Entretiens radiophoniques avec Marguerite Yourcenar de Patrick de Rosbo, Marguerite Yourcenar
Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances
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Propos abandonnés au hasard de l'improvisation
Ainsi Marguerite Yourcenar caractérise-t-elle ce livre qui reproduit les entretiens radiophoniques qu’elle eut avec Patrick de Rosbo à la fin de l’été 1970 et qui n’ont pas été repris dans un autre recueil, déjà critiqué sur ce site, « Portraits d’une voix ».
Ces entretiens ont chacun un thème : la forme, l’histoire, les personnages, la sagesse, le grand « œuvre », les mythes, même si l’auteur de « L’œuvre au noir » sait s’évader d’un sujet qu’elle juge inapproprié ou de questions trop longues et approximatives. Rosbo, avec qui elle rompra violemment quand il publiera un article intitulé « Huit jours de purgatoire avec Marguerite Yourcenar », a été quand même le premier à la faire parler longuement, bien avant la médiatisation ultérieure. Il est dommage qu’il n’ait pas su faire de ses questions le prélude d’une conversation.
L’intérêt essentiel du livre, destiné surtout à ceux qui ont lu Yourcenar, réside dans le fait qu’il se concentre sur son travail et ses livres et non sur ses goûts, ses voyages, sa famille, son époque. Elle fera une seule allusion non littéraire quand elle évoque sa sensibilité écologique, preuve de sa constance sur ce sujet qui, en 1971, n’intéressait que quelques visionnaires solitaires. Mais c’est aussitôt pour revenir à son œuvre en estimant qu’Hadrien a plus de chance que nous car « il n’était pas confronté comme nous avec un monde que nous sommes peut-être les derniers à pouvoir sauver ».
Dans ces entretiens, Marguerite Yourcenar refuse d’opposer la forme, classique chez elle, et le fonds, souvent sulfureux, de son travail. Elle justifie son besoin de réécrire ce qu’elle a déjà écrit en citant le poète irlandais Yeats : « c’est moi-même que je corrige en corrigeant mon œuvre »- et il est excessif de parler de propos improvisés comme elle le fait dans sa courte préface puisqu’elle a préparé ces entretiens avant de les relire, y apporter des précisions, pour enfin les laisser paraître, non sans quelques réticences.
Elle dit son empathie avec ses grands personnages qu’elle caractérise précisément sans jamais les étiqueter et dont elle dit qu’ils sont à côté d’elle, mêlés à ses amis vivants. A la question : « Qu’est-ce qu’un personnage ? », elle répond par une comparaison entre la vision de Proust pour qui le personnage est un agglomérat flottant de sensations, reflet des circonstances et celle des tragiques grecs pour qui il est une entité presque inexorable qui résiste aux circonstances ; avant de répondre « Un peu des deux ». Elle est plus incisive quand elle caractérise les personnages qu’elle n’aime pas, « ceux qui s’incorporent épaissement aux erreurs et routines de leur temps et les complaisants envers soi ».
Elle explique pourquoi l’histoire est pour elle une « école de liberté » en ce qu’elle nous libère de certains de nos préjugés et nous apprend à voir nos problèmes sous un autre angle. Mais le passé n’est pas une liberté, une sorte de refuge. « Il met sous nos yeux la liste lamentable des occasions perdues, des compromis néfastes…dus à l’inertie et l’imprévoyance du grand nombre, au fanatisme de quelques uns et aux manigances intéressées de beaucoup d’autres ».
Elle qualifie la sagesse, celle humaniste d’Hadrien, « d’optimisme modéré [qui] se mêle à son désespoir lucide ». Cette sagesse est fondée sur la confiance en la raison humaine, en la capacité de l’homme de concilier les contraires, en l’action.
Elle explique les trois phases, noire, rouge et blanche du « Grand Œuvre » des alchimistes qui aboutiraient à « l’union du dépouillement et de l’extase ».
Enfin elle minimise le rôle des mythes dans ses écrits contrairement à ce qu’essaye d’insinuer son interlocuteur.
