Chinoises de Xin ran
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Terrible témoignage sur la condition féminine en Chine
Xinran c'est un peu la Ménie Grégoire de la Chine, pour ceux qui s'en souviennent (de Ménie Grégoire).
Journaliste et animatrice d'une émission de radio, elle recueille les témoignages de femmes. De femmes de Chine. De Chinoises, donc.
[...] Bonsoir, amis de la radio, vous écoutez "Mots sur la brise nocturne". Mon nom est Xinran, et je débats en direct avec vous du monde des femmes. De dix à douze tous les soirs, vous pouvez vous mettre à l'écoute de la vie des femmes, des battements de leurs coeurs et écouter leurs histoires.
De ses enquêtes et témoignages, elle en tirera ce bouquin. Parce que le Vieux Chen lui a dit : «Xinran, vous devriez écrire tout cela. Écrire permet de se décharger de ce que l'on porte [...]. Si vous n'écrivez pas ces histoires, leur trop-plein va vous briser le coeur».
Résultat, c'est notre coeur à nous qui se fendille un peu à cette lecture.
Parce que c'est tout simplement effarant : comment peut-on vivre cela ? comment peut-on faire vivre cela ?
On se croirait au Moyen-âge, au mieux au siècle dernier (enfin, l'avant-dernier).
Mais non, toutes ces histoires ont été recueillies entre ... 1970 et 1990 !
[...] - Je vous raconterai l'histoire de ma fille, si vous voulez, mais pas ici. Je ne veux pas que les enfants me voient pleurer».
Ou encore :
[...] Il ne me restait qu'à demander à la directrice Ding si elle acceptait que je l'interroge. Elle a acquiescé, mais m'a suggéré de patienter jusquau jour de la fête nationale avant de revenir la voir. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m'a répondu :
- Mon histoire ne sera pas longue, mais la raconter va me rendre malade pendant plusieurs jours. J'aurai besoin de temps pour m'en remettre».
Tout est dit : au lecteur aussi, il faudra quelques jours pour s'en remettre, même si la distance du livre de papier et de la lointaine Chine rend les choses heureusement moins vraies.
C'est la dure condition féminine qui est donnée à lire ici. La terrible condition des femmes chinoises de la fin de ce siècle (le dernier, cette fois) alors que la Chine est en train de s'ouvrir et qu'il est désormais possible de parler. Un peu.
Il est question d'inceste, de viols, d'ignorance et de misère sexuelle, de mariages arrangés (par le Parti, on n'est plus au Moyen-âge !), de séparations entre mère et fille, tout cela sur le fond de l'histoire toute récente de la Chine.
Et notamment les drames nés pendant les terribles années de la Révolution Culturelle.
L'écriture est sobre et simple (Xinran est journaliste) entièrement au service de ces histoires crues, dures et vraies, qui se suffisent à elles-mêmes.
La plus belle (sans doute parce que c'est la seule qui met en cause une catastrophe naturelle et non pas la noirceur humaine) est celle du tremblement de terre [extraits] :
[...] Ce matin-là, avant l'aube, j'ai été réveillée par un bruit étrange, un grondement et un sifflement, comme si un train était entré dans notre maison. [...] Tout est arrivé si vite. Je me suis traînée face au trou béant qui avait été l'autre moitié de ma maison. Mon mari et mes enfants s'étaient évanouis sous mes yeux. [...]
Cela fait presque vingt ans maintenant, mais presque tous les jours à l'aube, j'entends un train qui gronde et qui siffle, et les cris de mes enfants. Parfois je suis si effrayée par ces sons que je me mets au lit très tôt et je glisse un réveil sous mon oreiller pour me réveiller avant. Quand il sonne, je m'assieds jusqu'à ce qu'il fasse jour, parfois je me rendors après quatre heures. Mais au bout de quelques jours de ce traitement, j'ai envie d'entendre ces bruits de cauchemar de nouveau, parce que j'y entends aussi les voix de mes enfants.
Ouf. Il faut avoir le coeur bien accroché pour aller au bout de cette douzaine d'histoires (comme autant de petites nouvelles, de petits reportages) et découvrir derrière ces épouvantables tranches de vie, la vie justement, la force vive qui a permis à ces femmes de traverser ces épreuves, d'y survivre ... et de les raconter.
Pour finir sur une note un peu plus légère, on relèvera quelques dictons et proverbes qui émaillent ce bouquin ... comme tout bon livre chinois :
Dans chaque famille, il y a un livre qu'il vaut mieux ne pas lire à haute voix.
La première personne qui a mangé du crabe a dû aussi manger de l'araignée avant de se rendre compte que ce n'était pas bon.
À la campagne, le ciel est haut et l'empereur est loin.
L'argent rend les hommes méchants, la méchanceté rend les femmes riches.
Les épouses des autres sont toujours mieux, mais les meilleurs enfants, ce sont les notres.
L'eau porte le bateau, elle peut aussi le faire chavirer.
Si vous vous tenez droit, pourquoi redouter que votre ombre soit tordue ?
Le poulet dans se mangeoire a du grain, mais le pot à soupe n'est pas loin. La grue sauvage n'a rien, mais son monde est vaste.
