Les années douces de Kawakami Hiromi

Les années douces de Kawakami Hiromi
( Sensei no kaban)

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique

Critiqué par BMR & MAM, le 8 août 2007 (Paris, Inscrit le 27 avril 2007, 64 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 980ème position).
Visites : 6 188  (depuis Novembre 2007)

Douce promenade dans les bars de Tôkyô. Belle histoire d'amour non dit.

Une douce promenade dans le Japon moderne que ce roman Les Années Douces de Kawakami Hiromi.
Une femme rencontre par hasard l'un de ses anciens professeurs ("le maître") et nous les suivons ainsi, au fil des soirées, des rencontres, de leurs escales dans les petits troquets de Tokyo où ils picolent pas mal :

[...] Kojima boit tout doucement, à petites gorgées, son bourbon coupé de soda. J'ai pris moi aussi une gorgée du liquide qui se trouve devant moi. C'est un martini, irréprochable lui aussi.

Pour accompagner ces libations (saké chaud, bière, ...) il leur faut des amuse-gueule et donc, comme dans tous les romans asiatiques, on parle beaucoup de cuisine :

[...] Concombres fraîchement cueillis, frappés légèrement au couteau, servis avec de la chair de prune confite au sel. Aubergine fraîches émincées et passées à la poêle, nappées de sauce soja parfumée au gingembre. Feuilles de chou macérées dans du miso.

Il ne se passe pas grand chose dans ce petit roman, mais au fil du bercement des pages et des rencontres et des soirées, on devine peu à peu la relation complexe qui unit ces deux-là.
Une sorte d'amour non dit, où la façon de picoler et grignoter ensemble semble avoir plus d'importance que tout le reste.
Et l'on finit même par se laisser prendre à un presque suspense : comment cela va-t-il finir ?

[...] Si c'était un grand amour, il était primordial d'en prendre soin, comme d'une plante à qui on donne de l'engrais ou qu'on protège de la neige. S'il s'agissait d'une autre espèce d'amour, inutile de s'inquiéter, il suffisait de le négliger en attendant qu'il se dessèche.

[...] - Tsukiko-san, comprenez-vous la signification de l'expression tashô no en ?
- C'est-à-dire qu'il y a un lien, enfin, un petit lien, c'est ça ? ai-je répondu après avoir réfléchi un instant. Les sourcils froncés, le maître a secoué la tête.
- Mais non, il ne s'agit pas de tashô dans le sens de un peu, c'est l'expression qui veut dire plusieurs vies, vivre en se réincarnant, voyons !
Le lien que j'évoquais à l'instant, ce tashô no en, c'est celui qui unit des êtres dans une vie antérieure.

Quelquefois on semble près de basculer dans une rêverie typiquement nippone mais non, on reste toujours sur le fil du rasoir (ou plus exactement sur le fil du couteau à sushis).
Et on se laisse bercer, promener dans les rues et les bars de Tokyo, presque surpris et désolé que tout cela ait une fin.
Une fort belle fin, d'ailleurs.

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le maître et tsukiko

10 étoiles

Critique de Jfp (La Selle en Hermoy (Loiret), Inscrit le 21 juin 2009, 76 ans) - 4 avril 2021

Tsukiko, célibataire endurcie abordant la quarantaine, rencontre par hasard son vieux professeur de japonais autour d’un verre de saké. Peu d’affinités les lient, elle parce qu’elle le trouvait sévère et autoritaire, lui parce qu’elle était mauvaise élève et insolente. Une étrange liaison va pourtant s’établir entre ces deux êtres éloignés par l’âge et le tempérament mais que rapproche un même sentiment de solitude. Un amour partagé va naître, au-delà des convenances, leur permettant de vivre quelques années de presque bonheur, les années douces du titre. La douceur est donc au programme dans ce roman qui fait du bien, écrit avec un raffinement typiquement japonais et nous plongeant au cœur même des liens parfois surprenants qui se tissent entre deux êtres humains…

Délicat

7 étoiles

Critique de Elya (Savoie, Inscrite le 22 février 2009, 34 ans) - 30 octobre 2011

Tsukiko est une trentenaire célibataire qui mène une existence placide qui lui correspond. Elle sympathise avec un de ses anciens professeurs, un presque vieillard très éclairé, affable mais toujours sur la retenue, presque apathique. Elle le surnommera le maître. La distance qui les sépare, celle de l'âge, de leur culture, de leur caractère (Tsukiko est très passive, Le Maitre a plutôt la bougeotte) se réduira peu à peu, avec le temps et les bières et les sakés qu'ils boivent immodérément.

Ce livre est très beau, délicat. En décrivant des scènes du quotidien, qui n'ont absolument rien d'extraordinaire (une sortie en montagne, l'admiration des cerisiers en fleur, un dîner au restaurant, une balade sur les marchés, une cueillette de champignons...), l'écrivain nous dorlote et nous apprend beaucoup de choses sur la culture et la cuisine japonaise, comme souvent avec les écrivains asiatiques. Savez-vous ce qu'est un fusuma, un isakaya, un horen, un odenya ... ?

