Piazza Bucarest de Jens Christian Grøndahl

Piazza Bucarest de Jens Christian Grøndahl
( Piazza Bucarest)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Jlc, le 3 mars 2007 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (26 953ème position).
Visites : 4 418  (depuis Novembre 2007)

Un espoir sans adresse

Jens Christian Grondahl fait partie avec Jonathan Coe, Antonio Munoz Molina, Michel Déon, Christophe Hein et quelques autres de mes romanciers européens préférés que je suis, de livre en livre avec, à chaque fois, la peur d’être déçu ou le bonheur renouvelé de leur lecture.

« Piazza Bucarest » nous offre encore une fois le plaisir de lire une histoire comme Grondahl sait en raconter avec ses signes de reconnaissance mais aussi ses découvertes qui font que chaque roman est à la fois toujours un peu le même – le style simple doucement mélancolique et très efficace, descriptif et imagé ; la précision des lieux décrits dont l’auteur dit « il m’est impossible d’écrire sur des coins que je n’aurais pas vus » ; les faits toujours parfaitement datés pour mieux embarquer le lecteur dans son aventure ; le « côté danois » de ses personnages même s’il les fait beaucoup bouger en Europe et aux Etats-Unis ; la splendeur et l’authenticité des femmes qu’il évoque ; les thèmes qui reviennent comme celui de l’absence, de la disparition, des liens qui se dénouent ; l’intimité ou l’intimisme et l’amour au cœur de chaque récit – et toujours différent – Christine disparue dans « Silence en Octobre » n’est pas Irène de « Sous un autre jour » qui n’a rien de commun avec Elena ; les histoires sont très variées -. Grondahl sait se renouveler tout en gardant ce qui fait son charme, c'est-à-dire sa façon de raconter, ce qu’on appelle un style. Pour la première fois, me semble-t-il, en voulant nous faire croire qu’il écrit un récit et non un roman, il se dévoile : « Cette histoire habituelle que je raconte, encore et encore, peut-être précisément parce qu’elle n’est pas exceptionnelle. La valeur de mes écrits ne [réside] pas dans ce que je dis mais dans les pauses, les silences. »

Un samedi d’hiver, le narrateur prend la route du Jütland danois pour retrouver son ami Scott qui repart définitivement aux Etats-Unis. Scott, d’origine américaine, a été le très jeune mari de Vicky, la mère du narrateur, qu’elle a quitté tant il manque d’ambition. Grondahl fait un remarquable portrait de cet homme candide, pudique, placide. Dans un monde où « il est absolument nécessaire d’être en mouvement…Scott n’allait nulle part ». Ce garçon est trop jeune pour tenir le rôle de père que le narrateur n’a jamais eu. Il en est devenu le meilleur ami et après le divorce il continue de voir régulièrement Scott à qui il apporte une lettre reçue de Bucarest et adressée à Elena, à l'ancienne adresse de Scott avec qui elle a vécu quelques années après le départ de Vicky. Et pour une fois, peut-être parce qu’il quitte définitivement le Danemark, Scott silencieux par goût et tempérament va raconter son histoire à son ami.

1988 : les Ceausescu sont encore les impitoyables tyrans de la Roumanie où Scott est envoyé pour un reportage photographique. Il est accompagné par un chauffeur mouchard et une jeune et jolie guide, Elena. Grondahl raconte avec subtilité, beaucoup de finesse et une certaine tendresse l’échange qui se crée entre ces deux êtres que le hasard rapproche un moment avant de les séparer irrémédiablement, sauf que le dernier jour, Scott, sans trop savoir pourquoi, propose à Elena un mariage blanc qui lui permettra de fuir cette insupportable dictature.

Elena réussit à partir pour Copenhague, chez Scott, elle a alors vingt deux ans, l’âge du narrateur qui découvre plus tard qu’ils ne sont pas amants. Scott désire follement mais trop timidement et maladroitement cette femme dont on ne sait trop si elle est naïvement provocante ou aguicheuse sûre de son pouvoir. La vie commune prendra fin brusquement sans une réelle explication et Scott ne s’en remettra jamais. Alors cette lettre pour Elena, à quoi bon !