Au fil de ses réponses, on remarque une fois encore la solidité de sa pensée, sa clairvoyance, sa cohérence rigoureuse, son goût de perfection, la qualité de son langage. Les questions ne sont pas toujours de grande qualité mais les réponses le sont et dites dans cette langue classique et un peu distante. Marguerite Yourcenar s’est beaucoup « racontée », probablement pour garder le contrôle de son image. Elle a sculpté, de son vivant, une statue impériale et un peu froide pour la postérité que lui opposent aujourd’hui ses détracteurs.
Mais dans ces entretiens elle va plus loin quand elle dit que ce qui compte pour elle c’est « cette quête quasi impersonnelle, ce passage du moi à ce qui importe davantage que moi. Le paysage traversé va bien au-delà du témoin qui l’appréhende et ne se confond avec lui que par la justesse de son regard. Une infatigable curiosité pour les divers aspects de l’aventure humaine. »
"Jel'ai trouvée. Quoi? L'éternité;" Ce vers de Rimbaud qu'elle cite et qui servira plus tard au titre au troisième tome du "Labyrinthe du monde" est peut-être encore prématuré pour s'appliquer déjà à l'oeuvre de Marguerite Yourcenar mais ce petit livre, en dépit de ses faiblesses, est une bonne approche pour mieux connaître et aimer cet écrivain, cette femme d'une envergure exceptionnelle.
Les éditions
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Entretiens radiophoniques avec Marguerite Yourcenar de Patrick de Rosbo, Marguerite Yourcenar
de Yourcenar, Marguerite de Rosbo, Patrick
Mercure de France
ISBN : 9782715209602 ; 15,00 € ; 15/06/1972 ; 176 p. ; Broché
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Une merveille de plus de Yourcenar
Critique de Jules (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans) - 28 janvier 2008
Bien sûr elle se livre aussi personnellement, mais ici les questions et réponses resteront quand même plus techniques que lors d’autres entretiens.
Tout d’abord elle nous explique très bien la différence entre un livre d’historien et celui d’un romancier « historique ». Bien sûr ce dernier a un peu plus de liberté, mais elle n’a pas voulu s’en donner trop dans « Mémoires d’Hadrien ». Elle travaillait sur un personnage réel alors que Zénon était un personnage inventé par elle. Par exemple, elle n’a pas voulu mettre Hadrien en l’an 200 et des de l’ère chrétienne vu qu’il ne pouvait pas imaginer que cette ère allait exister. Il est empereur en l’an 800 et des de l’histoire de Rome et non autre chose.
Hadrien ressent les choses comme il pouvait le faire en fonction de ce qui était son époque et il est normal pour lui de constater qu’en un certain nombre de siècles la nature profonde de l’homme n’a que très peu changé et qu’il risque fort que l’évolution conserve un tel caractère.
Quant à Zénon il ne peut penser qu’en fonction de son siècle à lui, celui de l’ère chrétienne à l’époque de Philippe II et de l’inquisition. Zénon n’est qu’un médecin philosophe et non pas un empereur. En tant qu’Empereur Hadrien se savait un personnage historique ce qui est tout à fait différent.
Marguerite Yourcenar aborde également le fait que les français attachent une telle importance à la littérature que le style reste pour eux un élément essentiel et elle dit : « Le respect de nos compatriotes pour la littérature est tel que, quand on a dit qu’un livre est bien écrit, on a tout dit. En réalité, pour moi, il n’y a pas d’antithèse entre fond et forme. »
Elle insiste d’ailleurs beaucoup sur le fait qu’une forme s’applique pour un sujet et pas du tout pour un autre.
C’est avec un attachement profond pour ses personnages qu’elle parle d’eux et dit fréquemment que Zénon a préféré faire ceci plutôt que cela. Nous sentons que, pour elle, Zénon est un homme comme un autre, libre de ses actes.
Je ne résiste pas à vous donner encore cette phrase si belle et, à mes yeux, bien souvent vraie :
Hadrien dit « J’ai souvent pensé que les amants passionnés des femmes s’attachent au temple et aux accessoires du cultes au moins autant qu’à leur déesse elle-même. »
Un livre à lire pour tous les véritables amateurs de Marguerite Yourcenar.
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