"Me retrouver dans le même bistrot que le maître sans que lui et moi échangions un seul regard, c'était l'équivalent du livre séparé du bandeau qui l'accompagne, qu'on aurait posé ailleurs, ça ne collait pas."

Le style d'écriture est sobre, épuré et s'accorde parfaitement au propos de la narratrice, Tsukiko. La fin est magnifique, toute en sensibilité et clôture à merveille ce roman.

Un peu de douceur dans un monde de brutes...

9 étoiles

Critique de Djidji (Neuilly sur Seine, Inscrit le 23 octobre 2007, 66 ans) - 23 octobre 2007

... et revenir, je dis bien revenir, dans un univers où le présent est un don.

Ce livre est parfait à sa manière : il fait vivre les gestes les plus insignifiants du quotidien de l'amour.

Simple et profond, il ramène le coeur et l'esprit à ce qu'ils peuvent avoir de plus essentiel : maintenant.

C'est tout d'abord une belle leçon sur l'amour : son authenticité, son absence de logique apparente, l'espace et l'ouverture nécessaires à son épanouissement.

Extrêmement délicat et pudique, ce roman d'une douceur extrême ne bascule pas pour autant dans une idéalisation naïve. Il aborde sans les esquiver les thèmes difficiles de l'abandon, la rupture, la colère et la mort.

Il est donc à la fois extrêmement plaisant et caressant (au sens figuré) sans tomber dans le piège de la facilité.

L'écriture, originale, articule la pensée, le vécu, le ressenti à la narration : astucieux.

Et là où ce roman détient quelque chose d'initiatique, c'est qu'il nous donne dans la paume de la main les clés du bonheur.

"Le monde devient fou", commente, choqué, le père de Laura Palmer à sa fille dans le film Fire walk with me. Et, bien qu'adorant David Lynch, précisément, ce roman nous emmène aux antipodes de cette quête amoureuse perverse et dévastatrice qui propulse l'amour aux confins déchirants de la mort.

Notre culture nous surexcite, titille nos pulsions et notre réservoir fantasmatique : coups de reins exacerbées, feux de cheminée ardents, courses éperdues, mensonges et artifices de la séduction, je-te-fuis-tu-me-suis, errances, désespérance... Notre culture mythifie tellement l'amour et la sexualité qu'elle nous conduit au bord du désespoir, si nous n'avons pas les formes et les acharnements sportivo-pornographiques d'un Rocco Sifredi ou d'une Tabitha Cash avec en prime le coeur bondissant d'un Jim Carrey dans The Mask.

Et si vous vous étonnez de ce rapprochement entre le roman et le film cinématographique c'est que ce roman n'a au fond pas besoin de l'image tant il parle au coeur.

Hiromi Kawakami nous ré-apprend l'amour : sa pudeur, sa patience, son engagement ; elle nous rappelle, si nous l'avions oublié - ce fut mon cas hélas - qu'il n'est pas besoin de communiquer ni de revendiquer chaque fois qu'une émotion s'élève ou que nous sommes frustrés et qu'il suffit simplement de maintenir la flamme de l'amour avec le souffle de l'authenticité. Elle nous rappelle qu'il y a une différence entre aimer l'amour et aimer un être.

Elles nous montre, par la démonstration contraire, que si nous renonçons à notre inclination au zapping dès qu'il y a un problème, il y a certes de rudes espaces émotionnels à traverser, comme toujours, mais le véritable amour en prime, lové dans l'écrin de la simplicité. Elle nous rappelle qu'il n'y a pas besoin de gravir le Mont Blanc, l'Himalaya ou le Mont Fuji pour être heureux, qu'un simple verre pris dans un café suffit pour aimer. Et s'il est vrai que le saké coule à flot, comme dans les films d'Ozu (de la même veine, mais au cinéma, j'ai adoré "Le goût du saké"), ça c'est typique de la tradition japonaise qui semble encore plus alcoolique qu'en France ou en Belgique (pour le Canada, je ne sais pas)

Alors celles et ceux qui ne supportent pas l'absence, l'incompréhension ; celles et ceux qui se sentent trop nul(le)s, trop vieux(ielles), trop gros(ses) et se disent : "cest pas pour moi" ; à celles et ceux qui se demandent : "à quand l'amour ? c'est quand que je trouverai l'être qui me convient : intelligent(e), bon coup, engagé(e) mais pas envahissant(e) etc.", je dis haut et fort : LISEZ LES ANNÉES DOUCES !

Ce roman donne des clés mais n'ouvre pas la porte : il ne garantit rien ; il ne nous dit pas que la prochaine personne que nous rencontrerons sera la bonne ; il nous rappelle simplement que l'idéal est inaccessible et que c'est dans la vérité du coeur qu'il jaillit, dès lors, il n'y a plus rien d'autre à faire, juste être, laissant le temps au temps et laisser toutes ses chances à l'amour. Il pourrait aussi, si on le lit au moment importun, nous empêcher de gâcher une belle relation d'amour, faute de se satisfaire du quotidien et de toujours chercher l'absolu.

Une très belle histoire, subtilement contée. Un roman très généreux.

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