Pièces de Francis Ponge
Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie
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Leçons de choses
Ponge est le poète qui donne la parole aux choses, qui « prend leur parti ». Les choses, ce sont les objets et les animaux. En tant que sujet d’observation, l’homme est pratiquement absent de cette œuvre, ou alors il y figure par morceaux, ainsi la Main (d’ailleurs, « la main est un des animaux de l’homme »).
Ce qui séduit d’emblée chez Ponge, c’est son extraordinaire bonheur d’expression, sa façon de nous restituer les choses par des métaphores surprenantes et pourtant d’une évidence immédiate. Il pratique rarement la métaphore filée. Le cheval est tour à tour « une courtisane », « un saint en oraison », « une armoire ». Le lézard est « un dragon chinois », « une locomotive », « un poignard ». Mais Ponge est beaucoup plus qu’un observateur et un chroniqueur du monde matériel. Il y a continuellement chez lui un va et vient entre les choses et le langage, puisque c’est par le langage que l’homme peut appréhender les choses. Ponge exécute autour les choses une danse du langage, il les « recouvre de mots ».
Très important aussi avec Ponge, l’aspect « leçons de choses », le côté expérimental : il examine la chose sous tous ses aspects, dans « tous ses états », la retourne, la place sous différents éclairages, l’éclaire par diverses métaphores et pour finir, exprime les rapports entre la chose et la sonorité du mot (il y a du « zèle » dans le comportement du lézard) ou son graphisme (« grâce à cet U qui s’ouvre en son milieu, cruche est plus creux que creux »).
Certains textes de Ponge, comme son célèbre « Papillon », sont brefs, d’une concision parfaite. Plus souvent, nous assistons à sa lente progression vers l’appropriation de la chose, avec des reprises, des couches supplémentaires qui cernent chaque fois un peu mieux l’essence de l’objet. Parfois la structure même du texte reproduit celle de l’objet. La boue, état provisoire de la matière, se voit célébrer par une « ode inachevée ». Et, dans un autre volume, la mousse du savon, par son extension perpétuelle, emplit un livre entier.
J’ajoute que Ponge est un peu l’anti-Michaux. Michaux est du côté de Lautréamont, Ponge invoque Malherbe. Michaux exprime la part d’ombre de l’homme, sa folie. Ponge, revendique la raison et la clarté. Ce qui n’empêche qu’on puisse, comme c’est mon cas, les apprécier et les aimer autant l’un que l’autre, à la fois pour leur différence et pour leurs qualités communes : ambition et rigueur.
Extraits
LE GUI
Le gui la glu : sorte de mimosa nordique, de mimosa des brouillards. C’est une plante d’eau, d’eau atmosphérique.
Feuilles en pales d’hélice et fruits en perles gluantes.
Tapioca gonflant dans la brume. Colle d’amidon. Grumeaux.
Végétal amphibie.
Algues flottant au niveau des écharpes de brume, des traînées de brouillard,
Epaves restant accrochées aux branches des arbres, à l’étiage des brouillards de décembre.
LES HIRONDELLES (extrait)
Chaque hirondelle inlassablement se précipite - infailliblement elle s’exerce- à la signature, selon son espèce, des cieux.
Plume acérée, trempée dans l’encre bleue-noire, tu t’écris vite !
Si trace n’en demeure…
Sinon, dans la mémoire, le souvenir d’un élan fougueux, d’un poème bizarre,
Avec retournements en virevoltes aiguës, épingles à cheveux, glissades rapides sur l’aile, accélérations, reprises, nage de requin.
LA CHEVRE (extrait)
Notre tendresse à la notion de chèvre est immédiate pour ce qu’elle comporte entre ses pattes grêles – gonflant la cornemuse aux pouces abaissés que la pauvresse, sous la carpette en guise de châle sur son échine toujours de guingois, incomplètement dissimule – tout ce lait qui s’obtient des pierres les plus dures par le moyen brouté de quelques rares herbes, ou pampres, d’essence aromatique.
Les éditions
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Pièces [Texte imprimé] Francis Ponge
de Ponge, Francis
Gallimard / Collection Poésie (Paris. 1966).
ISBN : 9782070318735 ; 8,20 € ; 29/09/1971 ; 192 p. ; Poche
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L'objet et les mots
Critique de Pucksimberg (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 44 ans) - 11 février 2018
De plus le poète souhaite que les mots reflètent ce qu'ils définissent, aussi bien la forme des lettres qui composent ce mot que les sonorités du mot. Ainsi les ombelles ne font pas de l'ombre mais de l'ombe car le R est trop dur. Le 14 juillet commence comme justice et finit comme ça y est. Le U de cruche épouse la forme de l'objet. Dans "14 juillet", il propose une étymologie poétique de cette date. Tout en décrivant cet épisode il explique la logique de la graphie : le 4 devient un drapeau, le i un sans-culotte qui lance son bonnet, le T un râteau .. . Et puis lorsque cela ne suffit pas, Ponge crée des mots afin d'être le plus juste. Ce point souligne une bonne connaissance du langage et son amour pour les mots. Ce goût pour la langue transparaît dans chaque texte. Que de trouvailles ! Et d'humour ! Cette pauvre danseuse devient une autruche mal dégrossie, le lilas n'est plus aussi poétique qu'on l'aurait espéré avec l'allusion aux boutons et aux hémorroïdes, et alors lorsqu'on en vient à lire les poèmes sur la boue et le crottin on sent que le poète n'a plus de limites. Francis Ponge n'aime pas le lyrisme et s'en moque. ("La pompe lyrique" ). C'est pour cette raison que se trouvent ces poèmes parodiques avec toutes ces phrases exclamatives qui soulignent le faux enthousiasme du poète.
Les poètes qui se focalisent sur leur nombril et leurs émotions ne l'intéressent pas. Ainsi l'homme est quasi absent du recueil et les choses sont au centre des textes.
Ces poèmes permettent un autre niveau de lecture : Francis Ponge ne cesse en réalité de se questionner sur l'acte d'écrire, le pouvoir des mots, l'inspiration ... Chaque poème pourrait servir d'élément de réponse à ces vastes sujets. Les hirondelles dans le ciel deviennent des signes, des mots sur une feuille de papier, les objets sont des muses modernes. Dans un même poème Ponge réécrit parfois ses premières strophes et l'on voit comment le poème se développe, s'enrichit, naît. Le poète souhaite faire entrer le lecteur dans les coulisses de l'écriture. C'est pour cette raison qu'il n'a pas fait disparaître ses brouillons afin que l'on puisse les étudier et les faire parler.
Ce recueil est un véritable voyage dans la création. Les textes amusent, font réfléchir et donnent à voir ce que l'on n'était plus capables de voir.
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