Marginales N 268 de Collectif
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Le terme, vraiment?
Il n’est guère dans les mœurs belges de donner la parole à des écrivains sur des faits de société. La revue « Marginales » fait exception, en proposant tous les trois mois un thème d’actualité, sur lequel les auteurs sont invités, non pas à donner leur avis, mais à écrire une fiction.
En ces temps d’incertitudes politiques et nationalement existentielles, aucun autre thème n’était possible que « Le terme, vraiment ? »
Dans son éditorial, Jacques De Decker, directeur de la revue, après un rappel analytique des événements des derniers mois, nous assène les terribles paroles de Brecht : « Si le peuple ne convient plus au gouvernement, que ne dissout-il pas le peuple pour en élire un autre ? ». Et de se demander, de demander, surtout, aux auteurs, si ce « déni de démocratie » n’est pas la cause profonde du malaise actuel. 28 d’entre eux ont relevé le gant.
Lesquels de ces apports élire pour une recension qui, faute de place, ne peut être aussi exhaustive qu’elle le voudrait ? Comme dirait l’immense Georges « Chacune a quelque chose pour plaire, chacune a son petit mérite, mais mon colon, celle(s) que j’préfère… »
Il m’est aisé de commencer par le commencement, tant la direction de la revue a judicieusement placé en tête les « Confidences du Penseur de Rodin, dans le cimetière de Laeken, au dernier roi des Belges ». Un tel Lippert, lorsqu’il parvient à canaliser sa véhémence sans rien lui enlever de sa jubilation, est un pur régal. Il remet la « crise belge » dans le vaste contexte de l’évolution historique, tant universelle que locale, et en particulier dans le stade actuel du capitalisme débridé, unidimensionnel faute d’opposition structurée. Mais le limiter à cela serait réducteur et il faudrait consacrer toute une étude à ce texte, qui est, pour moi et avant tout, un grand moment de littérature.
À l’extrême opposé (je parle bien sûr de leur situation dans la table des matières et non de leur qualité), des extraits du « Carnet » d’Hubert Nyssen remettent eux aussi la crise belge dans un contexte plus vaste et permettent de relativiser son importance : à peine y occupe-t-elle quelques lignes désabusées dans un ensemble de pensés, de rencontres et d’anecdotes qui font le vrai tissu d’une vie, fût-elle exceptionnellement riche comme celle de Nyssen. Un texte qui devrait inciter à plus de modestie les responsables politiques, s’il leur venait la peu probable idée de le lire.
C’est également la qualité littéraire qui me fait aimer le texte d’Otto Ganz, poésie au ras des jours, qui nous dit la stase infinie du blocage dont le pays fait aujourd’hui semblant d’être sorti. Mais : « Qui ça intéresse encore ces vieilles histoires ? Et pourquoi ? De toute façon, tout va bien, non ? »
Quelques auteurs trouvent dans l’humour leur champ de distanciation, Claude Javeau et sa rubrique de Wikipedia consacrée dans un futur plus ou moins éloigné à ce qui fut la Belgique, aujourd’hui divisée en Vlaanderen, Wallonie et Brussels e.d. (european dictrict). Voire surréaliste, comme la dissolution du pays dans une drache interminable comme la voit Soline de Laveleye (« Mon pays a-t-il été autre chose que le rêve halluciné de ce chien mouillé, errant, égaré sous la pluie ? ») ; ou le bondisseur métaphorique (par-dessus la frontière ?) de Daniel Simon, dont les bonds, de plus en plus étriqués, l’amènent à observer au ras du sol le grouillement des êtres, jusqu’à y perdre ses repères. Mais un surréalisme à la belge, bien ancré dans le quotidien, comme l’expérimente l’apprenti diplomate de Luc Dellisse, dont le dilettantisme permet à un ministre de ce qui se voudrait Culture de sauver la face.
D’autres, qui n’ont pas du tout envie de se rassurer, préfèrent donner une vision apocalyptique d’un avenir proche, peut-être pour l’exorciser. Les uns sur un mode quasi fantastique, comme Alain Dartevelle, qui nous décrit la mission d’un fonctionnaire wallon – au nom d’ailleurs on ne peut plus flamand – dans un Bruxelles livré à la violence et à l’anarchie, mission qui s’achèvera heureusement dans les bras d’une prostituée ; quant à Dragana Covjekovic, dont le nom et les protagonistes de son récit peut faire penser qu’elle a connu l’ex-Yougoslavie et plus particulièrement Sarajevo, elle narre la tragique résolution du dossier de disparition CD-09-8-726 dans un Bruxelles assiégé depuis des mois. Signalons-lui toutefois qu’un de ses personnages change de prénom au cours du texte, erreur que l’inexpérience permet de pardonner, l’auteur publiant ici pour la première fois.
Enfin, pour terminer sur une note plus légère, le poème sautillant de Monique Thomassettie « Deux tempéraments différents », où une fourmi-lion fait la morale à une cigale-coq ; « La fable tourna à la farce / et à un double rire / sagement moraliste ». Acceptons-en l’augure ! À propos, l’auteur sait-elle qu’il existe bel et bien des « fourmis-lions » (qui, nous dit Wikipedia, « sont en général des prédateurs qui s’attaquent à des insectes plus petits !!! ») et que cigale, en wallon, se dit… « coq d’aousse » (coq d’août). Ou faut-il voir dans ce choix le résultat de l’intuition poétique ?
Quoi qu’il en soit, pour s’amuser, réfléchir, s’extasier ou fulminer, je conseille fortement la lecture de cet excellent numéro.
www.wilquin.com/marginales
Les éditions
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Marginales N 268 de Collectif
de Collectif,
Luce Wilquin
ISBN : 9782882532169 ; EUR 10,00 ; 01/11/2002 ; 196 p. ; 135 x 200
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