère et de sa fille affectées de la même tare, elles ne sont pas très intelligentes, elles sont même carrément demeurées, « abruties ». « Quand on s’adresse à La Varienne, elle s’agrippe du regard à la bouche de celui qui parle. Ses lèvres à elle marmonnent, imitantes et muettes. Luce ne supporte pas. Luce se tait. Le silence entre elles tisse et détruit le monde ». Le livre évolue progressivement, même le style change, la poésie s’étiole pour faire place à un discours plus moral, plus prosaïque, qui évalue, plaide, juge. On pourrait penser que ce livre a été écrit au moins en deux temps, l’auteure aurait laissé le texte dans un tiroir avant de le reprendre pour le conclure dans un style moins elliptique, plus direct, plus concret plus démonstratif.

Ce texte, c’est l’histoire de La Varienne et de sa fille, Luce, elles sont toutes les deux, selon le terme même de l’auteure : « abruties » à la limite de l’autisme et de l’anorexie pour la fille, « La Varienne pousse les tartines plus près du gros bol plein, comme on donne aux bêtes à l’étable. Mais la petite n’a qu’un seul estomac et l’appétit de l’alouette du matin ». Elles vivent esseulées au bout de village, la mère travaille chez des bourgeois pendant que sa fille laisse couler le temps en jouant avec des petits riens, en regardant le monde qui l’entoure sans s’interroger, juste en regardant. Cette vie sans histoire et sans relief butte sur la loi, la loi est formelle, la petite doit être scolarisée, la mère accompagne donc sa fille à l’école où l’institutrice est résolue à l’instruire, à lui apprendre à lire. Mais, l’enseignante butte sur le mur de l‘incompréhension totale, sur le manque de volonté absolu, Luce ne veut pas apprendre, les mots lui font mal, elle tombe même très malade. Ce blocage physiologique détruit les belles convictions que l’institutrice a apprises à l’école des maîtresses, elle n’accepte pas cette défaite, à son tour elle somatise son échec. La fillette a cependant enregistré ce qu’elle a appris et elle peut le restituer par le dessin ou la broderie, l’enseignante comprend alors qu’il n’y a pas que le savoir académique, d’autres formes de savoir existent, La Varienne sait les plantes, elle est un peu guérisseuse, la petite est habile de ses mains et elle a une bonne mémoire.

Un texte qui remet en question les fondamentaux de l’école primaire, cette femme et sa fillette ne sont peut-être pas intelligentes à la manière définie par l’Académie, mais elles ont une intelligence innée, animale, une intuition aiguisée, elles connaissent la nature et ses secrets, elles transmettent par une sensualité affective ce d’autres transmettent par la parole. « A l’intelligence, il faut un espace pour se poser. Il faut des mains, de l’air pour la craie et l’encre. L’abrutie n’a rien ». Elles ne disposent pas dans leur cervelle de cet espace mais elles ont une sensibilité très affûtée qui leur permet de comprendre, d’apprendre et de transmettre différemment des autres. L’auteure essaie de nous faire comprendre que l’humanité n’est pas coulée dans un seul moule, qu’il y a des êtres différents qui méritent eux aussi toute notre considération et notre respect.

Epatant

9 étoiles

Critique de Catinus (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 73 ans) - 10 octobre 2014

Elles sont deux, juste deux : la Varienne et sa fille Luce. Elles sont très simples, on ne peut plus simples. Demeurées, comme on dit. Solange, l’institutrice tentera bien d’instruire Luce mais elle n’y arrivera pas, en perdra même la raison, découvrira leur « secret «. « Luce ne sort plus rien de son cartable. Elle le laisse contre la porte. L’école n’existe pas. Entre la mère et la fille, le pacte. Total. « .
Il faut, peut-être, quelques pages pour rentrer dans ce conte mais les suivantes sont … épatantes.

Vous aussi

10 étoiles

Critique de Deashelle (Tervuren, Inscrite le 22 décembre 2009, 15 ans) - 8 août 2011

La Bastille était une forteresse imprenable, le mur de l’Atlantique aussi. Certains, surtout les pédagogues, pensent qu’il y a toujours une faille. Une faille d'amour.

C’est ce que pense en tout cas Solange, l’institutrice héroïque, au mépris de sa vie. Elle a décidé de percer une fenêtre sur le monde dans cette noix dure et forclose, où a germé et s’est réfugié l’amour muet, viscéral, brut, total et aveuglant d’une mère et d’une fille, toutes deux demeurées, fusionnées et isolées.

"Devant elle, le secret tissé entre deux êtres.
La Varienne et sa petite Luce peuvent se passer de tout; Même de nom.
Le savoir ne les intéresse pas. Elles vivent une connaissance que personne ne peut approcher;
Qui était elle, elle, pour pouvoir toucher une telle merveille ?"

80 pages pour produire une épiphanie de taille. Au début était le verbe, l’institutrice tracera devant l’enfant les quatre lettres d’un nom de lumière, elle qui n’a pas eu de nom de père. Luce, nommée, est. Cela renverse tout. Une histoire renversante. Luce a compris que les mots, la lecture l’arrachera un jour à sa mère, elle efface donc délibérément tout ce qu’elle a appris à l’école sur le chemin du retour. Les deux demeurées doivent rester ensemble, question de survie. Elle fait d’elle-même un mur inexpugnable.

« Dès que les paroles claires de Mademoiselle Solange menacent de pénétrer à l'intérieur d'elle, là où toute chose pourrait se comprendre, elle fuit. D'une enjambée muette, elle se niche où le plâtre du mur se délite, au coin de la grande carte de géographie, près du bureau. Entre les grains usés, presque une poussière, elle a sa place. Elle fait mur. Aucun savoir n'entrera. L'école ne l'aura pas. Elle demeure. Abrutie comme sa mère. »

Et pourtant. Il suffira d’une aiguille fine, de fils de broderie multicolores pour tout déclencher: le réveil de la belle dans la noix dormant, car le mot tracé à la craie sur le tableau noir avait le bruit d'un baiser semé en profondeur.

Enseigner, ce n'est rien que de l'amour.

Cet opuscule se lit comme un conte de Noël. Les mots vibrent, et vous transpercent jusqu’au cœur. Vous aussi.

Manque de naturel

2 étoiles

Critique de Nance (, Inscrite le 4 octobre 2007, - ans) - 7 juin 2008

J’ai trouvé que les phrases savantes ne faisaient pas naturelles. La recherche des mots fait contraste avec ces personnages lents d’esprit. Je ne me suis pas attachée à eux, j’avais de la difficulté à croire en eux, contrairement à la Leporella de Stefan Zweig. Quelques bonnes lignes, mais globalement ça ne m’a pas touché.

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