Il faut craindre les mains des hommes et la langue des femmes.
Et pour finir, en guise de conclusion et de résumé :
Les femmes sont comme l'eau et les hommes comme les montagnes.
Les hommes ont besoin des femmes pour se former une image d'eux-mêmes - comme les montagnes se reflètent dans les rivières. Mais les rivières coulent des montagnes. Où est la bonne image ?
Les éditions
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Chinoises [Texte imprimé] Xinran trad. de l'anglais par Marie-Odile Probst
de Xin ran, Probst-Gledhill, Marie-Odile (Traducteur)
Editions Philippe Picquier / Picquier poche (Arles)
ISBN : 9782877307574 ; 2,98 € ; 01/01/2005 ; 351 p. ; Poche
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Recueil de témoignages poignants
Critique de Fanyoun06 (, Inscrite le 19 août 2008, 55 ans) - 7 mars 2009
Ce roman a été publié en anglais courant 2002 et le titre original est The Good Women in China. La traduction française date de 2003 (traductrice Marie-Odile Probst). Vous constaterez en lisant cet article que ces dates ont leur importance. Chinoises est le récit de témoignages de femmes recueillis pendant ces années radiophoniques.
La révolution culturelle a laissé des traces douloureuses, indélébiles. Parmi les nombreuses victimes de ces années noires, les femmes ont eu une place de choix : victimes de mariages forcés (il faut noter qu'il fallait demander l'autorisation au Parti pour se marier quand celui-ci n'était pas imposé), viols, familles dispersées, guerres et pauvreté, coutumes chinoises qui pour nous semblent dater d'un autre siècle.
Pour ce pays où le mâle est roi, recueillir ces témoignages relève déjà de l'exploit et cela n'a pas été sans difficulté pour l'auteur.
La lecture de Chinoises m'a fendu le coeur : la condition féminine y étant décrite avec tellement de simplicité, de sincérité. Ce sont des témoignages, des histoires vraies et l'auteur a su, avec beaucoup de sobriété, se mettre au service de ces femmes et de leurs récits respectifs.
Un roman qui nous invite à réfléchir sur notre propre condition de femme. Il nous invite aussi à se plonger (replonger ?) sur la révolution culturelle chinoise et les dégâts causés. J'ai maintenant une envie incontrolable d'approfondir le peu de connaissances que j'ai sur cette période de l'histoire.
Je ne peux que recommander ce livre à toutes les femmes : il nous rappelle que nous avons un statut (même si les salaires des femmes sont toujours de manière générale inférieurs à ceux des hommes, ben oui Messieurs !), une vraie place, une reconnaissance dans nos pays occidentaux. Nous avons la chance de ne pas appartenir à nos époux, nous partageons leur existence en les aimant certes (ou pas) mais l'inverse est également vrai, nos époux ou compagnons ne nous appartiennent pas, ne sont pas une propriété. Le reste est une question de valeur et de confiance mutuelle.
Je mets cependant en garde le lecteur : Attention, lecture bouleversante qui laisse des traces.
Portraits de femmes
Critique de Féline (Binche, Inscrite le 27 juin 2002, 46 ans) - 4 octobre 2008
Xinran est une journaliste chinoise, qui, dans les années 80, travaillait à la radio d’Etat. Le soir, dans son émission, elle recueillait le témoignage de femmes de son pays. Encore fortement soumise à la censure du Parti, la radio s’ouvrait malgré tout à une plus grande liberté et Xinran souhaitait faire s’exprimer les chinoises sur leur féminité. Ce magnifique recueil est le résultat d’un travail de longue haleine. Xinran a parcouru la Chine de long en large, pour écouter ces femmes, les entendre raconter leur histoire. D’autres récits lui ont été envoyés ou ont été enregistrés de manière anonyme sur le répondeur de la radio. Il faut quand même noter que Xinran n’a pu publier ce livre que lorqu’elle est venue vivre en Angleterre.
Il en ressort un magnifique livre, tout en pudeur, qui au travers de l’histoire de ces femmes, de toute classe sociale, de tout âge et de tout horizon, nous en apprend sur la place de la femme en Chine mais aussi sur la société de cet énorme pays en pleine mutation.
Une jeune fille, victime d’inceste, préfère être malade et vivre à l’hôpital que de retourner chez elle, et ce à n’importe quel prix … ; une jeune femme mariée de force par la révolution … ; ces mères, qui ont perdu leurs enfants lors d’un tremblement de terre et ont décidé de s’occuper d’orphelins, … Voici quelques unes de ces histoires, toujours émouvantes, souvent tristes et douloureuses, qui ne sont pas tendres avec l’homme chinois ni avec une société qui ne leur octroie pas une place de choix. Xinran, en laissant la parole à ces femmes fait un grand pas en avant et découvre la fille, la maîtresse, l’amoureuse mais aussi la mère chinoise, comme elle ne la soupçonnait pas. Ce qui est admirable, c’est qu’il n’y a jamais de haine ni de soif de vengeance, juste une envie de faire connaître ce que ressent et ce que vit “la femme chinoise”.
Un livre à mettre entre toutes les mains féminines mais aussi masculines, ainsi que dans celles de toutes les personnes que la société chinoise intéresse.
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