Le narrateur qui, un dimanche de pluie, est devenu acteur de cette histoire en repoussant la tentante Elena qui l’a embrassé sous un châtaignier, décide de partir à sa recherche sous le prétexte de lui porter cette lettre, en fait plus vraisemblablement par curiosité plus ou moins amoureuse, lui qui s’est « parfois demandé ce qu’était devenue Elena ». Après bien des péripéties et quelques mystères, il la retrouvera à Rome, Piazza Bucarest et ce n’est évidemment pas par hasard. Là, dans une obscurité propice aux aveux, elle lui racontera son énigmatique et douloureux itinéraire sentimental. Bien sûr, « raconter n’est pas seulement conserver des souvenirs mais aussi en éliminer ». La fin de l’histoire qui vous surprendra est réellement magnifique par son ton et l’imagination de Grondahl dont il dit qu’elle n’exprime pas des possibilités infinies mais se déploie uniquement parce qu’elle est limitée. Chapeau l’artiste !

Grondahl a encore une fois écrit un superbe roman, faisant preuve d’une imagination délicate et d’une tendre empathie avec ses personnages dont les sentiments se nouent, se distendent pour parfois brutalement se couper. Scott, Elena ou le narrateur ne savent pas bien ce qui se passe « puisque la vie, c’est ce qui nous arrive. » Ils n’ont pas la distance nécessaire pour « comprendre ou non ce que la vie a fait d’eux et ce qu’ils en ont fait ». Alors Elena tente désespérément de renouer ces fils distendus par le temps, l’habitude ou la lâcheté en recherchant ici ou là une adresse qui est son espoir.
Mais y aura-t-il encore quelqu’un à cette adresse ?

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9 étoiles

Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 30 août 2010

C’est l’histoire d’un Américain installé au Danemark qui, à l’occasion d’un reportage photo en Roumanie avant 1989, rencontre une jeune femme roumaine éprise de liberté et l’épouse. Le livre progresse à la façon de l’enquête menée par le narrateur (le beau-fils de l’Américain) pour retrouver la jeune femme qui, au bout de deux années de vie commune, a émigré en Italie.

Tout est dans le ton employé par l’auteur, en demi-teintes, avec l'air de ne pas y toucher. Ainsi le narrateur raconte les choses en les imaginant autant qu’en rapportant des faits, en se basant sur sa propre expérience de la vie. Il déclare ne jamais être allé en Roumanie mais, pour lui, toutes les grandes villes du monde se ressemblent. À propos de certaines villes aux noms évocateurs, il écrit : « Odessa, Lahore, Buenos Aires, Trieste. Même si un jour, on réussit à voir ces villes, on sait parfaitement que, d’une certaine façon, on n’y parviendra jamais. »
Il y a aussi une belle réflexion sur Rome (opposée à Florence) où le récit se termine et où un des lieux, la piazza Bucarest, donne son titre au roman.
« Au fond de soi, on est comme Rome. Tout ce que l’on voit est filtré par les couches accumulées de ce que l’on a vu, de sorte que le monde apparaît sous une double exposition fluctuante et déformée. »

Peu à peu la petite musique de Grondahl faite de doutes, de paris sur le réel, de relevés sur les effets du temps qui passe, nous imprègne en profondeur. À mesure que l’opacité de la jeune femme, son mystère s’éclaircissent. Son récit prend à la fin valeur de vérité, une vérité d’autant plus prégnante qu’elle s’articule à notre vécu propre, suffisant d’après le narrateur pour comprendre toutes les histoires. Un beau roman d’un auteur fort attachant.

Le messager de Copenhague.

4 étoiles

Critique de Nana31 (toulouse, Inscrite le 29 janvier 2006, 55 ans) - 28 janvier 2008

C'est l'histoire d'un écrivain danois qui part sur les traces de la femme que son beau père a aimée. Il sera la première personne à qui elle fera le récit de sa vie. Le roman est très platonique, les personnages se posent beaucoup de questions et finalement, ils n'évoluent pas beaucoup au cours de cette histoire. Dommage! Je n'ai pas aimé le personnage du beau-père; il est très timide et effacé et ne fait pas grand chose pour conquérir cette femme qui finalement partira plus tard.
Je m'attendais à autre chose lorsque l'écrivain parviendrait à cette adresse.

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